Les recherches actuelles
 
    La génétique des populations

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Michel VEUILLE,
Ecole pratique des hautes études

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Fig. 1 - Descendance attendue de l'escargot jaune dans deux populations

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 





 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Fig. 3 - Schéma d'une chaîne d'hémoglobine
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Fig. 4 - Le saumon pond des milliers d'œufs en une seule fois alors que l'albatros couve un œuf unique tous les 3 ans

 

 

 

 

 


Fig. 5 - Grive, près d'une "enclume" à escargots

 


DÉFINITIONS


Il y a deux manières de définir la génétique des populations.
L'une est précise et longue. La seconde est approchée et simple.


La définition précise est la suivante :
la génétique des populations est l’étude de la distribution et de l'évolution au cours du temps des fréquences alléliques et génotypiques dans les populations.

Et voici la simple :
la génétique des populations est l'étude de la reproduction des populations.


Evidemment, cette dernière est approximative, car le bon sens nous dit que ce sont les individus qui se reproduisent et non les populations. Mais si l'on se rappelle de ce que signifie le mot de "reproduction", on notera qu'il est toujours utilisé de manière approximative en biologie hormis le cas des clones et de la parthénogénèse, car rien, pas même l'individu, ne se "reproduit" à l'identique dès lors qu'intervient la reproduction sexuée. Quand la transmission des caractères suit les lois de Mendel, les descendants ressemblent plus ou moins à leurs parents, au hasard de la transmission des gènes, mais ne leur sont jamais identiques. Au contraire, les populations peuvent rester les mêmes d'une génération à l'autre. Et c'est là le paradoxe. Comment un ensemble peut-il rester le même si ses composantes ne le font pas? C'est la base de la biologie évolutive moderne. Elle fait de la population, non de l'individu, le niveau auquel se décide l'évolution.



POURQUOI L'INDIVIDU SEXUÉ NE SE REPRODUIT PAS IDENTIQUE À LUI-MÊME



Prenons un caractère mendélien, par exemple, la couleur de la coquille de l'escargot des haies Cepaea nemoralis. L'allèle R (rose) est dominant sur l'allèle j (jaune). De ce fait, les individus RR et Rj sont roses, tandis que les individus jj sont jaunes. Supposons qu'un individu jj (jaune) soit présent dans une population où la fréquence de l'allèle j est de 25 %. Etant lui-même homozygote, il ne fournit à ses descendants que des gamètes portant l'allèle j. Il y aura une chance sur quatre pour qu'un partenaire sexuel transmette également l'allèle j. Notre individu jaune aura donc 25 % de chances d'avoir des descendants jaunes (jj) comme lui. Dans une autre population, où la fréquence de l'allèle j serait de 75 %, il aura 75 % de chances d'avoir des descendants jaunes. Donc non seulement les descendants d'un individu ne lui ressemblent pas tous, mais encore, la fréquence de ceux qui lui ressemblent dépend de la population!

Rappels de génétique


POURQUOI LA POPULATION SEMBLE SE REPRODUIRE IDENTIQUE À ELLE-MÊME



Pour répondre à cette question, il faut savoir ce que sont des proportions "binomiales". Dans une population où l'allèle j est de fréquence p, et l'allèle R de fréquence q, on dit que les génotypes sont en proportions binomiales s'ils sont dans les proportions que donneraient des allèles qui se rencontreraient au hasard. Dans ce cas, le génotype jj sera de fréquence p2 (le produit des fréquences élémentaires, p x p), le génotype RR sera de fréquence q2 (le produit des fréquences élémentaires, q x q), et le reste fera la fréquence du génotype jR, soit 
H =1-p2-q2 = 2pq. On appelle H "hétérozygotie", car c’est la fréquence attendue des hétérozygotes. On l'appelle aussi "diversité génétique", puisque c'est également la probabilité que deux gènes tirés au hasard soient différents.

Il est facile de démontrer que toute population, quelles que soient les fréquences des génotypes de la population parentale, tend nécessairement à produire des descendants en proportions binomiales en dehors de tout facteur supplémentaire (sélection, choix des individus à la reproduction, …) qui pourrait contrecarrer les simples lois du hasard.



