La fourmi, la blatte et le robot!
Le tout vaut plus que la somme des parties.
Les insectes sociaux comme les fourmis, les termites, les abeilles, les guêpes, ou pré-sociaux comme les blattes, valident à eux seuls ce vieil adage emprunté à Confucius. Prenons l’exemple d’une société de fourmis : si chaque individu peut être qualifié de relativement primaire, la collectivité parvient à s’organiser de manière exemplaire pour se répartir les tâches et résoudre des problèmes souvent très complexes ! En effet, chaque fourmi a un fonctionnement simple et dispose seulement d’une parcelle des informations nécessaires pour résoudre le problème. Et pourtant, la société construit des décisions collectives appropriées et arrive ainsi à des résultats impressionnants pour qui a déjà observé de près une fourmilière.
Depuis une quinzaine d’années, de nombreux chercheurs dans le monde travaillent sur ces colonies animales dans un but précis : comprendre cette forme d’intelligence dite «en essaim» et parvenir à l’utiliser. Et là, la robotique est partie prenante. Chargé de recherche au Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA), basé à Toulouse, Guy Théraulaz est le précurseur en France de cette nouvelle approche : "La robotique collective constitue une alternative à l’utilisation systématique d‘un robot unique, ultrasophistiqué, muni de nombreux capteurs et d’algorithmes très complexes de navigation et de prise de décision, explique-t-il. En effet, pourquoi ne pas envisager d’envoyer une multitude de mini-robots, simples mais capables de s’organiser sur le modèle d’une société d’insectes, explorer Mars ou les fonds des océans ?"
Outre son efficacité prouvée par la capacité des insectes à coloniser des milieux très différents et souvent extrêmes, cette collectivité de petits robots présenterait l’avantage de ne pas souffrir de la défaillance d’un ou plusieurs individus. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas lorsqu’un robot porte à lui seul la responsabilité d’une mission…
Infiltrer des robots au sein d’une colonie de blattes pour la contrôler : mais attention, la communication n’est pas à sens unique !
La première étape de ce vaste projet consiste à simuler des sociétés mixtes, composées d’insectes réels et de robots à leur image. Les recherches de M. Théraulaz l’ont ainsi amené à étudier l'impact de l'introduction de micro-robots au sein d’une collectivité de blattes : "Nous cherchons d’une part à modéliser les comportements de ces animaux et, d’autre part, à influencer voire contrôler les décisions du groupe grâce à nos robots".
Pour cela, les chercheurs disposent de petits agents très efficaces, les micro-robots Alice, dont les dimensions sont environ 21x19x18 mm, construits par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en collaboration avec le CRCA, et dans lesquels ils ont injecté les lois de comportement des blattes. Les modèles informatiques développés à Toulouse ont montré en effet que l'intégration de micro-robots jouant le rôle de leurres et intégrés au sein d'un groupe de blattes pouvaient contrôler le choix du groupe vers un abri.
En parallèle, l’équipe de Guy Théraulaz participe au projet européen Leurre qui vise quant à lui à créer une blatte artificielle capable de faire des choix par elle-même et d’influer sur les décisions collectives d’une société mixte. Et si les insectes communiquent souvent par phéromones interposées, les chercheurs ont privilégié un autre mode de transmission : "Nous avons opté pour les contacts antennaires, explique Nadine Piat, chercheuse au Laboratoire d’automatique de Besançon (LAB) qui participe au projet Leurre. En effet, lorsque les antennes du robot sont en contact avec une blatte, la réaction de celle-ci ne se fait jamais attendre. Ce sont ces stimuli, mis en évidence par des éthologistes, qui nous permettront de déclencher des comportements chez les insectes. De quoi espérer piloter une colonie de blattes dans les prochaines années…" Mais la communication n’est pas à sens unique : en effet, le robot-blatte est également sensible à ce genre de stimuli, ce qui lui permet d’ailleurs de s’intégrer à la collectivité.
Une chose est sûre : la robotique «distribuée» a de beaux jours devant elle. Il reste juste à patienter, le temps que les mentalités presque exclusivement tournées vers le modèle du robot unique évolue un peu. Il sera alors temps d’observer des centaines voire des milliers de ces micro-robots explorer mers, volcans et planètes.
Prototype de leurre artificiel
Développement d'une architecture de contrôle hiérarchique et réactive pour le transport coopératif d'objets
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Contacts :
Guy Théraulaz, Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA), guy.theraulaz@univ-tlse3.fr
Nadine Piat, FEMTO-ST, Besançon, nadine.piat@ens2m.fr
Site Web du CRCA : 
Site Web du projet Leurre :
Voir aussi


l'article "La stratégie de l'araignée" sur le site

Références d’ouvrages :
- BONABEAU, E., DORIGO, M. & THERAULAZ, G. 1999. Swarm Intelligence: From Natural to Artificial Systems. Oxford University Press.
- CAMAZINE, S., DENEUBOURG, J.L., FRANKS, N., SNEYD, J., THERAULAZ, G. & BONABEAU, E. 2001. Self-Organization in Biological Systems. Princeton University Press.
- BONABEAU, E. & THERAULAZ, G. 1994. Intelligence Collective. Hermès, Paris, 288 p.
- THERAULAZ, G. & SPITZ, F. 1997. Auto-organisation et comportement. Hermès, Paris, 320 p.