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3 . Des confusions épistémologiques
caractéristiques L’allusion idéologique est claire. Une variante pose
l’égalité : darwinisme = métaphysique
dans le livre de Phillipp Johnson intitulé « Le darwinisme
en question. Science ou métaphysique ? » (Pierre
d’Angle, 1996). Puis, plus récemment, P. Johnson est passé du
matérialisme comme métaphysique au matérialisme
comme philosophie de la nature : Selon John Wiester, véhément défenseur du mouvement : « le darwinisme, c’est de la philosophie naturaliste qui se fait passer pour de la science ». D’où la position de Nancy R.
Pearcey (autre promotrice du mouvement, et auteur de : « The
Soul of Science :
Christian Faith and Natural Philosophy »), qui en dit long
sur la compréhension qu’ont les américains des
rapports entre la religion et l’école : En présentant la théorie darwinienne de l’évolution
non pas comme une théorie scientifique mais comme une philosophie
naturaliste ou une idéologie, ils améliorent leur stratégie : Johnson veut ignorer le véritable statut du matérialisme en sciences et confond clairement philosophie, proposition métaphysique, idéologie, paradigme et théorie. Il identifie les rôles du paradigme et de la théorie en sciences à celui de l’idéologie ou d’une philosophie qui plieraient la science à leurs besoins. Il y a, en fait, de grandes différences de niveaux et de rôles. La philosophie et l’idéologie siègent d’abord hors des sciences, car elles ont des objectifs et des moyens propres. L’idéologie soumet la science à son objectif primordial de justifier un pouvoir, quel qu’en soit le coût. Paradigme et théorie sont au contraire des éléments de la science en construction, en quelque sorte des parties de son échafaudage, même si les raisons pour lesquelles nous travaillons à l’intérieur d’un paradigme ne sont pas toujours rationnellement justifiées. On sait généralement pourquoi on travaille sur une théorie. On sait moins pourquoi on travaille dans un paradigme. Car le paradigme est l’ensemble des solutions concrètes appartenant à une matrice disciplinaire. Cette matrice est l’ensemble des valeurs, des techniques et des propositions considérées comme valides par une communauté scientifique appartenant à une même discipline à un moment donné. Le paradigme est l’ensemble des solutions d’énigmes auxquelles se réfèrent les membres d’une même discipline (voir « La structure des révolutions scientifiques », de Thomas Kuhn (1970), seconde édition traduite par Laure Meyer chez Flammarion en 1983 ; « La philosophie des sciences au XXème siècle » d’Anouk Barberousse, Max Kistler et Pascal Ludwig, Flammarion, 2000 ; « La science en dix questions », Hors Série du journal Sciences et Avenir n° 133 coordonné par Laurent Mayet , 2002). J. Wells est stratégiquement plus habile que P. Johnson, car il tente de lire des données à la lumière de deux théories prétendument en compétition (tantôt appelées théories, tantôt appelées paradigmes) et de voir lequel des deux est le plus cohérent (même si, techniquement, Wells est maladroit). Johnson a habilement inversé les rapports entre science et philosophie, en subordonnant la première à la seconde. Car en fait, en dehors des sciences, le matérialisme méthodologique n’impose à quiconque aucune philosophie, aucune option métaphysique ni idéologie. La science pour fonctionner n’est subordonnée à aucun matérialisme métaphysique. D’ailleurs, il existe bien des scientifiques qui sont irréprochables dans leur métier et qui ont pourtant choisi pour leur vie privée des options métaphysiques incompatibles avec un matérialisme philosophique. Par ailleurs, libre à certains philosophes de s’inspirer des contraintes inhérentes au matérialisme méthodologique des sciences pour conforter un matérialisme philosophique ; mais cela ne concerne pas la science dans ses méthodes ni dans son projet collectif de construction de connaissances objectives. Finalement, à travers cette inversion et l’intoxication générale produites par Johnson, on comprend l’importance et les enjeux d’une bonne clarification du rôle du matérialisme dans les sciences. Le matérialisme de la théorie darwinienne de l’évolution n’est pas spécifique à cette théorie : c’est le matérialisme de toute démarche scientifique. On n’embête pas les chimistes, les océanographes, les climatologues, les géologues… qui ont tous, eux aussi, leurs théories ancrées dans le même matérialisme scientifique. 4 . La théorie du « Dessein
Intelligent » :
outil d’une volonté théocratique - La nature de la science est faussée :
la théorie
darwinienne est présentée tour à tour comme une
philosophie naturaliste, une idéologie, une opinion, une morale,
une métaphysique, ou encore est présentée sur
un mode déprécié comme n’étant « qu’une
hypothèse », ou « qu’une théorie »,
et dans ce dernier cas c’est pour souligner qu’elle ne
devrait pas être présentée comme « un
fait », montrant par là une incompréhension
des rapports entre faits et théories. La théorie darwinienne
de l’évolution n’est rien de tout cela, elle n’est
pas non plus un dogme ; elle n’est qu’une théorie