Ceci est illustré sur le tableau ci-dessus, où la fréquence de l'allèle j est = 0,60. Dans la partie a du tableau, nous partons d'une génération parentale où le génotype jj est de fréquence 0,36. Il engendre donc 36 % de la génération suivante, parmi lesquels 60 % de ses descendants sont de génotype jj (soit 21,6 % de leur génération : 0,36 x 0,60), et 40 % de génotype jR (soit 14,4 % de leur génération : 0,36 x 0,40). Le calcul est semblable pour les autres génotypes. La somme de toutes ces descendances donne une population où les génotypes sont en proportions binomiales : 0,36 jj, 0,48 jR et 0,16 RR.
La partie b du tableau, où la fréquence des génotypes parentaux est différente, donne le même résultat. Il suffit en effet que les fréquences alléliques soient les mêmes dans deux populations pour que les fréquences génotypiques le soient aussi.



LA "LOI DE HARDY-WEINBERG"



Nous voyons pourquoi les populations semblent se "reproduire" par delà les individus. C'est qu'à chaque génération, elles engendrent des génotypes en proportions binomiales. Elles ne se reproduisent pas vraiment, mais se "produisent" toujours de la même façon tant que les fréquences alléliques sont les mêmes. C'est l'illusion que crée l'exemple 2a, où les parents sont en proportions binomiales et les descendants aussi : ces derniers auraient été en proportions binomiales de toutes façons, à moins que les parents ne créent un biais en choisissant leurs partenaires.

Cette tendance des fréquences génotypiques à être en proportions binomiales a été signalée par le statisticien anglais Karl Pearson dès 1903 (trois ans après la redécouverte des lois de Mendel), puis oubliée et retrouvée en 1909 par le mathématicien Hardy et, indépendamment, par le médecin allemand Weinberg. Depuis, on appelle ce principe, très injustement, la "loi de Hardy-Weinberg". On démontre que cet équilibre s'établit en une génération dans les espèces hermaphrodites (comme les escargots, où chaque individu est à la fois mâle et femelle) et en deux générations dans les espèces à sexes séparés. Pour les chromosomes sexuels, l'équilibre est atteint plus lentement.



LA POPULATION COMME UNITÉ D'ÉVOLUTION



Finalement, la raison pour laquelle les généticiens étudient l'évolution au niveau des populations plutôt qu'à celui des individus ne vient pas de ce qu'ils auraient l'esprit particulièrement abstrait, ou de ce que, par largeur de vue, ils aimeraient étudier les choses à un niveau d'organisation élevé. Ils reconnaissent que le principal facteur de l'évolution, la sélection naturelle, agit sur les individus. Mais pour le généticien, ces individus sont une distribution de génotypes. Or, c'est la population qui engendre les génotypes. Les créateurs du mot de "génétique des populations" n'avaient donc pas le choix. L'unité génétique en évolution, c'est la population.

Nous n'avons pas encore parlé de l'évolution. Selon la relecture qu'en a donné le généticien Dobzhansky en 1937, l'évolution se définit comme "tout changement dans la proportion des gènes". Une définition minimale, mais qui a l'avantage de la clarté.


