Dossier : Climat   
    La recherche française sur le climat
  Les grandes campagnes de mesures
 
  SEMAPHORE
 
   
La campagne SEMAPHORE


Extrait de la Lettre n°6 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



1 - Zone expérimentale de la campagne SEMAPHORE.



2 - Température de surface déduites des mesures hydrographiques, et courants de surface mesurés, pour le 20 octobre 1993 .








3 - Paramétrisation des flux.




4 - Profils moyens de température et salinité au point M (voir figure 1) obtenus au cours des 5 épisodes, numérotés de 1à 5 sur la figure du haut, (dates des visites).




5 - Température à 200 m lors des phase 1 (20 juillet), 2 (11 septembre), et 3 (26 octobre) déduites des mesures in situ à partir des bateaux durant la campagne.




6 - Hauteur de la surface de l'océan pour le milieu de la phase 3 (voir figure 5).




7 - a : Carte des températures de surface de la mer le 29 Octobre 1993 sur la zone de l'expérience SEMAPHORE.
b : Refroidissement des températures de surface de la mer après la tempête du 29 au 31 Octobre 1993 sur le domaine SEMAPHORE.



8 - De part et d'autre du front des Açores : dans la basse atmosphère, les flux de chaleur sensibles (figure de gauche) et de chaleur latente (droite) sont systématiquement plus élevés au dessus de la région chaude (12 novembre 1993).

 

L'interaction entre la couche superficielle océanique et la basse atmosphère est responsable des échanges d'énergie à la surface océanique, un des facteurs clef du climat. Encore mal connue et difficile à représenter dans les modèles, elles est l'objet principal de la campagne SEMAPHORE.

La campagne SEMAPHORE a principalement été réalisée par les laboratoires et organismes suivants :
- CETP/CNRS - Vélizy
- LA/CNRS/UPS - Toulouse
-CNRM/CNRS/Météo-France - Toulouse / Brest / Lannion
- LPCM/CNRS - Villefranche/mer
- SA/CNRS - Paris
- UM5566/GRGS and CLS/ARGOS - Toulouse
- SHOM - Brest et Toulouse
- les services opérationels de Météo-France, SHOM, INSU, IGN, IFREMER, et CNES/GDTA;
ainsi qu'au travers de coopérations avec des pays étrangers (Allemagne, USA, Russie, Royaume-Unis, Portugal).

La campagne SEMAPHORE fait partie du PATOM (Programme Atmosphère et Océan à Moyenne Echelle). Elle a été soutenue par les organismes suivants : CNRS/INSU, Météo-France, SHOM, DGA/DRET, MESR/DRED, IFREMER, CNET, CNES et ASE.


Objet de la campagne, moyens et domaine d'étude

La campagne SEMAPHORE s'est déroulée entre le 15 juin et le 30 novembre 1993, dans la région des Açores (figure 1). Cette région est caractérisée par la présence du courant des Açores, branche sud de la dérive nord-atlantique, et une profondeur d’océan partout supérieure à 2000m. Les objectifs principaux étaient l’étude :

  • des flux de surface et le couplage des couches limites atmosphérique et océanique
  • du rôle de l'état de surface dans les échanges océan - atmosphère
  • des structures océaniques, et les transports d'énergie associés (observations et modèles)
  • des structures atmosphériques induites par les hétérogénéités de surface, leur représentation dans des modèles atmosphériques et couplés.

Les observation ont été réalisées à l'aide du navire le Suroît et les deux avions ARAT et Merlin-IV. A l'échelle du domaine de 500 km de côté, les données sont issues de sondage CTD jusqu'à 2000m espacés de 10 milles environ, à partir de bateaux, et de mesures de courant à deux niveaux sur des mouillages, et à 4 niveaux (surface, 150m, 1000m et 2000m) sur une centaine de flotteurs dérivants .

Les mesures in situ ont été combinées aux mesures spatiales. La prévision, tant météorologique que de la circulation océanique, a permis d’optimiser les déplacements des navires et avions pour effectuer les observations (localisation rapide du courant des Açores, ajustement à 48 h des plans d’observation en fonction de la situation météorologique).

Mesures à petite échelle
Les mesures ont été concentrées dans le quart NO du domaine durant la phase d'observation intensive , POI, (7 octobre - 17 novembre 1993), afin d’assurer la simultanéité des observations de l'océan, la surface et l'atmosphère. Deux types d’opérations conjointes ont été menées:

  • coupes du front thermique et dynamique associé au courant des Açores, en divers points du méandre (figure 2);
  • visites régulières d’une petite zone, située à l’écart du courant.