scientifique comme une autre. - Le champ de légitimité de la science est faussé. Ce mouvement fait sortir la science de son rôle en la sommant de dicter dans le champ moral et politique ce qui est conforme au « dessein intelligent ». L’indépendance des règles méthodologiques internes à la science vis-à-vis des champs moral et politique est rompue. Si la science se permet de légiférer dans le champ moral et politique, là où seuls des déterminants moraux devraient en principe agir, il faut alors qu’en retour elle s’attende à se voir dicter de l’extérieur ce qu’elle doit trouver. La science mise au service de l’idéologie légifère avec elle mais au prix de s’être préalablement totalement pliée à elle. Les exemples sont multiples. En cherchant à justifier scientifiquement des lois de discrimination raciale, l’anthropologie nazie s’est efforcée de prouver certaines infériorités raciales. En cherchant un soutien scientifique à l’interprétation littérale des textes bibliques, le créationnisme en vient à fabriquer de toutes pièces ses données. - Il est important tout de même de rappeler qu’aucun élément factuel prouvé conformément à une démarche proprement scientifique n’est fourni par les « chercheurs » inscrits au sein du mouvement ID. 5 . Conclusion concernant l’Intelligent
Design Le spiritualisme scientiste La situation française ne saurait être décrite en termes de « créationnisme scientifique », mais à coup sûr en France la science est convoquée par un créationnisme philosophique. Il faut mentionner la résurgence d’un spiritualisme qui se propose de rendre compatibles les faits établis par la science et les dogmes des grandes religions. Ainsi, l’Université Interdisciplinaire de Paris (Voir Le Monde du 2 septembre 2006) organise depuis 1995 plusieurs congrès par an, dont celui d’avril 2002 était intitulé « Science and the Spiritual Quest II ». L’organisation reçut de substantiels soutiens financiers de la désormais puissante fondation Templeton « pour le progrès de la Religion » dans les sciences (voir plus loin). L’objectif de l’UIP n’est pas de prouver scientifiquement l’interprétation littérale d’un texte sacré. L’UIP n’est pas le créationnisme « scientifique », mais commet l’une des entorses créationnistes à l’égard de l’investigation scientifique : la négation du matérialisme méthodologique. L’organisation déclare ce matérialisme obsolète (notamment avec la « déchosification de la matière de B. d’Espagnat, voir ci-dessous) et prophétise le « nouveau paradigme » du XXI ème siècle, celui d'une nouvelle alliance entre science et spiritualité. L’organisation va s’efforcer de mettre en évidence, dans notre compréhension du monde, la convergence de lignes d’argumentation scientifiques et religieuses pour que la science puisse répondre à une « quête de sens ». Science et théologie sont présentées comme les pièces d’un même puzzle, selon les mots du secrétaire général Jean Staune. En même temps, il est entendu que tout phénomène n’ayant pas encore été expliqué par la science officielle reste un champ possible pour un appel à la transcendance (ceci est explicitement écrit dans la revue de l’organisation, « Convergences »). Il y a donc un appel, encouragé par le Vatican, à convoquer la transcendance précisément là où, sur le front de la genèse des connaissances, la science pour être efficace et respectueuse de son propre contrat épistémologique doit au contraire se conformer à la rigueur et à la parcimonie les plus strictes. L’UIP proclame que la science n’interdit pas la recherche du divin, oubliant au passage le principe de parcimonie qui exclut toute hypothèse surnuméraire ad hoc. L’organisation se veut évolutionniste, mais d’un évolutionnisme compatible avec la foi religieuse, où l’homme reviendrait au centre d’un Univers ayant évolué vers lui, dont il est le dessein, et qui permettrait « d’approcher rationnellement la croyance». Toute interprétation des mécanismes de l’évolution faisant appel au nominalisme, à la variation, au hasard et à la sélection naturelle est donc récusée. L’UIP est donc anti-darwinienne, et, selon une double stratégie, d’une part utilise les mêmes objection à l’encontre du darwinisme que celles émises par les créationnistes, mais à d’autres fins ; et d’autre part fédère toute recherche qui tendrait à accréditer un néo-finalisme qui voudrait que l’apparition de l’espèce humaine fut « attendue », en quelque sorte programmée, conformément aux intuitions du père jésuite Teilhard de Chardin. D’ailleurs, en astronomie, l’UIP fédère de la même façon tout ce qui peut favoriser le « principe anthropique fort ». On peut montrer qu’un certain nombre de membres de l’UIP sont en flagrant délit d’imposture intellectuelle, selon la définition qu’ont donné à ce terme Alan Sokal et Jean Bricmont (dans « Impostures Intellectuelles », Seconde Edition, J’ai Lu, 1999 ; pour plus de détails sur cette question voir « Intrusions spiritualistes et Impostures Intellectuelles en sciences », dirigé par Jean Dubessy et Guillaume Lecointre, Syllepse, 2001). |
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