LE HASARD DE LA TRANSMISSION DES GÈNES



Avant la publication de la théorie darwinienne, le mot d'"évolution" était déjà utilisé par les naturalistes. Il servait à exprimer l’idée d’emboitement des germes, une théorie de la fixité des espèces aujourd'hui complètement oubliée. C'était l'idée selon laquelle toutes les générations futures d'un individu étaient contenues à l'état latent dans ses organes reproducteurs, et cela jusqu'à la fin des temps...
Si aujourd'hui une telle thèse était encore d'actualité, elle ne pourrait plus servir à défendre la fixité des espèces. Réfléchissons par l'absurde et supposons que dans une espèce, tous les individus laissent exactement deux descendants pour leur succéder. Leurs gènes seront-ils conservés d'une génération à l'autre? Il faudrait pour cela que chacun des deux gènes du parent soit transmis à un descendant. A l'évidence, ce n'est pas ce qui se produit, et nous le savons tous par expérience! Ainsi, un homme produit en nombre égal des spermatozoïdes portant le chromosome X et le chromosome Y. Comme les mères ne transmettent que des chromosomes X, le sexe de l'enfant à naître dépend de l'X ou de l'Y transmis par le père. Un spermatozoïde X donnera une fille. Un spermaztozoïde Y donnera un fils. Or, chacun a pu constater le résultat dans les familles de sa connaissance : les chromosomes sexuels sont transmis au hasard. Il en résulte qu'un homme ayant deux enfants a seulement une chance sur deux d'avoir à la fois un garçon et une fille. Dans l'autre moitié des cas, il aura soit deux garçons, soit deux filles, et l'un de ses deux chromosomes sexuels aura été non-transmis, donc perdu. Il en va exactement de même pour tous nos chromosomes et tous les gènes qu'ils portent. Du fait que l'hérédité fait intervenir des gènes individualisés (on dit que l'hérédité est "particulaire"), la fixité génétique des espèces est impossible : des lignées de gènes ou de chromosomes s'éteignent à chaque génération. Nous allons voir que cela appauvrirait génétiquement les espèces si des mutations ne restauraient perpétuellement de la variabilité.



LA DÉRIVE GÉNÉTIQUE



En vérité, la part du hasard est encore plus grande que dans l'exemple précédent, car aux aléas de la transmission des gènes s'ajoutent ceux du nombre de descendants de chaque individu. En effet, tout couple n'engendre pas exactement deux descendants, chez l’homme comme chez les autres espèces. Pour faciliter la question, les généticiens utilisent un modèle simple et efficace qu'ils appellent le "modèle de Wright-Fisher", en hommage à deux fondateurs de la génétique des populations.
Il consiste à calculer la probabilité de transmission d'un gène dans le "pool" des gènes, sans considérer les individus. Cette simplification est légitime s'il n'y a pas de sélection naturelle. Soient N individus, et donc un pool de 2N gènes à un locus donné. Si la population est d'effectif stable et que la transmission dépend uniquement du hasard, on calcule que chaque gène individuel a une probabilité de 36,7 % de ne pas être transmis à la génération suivante (rappel mathématique: cette valeur correspond à la probabilité de l'événement zéro dans une loi de Poisson d'espérance E(x) = 1, et se calcule comme E(x = 0) = 1/e = 0,367). Certes, la disparition de la lignée d’un gène n'entraîne pas la disparition de tous les gènes du même type. Ainsi, dans le cas de l'escargot des haies, ce n'est pas parce qu'un escargot jaune n'aura pas de descendant que tous les escargots jaunes disparaîtront. Cependant, aucune population d'escargots n'est infinie. Pour toutes les espèces qui peuplent la terre, l'effectif est "fini". Ces nombreux cas de non transmission de gènes introduisent des fluctuations et sont l’une des manières dont s’exprime le phénomène très général de dérive des fréquences alléliques. Le fait que l'hérédité soit particulaire simplifie les choses en nous ramenant à un problème typique de hasard bien connu en mathématiques : le modèle binomial.
S'il existe un pool de 2N gènes, un allèle de fréquence p verra sa fréquence fluctuer à la génération suivante avec la variance :
p x (1-p) / (2N), expression classique d'un problème de tirage avec remise. Soit une population de 100 escargots des haies où l'allèle j serait de fréquence 0,50. A la génération suivante, sa fréquence aura 95 % de chances d'être comprise entre 0,43 et 0,57, soit un changement appréciable de fréquence que l'on appelle la "dérive génétique". Ce processus se répétant d'une génération à l'autre, les fluctuations déportent les fréquences alléliques de plus en plus loin de leur valeur de départ.

La dérive génétique nous apprend que l'hypothèse nulle de l'évolution n'est pas la fixité des espèces, mais un changement erratique des fréquences. C'est une simple conséquence du fait que l'hérédité est particulaire.



LES MUTATIONS



A force de fluctuer, les fréquences alléliques varient tant et si bien qu'un jour elles rencontrent la valeur zéro ou un : la variabilité disparaît alors au gène considéré. Elle ne peut être restaurée que par mutation. Tous les gènes sont sujets aux mutations, et plusieurs types de mutations existent. Elles peuvent affecter les parties de l'ADN codant pour des protéines (les "gènes"), les zones régulatrices de l'ADN situées au voisinage des gènes, ou les parties qui ne codent pour rien de particulier.

