Liaisons
hydrogène formées dans leau liquide à
température ambiante.
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Dans l'eau liquide, chaque
molécule
deau est entourée en moyenne par quatre ou cinq autres
molécules deau, ce qui est peu par rapport à
un empilement compact (un empilement que lon observe par exemple
dans les liquides atomiques). Ceci s'explique par la formation de
liaisons
hydrogène entre molécules deau voisines :
ces liaisons sétablissent dans des directions particulières,
qui forment entre elles un angle dont la valeur est très
proche de l'angle tétraédrique (109°) que forment
entre elles les diagonales d'un cube. Cette symétrie tétraédrique,
avec une molécule centrale et quatre voisines aux sommets
d'un tétraèdre, caractérise la structure locale
de l'eau liquide ainsi que les diverses formes cristallines et amorphes
de la glace.
Dans leau liquide,
l'énergie moyenne dune liaison hydrogène entre
deux molécules voisines est environ trois fois supérieure
à celle due à l'agitation thermique et l'eau devrait
donc être un solide à température ambiante !
Mais, l'atome d'hydrogène, responsable de la liaison hydrogène,
subit des déplacements de grande amplitude, dont les plus
importants se font dans les directions perpendiculaires à
l'axe OO reliant les atomes d'oxygène des deux molécules
voisines. Ces vibrations, appelées librations, vont donc
"tordre" la liaison hydrogène et éventuellement
la "casser" dès que la direction OH d'une molécule
s'écartera de plus de 30° environ de la direction OO.
Il est intéressant de noter que l'eau lourde, dont la molécule
comporte deux atomes de deutérium, a un point de fusion supérieur
de presque 4°Celsius
à celui de l'eau légère. Cet important effet
isotopique peut s'expliquer par le fait que l'atome de deutérium
étant deux fois plus lourd que l'atome d'hydrogène,
les librations sont moins efficaces pour rompre les liaisons hydrogène.
En adoptant un critère
de classification adapté aux résultats expérimentaux
et aux simulations numériques, on peut dire que, à
un moment donné, le nombre de liaisons "intactes"
est de l'ordre de 70% à 0°Celsius et encore de 30% au
point d'ébullition.
Des expériences
de diffusion de la lumière et de diffusion de neutrons, confirmées
par la simulation à l'ordinateur de la dynamique moléculaire,
permettent d'évaluer le temps de vie de chaque liaison hydrogène,
cest-à-dire le temps pendant lequel une liaison entre
molécules voisines reste intacte : il sélève
à environ 1 picoseconde (soit 10-12 seconde ou
encore 0,000 000 000 001 seconde). C'est ce temps très court
qui explique pourquoi le réseau de liaisons hydrogène,
qui pourtant constitue un gel à un instant donné,
n'impose pas de propriétés visco-élastiques
à l'eau à température ambiante. En réalité,
si l'on réalise des expériences à des temps
très courts, comparables à celui de la durée
de vie des liaisons, on retrouve le comportement visco-élastique
résultant du réseau percolé de liaisons hydrogène.
Le meilleur exemple en est la mesure de la vitesse du son ou, plus
exactement, de la vitesse de propagation d'excitations collectives
de très haute fréquence : des expériences
de diffusion inélastique de rayons X et de neutrons montrent
en effet que, quand la fréquence des excitations est de l'ordre
du téraHertz (soit 1012 Hertz ou encore 1 000
000 000 000 Hertz), leur vitesse de propagation est supérieure
à 3000 mètres par seconde, soit plus de deux fois
supérieure à la vitesse du son de basse fréquence
et comparable à la vitesse du son dans la glace.
Les propriétés
physiques et chimiques de l'eau dépendent énormément
de la température, notamment à cause de la formation
des liaisons hydrogène. Ainsi, par exemple, à 100°Celsius,
seules environ 0,8% des molécules sont liées à
quatre molécules voisines par des liaisons hydrogène,
tandis qu'à 0°Celsius, presque un quart dentre
elles (25%) se trouvent dans cette situation. Or, les mouvements
de translation et de rotation dune molécule (diffusion
moléculaire) ne sont possibles que si, simultanément,
au moins trois de ses liaisons hydrogène sont rompues. En
conséquence, toutes les propriétés de transport
(diffusion, viscosité) dépendent fortement de la température.
Il est très intéressant
de prolonger en dessous du point de fusion les expériences
avec l'eau liquide. Ces expériences sont très difficiles
parce que le liquide est métastable et la moindre impureté
provoque la formation de glace hexagonale, qui est, bien sûr,
la forme stable de l'eau en dessous de 0°Celsius. Pourtant beaucoup
de résultats expérimentaux ont pu être obtenus
: ainsi, la plupart des propriétés physiques de leau
liquide et sa structure ont-elles été mesurées
jusqu'à -30°Celsius, voire -35°Celsius. A ces températures,
l'eau est un liquide très visqueux et on s'approche graduellement
des propriétés d'un gel. Mais, vers -40°Celsius,
la nucléation homogène de la glace ne peut plus être
évitée, et les propriétés de l'eau liquide
en-dessous de cette température nous restent donc inconnues.
José Teixeira
Laboratoire Léon Brillouin, CEA Saclay
teix@llb.saclay.cea.fr

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