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Si
l'eau est une substance très familière, et certainement
l'une des plus étudiées et des mieux comprise à
notre échelle, c'est certainement l'un des liquides que l'on
sait le moins bien décrire à l'échelle moléculaire.
Pourtant dans beaucoup de pays, de nombreuses équipes travaillent
d'arrache-pied à essayer de le comprendre en sappuyant
sur de nombreuses techniques expérimentales modernes, essentiellement
les spectroscopies
optique, infrarouge,
Raman, résolues dans le temps ou de Résonance Magnétique
Nucléaire (RMN), et la diffusion de rayons X ou de neutrons,
ou encore en mettant en uvre des approches théoriques
très sophistiquées.
La molécule
de base de ce liquide est bien sûr la molécule H2O
qui n'est entourée que de molécules semblables. Et
c'est là que commencent les problèmes, car ces petites
molécules établissent un très grand nombre
de liaisons
hydrogène entre elles, autant que de liaisons de
valence.
Comment se peut-il alors que l'eau soit un liquide très
fluide ?
On sait bien décrire un liquide ordinaire : c'est un corps
constitué de molécules assez grosses, qui n'interagissent
que par des liaisons peu directionnelles et de faible énergie.
A température suffisamment basse, cette interaction fige
les molécules les unes par rapport aux autres, et on a un
solide. Si l'on élève la température, ces molécules
vont devenir de plus en plus mobiles les unes par rapport aux autres
et vont pouvoir en particulier tourner l'une par rapport à
l'autre ce qui affaiblira fortement leur interaction et leur permettra
de glisser les unes sur les autres.
Mais rien de tel dans l'eau du fait de la présence des nombreuses
liaisons hydrogène. On pourrait penser que certaines de ces
liaisons se rompent, donnant ainsi de la mobilité aux molécules.
Mais le nombre de liaisons à rompre pour arriver à
un tel résultat s'avère beaucoup trop élevé
: en effet, du fait de la grande énergie relative des liaisons
hydrogène, cela nécessiterait une dépense énergétique
bien supérieure à la chaleur qu'il faut effectivement
fournir à la glace pour la transformer en eau liquide. La
spectroscopie infrarouge montre par ailleurs que le nombre de liaisons
hydrogène rompues dans l'eau est très faible, bien
insuffisant pour valider un tel mécanisme. L'image la
plus plausible actuellement est que les liaisons hydrogène
sont tordues. Elle permet d'expliquer d'une manière qualitative
les principales propriétés physiques exceptionnelles
de l'eau, comment elle se contracte quand on la chauffe ou devient
plus fluide quand on la comprime, le tout au voisinage de 0°
Celsius.
Pour aller plus loin, et avoir une théorie suffisamment précise
pour reproduire quantitativement les résultats expérimentaux,
il faudrait connaître le mécanisme à la base
de cette torsion, ce qui n'est pas encore le cas. On ne dispose
donc aujourdhui d'aucune description quantitative de "la
dynamique des molécules H2O",
et on ne peut dire comment ces molécules se positionnent
entre elles ni comment ces positions relatives évoluent avec
le temps. On est incapable destimer de combien l'eau se contractera
avec la température ou se fluidifiera avec la pression. On
ignore par quel mécanisme les molécules peuvent tourner
ou se translater les unes par rapport aux autres. On ne sait donc
pas ce qui fait de leau, à notre échelle, un
liquide ordinaire. Le résultat de tout cela est une prolifération
dans la littérature scientifique d'innombrables articles,
importants mais souvent incompatibles entre eux, qui ont néanmoins
le mérite d'initier ceux qui ne le sont pas à la notion
de chaos....
Yves Maréchal
Département de recherche fondamentale sur la matière
condensée, CEA Grenoble
marechal@drfmc.ceng.cea.fr

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