Plutôt que de détailler les multiples façons dont peut varier un fragment d'ADN, il vaut mieux se concentrer sur les trois types de mutations qui nous importent du point de vue de l'évolution : être avantageuses, désavantageuses, ou neutres. La figure 3 montre une chaîne d'hémoglobine ß, telle qu'elle est codée et construite par la machinerie génétique avant d'être repliée et utilisée. Comme toute protéine, elle est constituée d'un enchaînement d'éléments, les acides aminés, dont 20 types différents existent. Les acides aminés figurés en vert et en violet sont ceux qui sont communs à l'hémoglobine ß et à sa protéine sœur, l'hémoglobine alpha. Les gènes codant pour ces deux protéines se sont dupliqués il y a environ cinq cent millions d'années. Certaines positions ne peuvent changer parce que l'acide aminé qu'elles portent est indispensable pour conserver la spécificité de l'hémoglobine. Les positions où une mutation s'est produite (en blanc) sont celles où au moins deux types d'acides aminés (sur les 20 possibles) étaient compatibles avec la fonction de l'hémoglobine. Quand on compare les hémoglobines de plusieurs espèces, certaines positions varient très souvent et d'autres sont strictement inchangées. Les positions variables ont généralement subi des changements "neutres", c'est-à-dire que les deux variants sont d'égale valeur adaptative. Les positions apparemment invariables ont subi autant de mutations que les autres, mais n'ayant pas survécu : là où un acide aminé donné est indispensable, il ne peut être remplacé par nul autre. On dit que la position est "contrainte".

Les acides aminés figurés en violet sont des mutations observées à faible fréquence chez l'homme. Elles affectent la relation entre l'hémoglobine et l'ion ferrique (Fe+++) qui lui est indispensable pour transporter l'oxygène dans le sang. Ces mutations sont très invalidantes et sont rares dans la population humaine. On dit qu'elles sont "délétères". La mutation figurée en jaune est un variant neutre rencontré chez l'homme. Il ne semble pas modifier le fonctionnement de l'hémoglobine.
La mutation figurée en rouge, appelée Hbs (ou "hémoglobine à hématies falciformes"), est très particulière. L'homozygote pour cette mutation souffre d'une forte anémie. La mutation est donc désavantagée à forte fréquence, car la fréquence des homozygotes (q2) devient importante. Cependant, l'hétérozygote a un avantage. Dans les régions où le paludisme (maladie parasitaire du sang) est fréquent, il résiste mieux au parasite que tous les autres génotypes. De ce fait, cette mutation reste de fréquence intermédiaire dans les régions marécageuses d'Afrique tropicale fortement impaludées. Quand l'allèle est rare, sa fréquence augmente. Quand il est trop fréquent, elle baisse. C'est ce qu'on appelle un "polymorphisme équilibré".

Il existe aussi des mutations entièrement avantageuses. Celles-ci ont permis à la molécule d'hémoglobine d'évoluer quand les conditions de vie des organismes ont changé. Nous vivons dans un monde où l'oxygène est une ressource chimique importante pour l'énergie organique. Mais au fond des mers, à proximité des "fumeurs" où des gaz sortent du plancher des océans, des écosystèmes se sont construits sur le soufre, et les vers qui y vivent ont une hémoglobine à la séquence très différente de la nôtre, bien que sa lointaine parente. Elle est adaptée à fixer aussi bien l’oxygène que les sulfures.