Les travaux portent sur l’amélioration des paramétrisations des flux turbulents, les propriétés de la couche limite atmosphérique marine, la compréhension du rôle de l’état de mer, et des processus intervenant dans le couplage océan - atmosphère.

Résultats

o surface : importance de l'état de mer:

Les observations de deux bouées houle et du radar aéroporté RESSAC ont permis de caractériser l’état de mer durant la POI. Les indications obtenues sur la direction des vagues obtenues à l'aide du radar RESSAC ont été utilisées en complément des mesures altimétriques de hauteur des vagues pour valider et améliorer la modélisation des états de mer à partir des modèles de prévision "VAG" de Météo-France et “WAM” du CEPMMT. On a ainsi montré que l'état de mer était presque toujours caractérisé par une superposition de deux à trois trains de houle et une composante de mer du vent.

L'étude des interactions vent - vagues - flux de quantité de mouvement a été entreprise, à partir des observations RESSAC associées aux mesures effectuées sur le Suroît. Elles ont conduit à remettre en cause l'hypothèse d'alignement du flux de quantité de mouvement avec le vent dans certaines situations.

o Flux de surface
Sur mer, les méthodes de détermination des flux turbulents ne sont pas aussi fiables qu’au dessus des continents, en raison des difficultés techniques rencontrées, d’une part, et de l’interaction entre la surface elle-même et le forçage atmosphérique, d’autre part. Une nouvelle paramétrisation a été développée à partir des mesures de turbulence effectuées sur un mât instrumenté à l'avant du Suroît : dans les cas de convection libre (Tmer >Tair, vent très faible), la vitesse de frottement tend vers une limite non nulle pour un vent moyen nul (figure 3).

o Effet de l'atmosphère sur l'océan
L'évolution de la couche mélangée sous l'effet du vent est étudiée à partir des mesures effectuées autour du point M (figure 1). La couche de mélange est homogène en température, salinité et densité, mais les variations de température de surface peuvent atteindre plus de 0,5°C en 24h dans certains cas. Ces variations croissent, en même temps que la température moyenne de la couche homogène décroît, et correspondent à une plus grande profondeur de la couche mélangée (figure 4). Plusieurs causes sont en cours d’examen pour expliquer ce phénomène : rôle des oscillations d'inertie, occasionnant l'advection quasi-cyclique d'eaux de températures différentes, mais aussi mélange incomplet de la couche, en raison de sa profondeur.

Mesures à moyenne échelle (500 km)
A cette échelle, les observations in situ permettent de reconstituer les caractéristiques thermodynamiques des masses d'eau (courant, tourbillons) ainsi que d'initialiser et valider des modèles de circulation océanique. Les mesures spatiales (altimètres, diffusomètre, radiomètres visible/IR) sont également utilisées, après examen de leur validité par comparaison avec les observations in situ.

L'impossibilité d'effectuer des mesures de routine dans l'atmosphère sur l’ensemble du domaine a imposé l'utilisation de modèles météorologiques après comparaison avec les observations spatiales et in situ. Pour obtenir les meilleurs champs météorologiques sur l’ensemble du domaine, une réanalyse du modèle ARPEGE vient d’être effectuée en assimilant ces mesures et en réduisant dans le domaine la dimension des mailles.

Résultats

o Structure dynamique et thermique de l'océan
Le front des Açores, observé vers 34°N, est caractérisé par un gradient de température de 3°C (de 19 à 22°C en surface, 14 à 17°C à 200 m de profondeur, figure 5). Il subit l'influence du passage de "meddies", lentilles d'eau méditerranéennes situées entre 700 et 1300 m de profondeur. Un meddy apparu au nord de la zone pendant la phase 1 se déplace vers l'ouest à 1 - 2 km/jour, et se retrouve sous le sommet NO du méandre en octobre - novembre. Un second meddy, de dimension anormalement grande (diamètre de 100 km au lieu de 30 - 40 généralement) entre sur le côté est du domaine pendant la phase 2. Il se déplace vers le SO, et interagit avec le front durant la phase 3.