L'ÉQUILIBRE DU POLYMORPHISME NEUTRE : ENTRE MUTATIONS
ET DÉRIVE



Les mutations sélectionnées ne font qu'un court passage dans le populations naturelles : beaucoup de mutations sont délétères et sont éliminées. Quelques mutations sont avantageuses, et sont fixées. Les mutations neutres fluctuent au hasard, aucun facteur ne contrariant leur dérive. Dans toute espèce, un équilibre s’instaure entre mutations neutres et dérive génétique, engendrant la variabilité caractéristique de l’espèce, nommée "polymorphisme". Rappelons que le polymorphisme d’une population se mesure par la "diversité génétique", symbolisée par H.
Soit µ le taux de mutation neutre par génération en un gène donné. Dans un pool de 2N gènes, 2 mutants nouveaux apparaissent à chaque génération. On peut démontrer que sur le long terme, la diversité génétique à ce locus atteint un équilibre égal au double de cette valeur (soit 4). Chez la plupart des vertébrés, cette valeur est d'envion 10 % pour les protéines. On pense souvent que le polymorphisme représente un potentiel d’adaptation pour l’espèce, car un allèle neutre dans un environnement donné pourra s’avérer utile un jour dans un autre environnement. Cependant, ce principe n’a certainement pas de portée générale. Certaines espèces sont pratiquement dénuées de polymorphisme des protéines. On dit qu’elles sont "monomorphes". Chez les vertébrés, c’est le cas du guépard (Acynonix jubatus). C’est aussi le cas de la plupart des insectes sociaux, malgré leur incontestable succès évolutif.



L'EXCÈS REPRODUCTIF DES ESPÈCES



Lorsque Darwin énonça la théorie de la modification des espèces par sélection naturelle en 1859, il supposait remplies trois conditions.

D'abord, il fallait qu'existe un surplus de naissances par rapport au nombre de descendants nécessaires pour reproduire la population, engendrant ainsi une "lutte pour l'existence".
Ensuite, il fallait qu'existent des variations héritables.
Enfin, il fallait que les variations aient un effet différentiel sur l'adaptation.

En termes modernes, ces trois conditions peuvent être formulées de la façon suivante : il faut un excès de potentiel de productif, des mutations, et une sélection différentielle des génotypes.

De ces trois conditions, le principe de lutte pour l'existence est celui qui a le plus choqué les contemporains de Darwin, car il donnait l'image d'une Nature sans providence. Selon le mot de son contemporain Huxley, "la Nature n'est ni morale, ni immorale, mais a-morale". Elle paraissait désenchantée, car son principal mécanisme reposait sur la compétition entre entre individus de même espèce, et non plus sur les oppositions simples entre espèces différentes qu'impliquaient les conceptions antérieures sur l'équilibre de la Nature. Notons cependant que si cette compétition est requise, rien n'est dit de son niveau. Par exemple, un couple de saumons émet en une seule fois des milliers d'œufs. Un couple d'albatros couve un œuf unique tous les deux ou trois ans. Dans les deux cas, le maintien des populations exige simplement le remplacement des parents, ce qui revient à engendrer, sur la longueur d'une vie, deux nouveaux reproducteurs de même fertilité. Mais il ne faudrait pas en conclure que les saumons évoluent plus vite que les albatros. Ce n'est pas l'amplitude de l'excès reproductif qui détermine la vitesse de l'évolution génétique. La "lutte pour l'existence" et la "sélection naturelle" sont deux éléments distincts dans la pensée darwinienne.



LA SÉLECTION NATURELLE



Selon l'environnement où se trouvent les populations, certaines mutations peuvent être tour à tour désavantageuses, neutres, ou avantageuses. Par exemple, la coquille jaune de l'escargot des haies semble avoir un avantage sur la couleur rose dans les prairies herbeuses, mais un désavantage dans les forêts. Pourquoi? La raison semble en être la chasse à vue par les oiseaux. Les grives chassent parfois les escargots, les pincent dans leur bec et les transportent vers des pierres sur lesquelles elles cassent les coquilles pour en vider le contenu. Le pourtour de ces "enclumes" à grives est jonché de débris. La fréquence des génotypes d'escargots parmi ces coquilles diffère de celle de la population alentour, montrant qu'il existe une sélection visuelle par les prédateurs.

Des trois composantes de la sélection naturelle, laquelle est, dans les faits, le facteur limitant de la vitesse d'évolution? Est-ce le taux d'apparition des mutations avantageuses? Est-ce l'excès reproductif? Est-ce le changement des conditions d'environnement? Nul ne le sait aujourd'hui. C'est l'un des mystères qui restent à résoudre pour la génétique des populations.





 
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