L'étude des meddies est importante pour comprendre comment l'eau provenant de la Méditerranée se mélange avec l'eau atlantique, et jusqu'où s'étend sa pénétration dans l'Atlantique nord. L’interaction des meddies avec le courant des Açores pourrait expliquer en partie l’instabilité de ce courant, qui se manifeste par le développement de méandres et de tourbillons en surface.

o Comparaison des données de bateaux, de flotteurs et altimétriques
Les écarts dans la mesure de la hauteur de surface de la mer entre les mesures altimétriques et in situ (quelques centimètres) sont dus d'une part à la précision des altimètres, et d'autre part aux erreurs et corrections à apporter aux mesures locales. La comparaison des vitesses de courant superficiel déduites des hauteurs altimétriques et des flotteurs dérivants ancrés à 150m montrent un bon accord (figure 6a, 6b, 6c). Les cartes de circulation océanique obtenues à partir des données des deux altimètres (T/P et ERS1) montrent que T/P n'est pas en mesure de restituer le champ de circulation mésoéchelle océanique, à cause de la distribution spatiale des traces trop lâche (340 km d'interarabe pour T/P et 80 km pour ERS-1). L'échantillonnage spatial des données hydrographiques (figure 6a) étant également insuffisant sur les côtés du domaine, le meilleur résultat est obtenu en combinant les données des deux altimètres, ou celles ci et les mesures des flotteurs (figure 6d).

Ces travaux montrent l’intérêt de disposer de plusieurs sources de données, pour assurer une bonne qualité de cartographie, et permettre un forçage réaliste des modèles océaniques (assimilation).

o Forçage atmosphérique : impact d'un fort coup de vent
Une violente tempête a été observée du 29 au 31 octobre 1993 (figure 4). La réponse des couches superficielles océaniques a été étudiée grâce à une simulation numérique réaliste d'une portion du front des Acores au moyen d’un modèle méso-échelle (figure 7). L'effet de cette tempête pendant deux jours est une brusque diminution des températures de surface, représentant environ la moitié du refroidissement de l'océan superficiel pendant un mois dans le domaine (perte de 300 W/m2). Toutefois, il est apparu que le refroidissement des couches de surface n'a pas été homogène sur l'ensemble du domaine (figure 7b), en raison de la différence d'orientation du vent par rapport au courant selon la portion du méandre considérée.

Cette étude souligne l'importance des hétérogénéités de la réponse océanique aux forçages atmosphériques intenses et soudains et montre quels peuvent être les mécanismes impliqués dans les décalages des fronts océaniques de la couche mélangée océanique par rapport à ceux de la thermocline.

o Effet du front océanique sur les flux
L'impact des variations température de surface de l'océan au travers du front des Açores (gradient horizontal de 2°C sur 100 km) sur l'atmosphère et les flux de surface a été évalué sur une période anticyclonique stable de plusieurs jours.
On observe une différence systématique de la hauteur de la couche limite (plus basse du côté froid), de 100 m ou plus, avec augmentation associée des flux de chaleur sensible et latente (figure 8), et de l'instabilité dans la couche nuageuse: par exemple stratocumulus côté froid du front (air stable), cumulus côté chaud (air instable). Les parts respectives des variations de vent et de la température de surface ont été estimées : dans tous les cas, 30% environ des variations de flux de chaleur (latente et sensible) de part et d'autre du front peuvent être imputées au gradient thermique de l'océan.

Conclusion
SEMAPHORE a été la première expérience conçue par des océanographes et atmosphériciens français pour l'étude des interactions océan-atmosphère à moyenne échelle. Les données de la campagne sont archivées dans une base accessible à tous les chercheurs, au Centre de Météorologie Marine, à Brest. Les travaux menés concernent l’interprétation des observations dans l’océan et atmosphère, la représentation des échanges d’énergie à petite et moyenne échelle, l’amélioration de modèles numériques et les méthodes d’assimilation de données. L’exploitation des mesures spatiales constitue un volet important, pris en compte dès la conception de la campagne. Ces travaux devraient avoir des conséquences sur la modélisation de l’atmosphère (flux de surface) et l’océan (forçage de surface, mélange dans la couche mélangée océanique), en particulier dans des perspectives opérationnelles, en plus de l’interprétation de phénomènes importants et insuffisamment connus (meddies, structure fine du front, couplage océan-atmosphère, état de mer,…).


Contact :
Laurence Eymard
Centre d'Etudes des Environnements Planétaires-CNRS
10-12 Avenue de l'Europe
78240 Velizy
Laurence.Eymard@cetp.ipsl.fr



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