Les moustiques constituent l'un des principaux vecteurs épidémiques
Les moustiques constituent l'un des principaux vecteurs épidémiques© WikiImages / Pixabay

« Nous allons proposer la stratégie de recherche One Health française »

Institutionnel

Tandis qu’un sommet scientifique international sur le concept « One Health » a lieu à Lyon, les agences de programmes confiées au CNRS, à l’Inrae et l’Inserm viennent de lancer une prospective sur le sujet. Entretien avec son coordinateur.

Du 2 au 5 novembre se tient à Lyon le troisième forum Une Santé Durable pour Tous, sommet scientifique international autour du concept de « One Health ». De quoi s’agit-il ? 

Eric Cardinale1  : Ce concept désigne la reconnaissance et l’interdépendance des liens entre la santé animale et la santé humaine au sein d’un même environnement. Concrètement, on fait travailler ensemble des médecins, des vétérinaires, mais aussi des entomologistes, des sociologues… afin d’aborder la santé sous un angle très large. Cette approche holistique et intégrative permet tout à la fois de prévenir et contrôler les maladies zoonotiques, lutter contre la résistance aux antibiotiques, consolider la sécurité alimentaire ou encore protéger la biodiversité et les écosystèmes.

J’ai moi-même découvert la plus-value de cette approche au cours d’un travail au long cours dans un ensemble d’îles au sud-ouest de l’océan Indien. J’y travaillais alors au sein du réseau Sega (Surveillance des épidémies, gestion des alertes), créé en 2009 et financé par l’Agence française de développement. Ce réseau était d’abord consacré à la surveillance des maladies infectieuses humaines, avant que nous ne parvenions à partir de 2013 à l’élargir aux maladies zoonotiques et animales, mal connues des directions de santé humaine, grâce à ma formation initiale de vétérinaire. Cette intégration des compétences a permis d’identifier très tôt dans un village des Comores quelques cas de transmission inter-espèces de la fièvre de la vallée du Rift, une maladie hémorragique virale qui se transmet des ruminants aux humains. Grâce à cette identification précoce, nous avons réussi à bloquer l’émergence de l’épidémie chez les populations humaines par une collaboration entre les secteurs de la santé humaine et de la santé animale.

Le terme s’est depuis quelques années imposé dans les discussions internationales et le vocabulaire onusien. À quand remonte-t-il ? 

E. C. : Même si le terme n’existait pas encore, le concept de One Health remonte au XVIIIe siècle, où l’on ne séparait pas les médecines humaine et vétérinaire. La distinction puis l’hyperspécialisation arrivent plus tard, aux XIXe et XXe siècles.

  • 1Directeur scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Prévenir la transmission de la grippe aviaire des oiseaux aux humains nécessite une approche One Health
Prévenir la transmission de la grippe aviaire des oiseaux aux humains nécessite une approche One HealthRoee Shpernik / CC BY-SA 4.0

One Health revient sur la table au début des années 2000, à l’occasion de la crise de la grippe aviaire en Asie du Sud-Est. La pandémie de Covid-19, qui a mis en lumière l’interdépendance entre santé humaine, santé animale et santé environnementale, achève de consacrer le terme. Depuis 2021, la quadripartite, représentée par l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale, l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture et le Programme des Nations unies pour l'environnement s’est doté d’un organe dédié, le One Health High Level Expert Panel. Il est particulièrement utile quand on sait qu’aujourd’hui, les zoonoses représentent 60 % de toutes les maladies infectieuses et 75 % des maladies infectieuses émergentes.

La France a-t-elle intégré ce concept à ses outils sanitaires et scientifiques ? 

E. C. : La France a pris ce sujet à bras-le-corps, en témoigne l’initiative internationale Prezode lancée par le Président de la République en 2021, à l’occasion du One Planet Summit sur la biodiversité, qui regroupe aujourd’hui 170 partenaires, dont 15 gouvernements.

Depuis lors, toutes les disciplines scientifiques s’en sont emparées, au sein d’un continuum allant des sciences de la vie et de la santé aux sciences humaines et sociales, en passant par les sciences de l’environnement, les mathématiques et l’informatique. Il existe de fait plusieurs axes de recherche : comprendre les interdépendances et les interfaces, à l’image des réservoirs animaux ; modéliser pour mieux prévenir ; identifier les déterminants sociaux et économiques, d’où l’importance d’une surveillance participative afin de rendre acceptables les mesures innovantes issues de projets de recherche ; développer des outils et des méthodes, par exemple le dispositif « Surveillance active de la grippe aviaire » ; et surtout viser leur mise en œuvre opérationnelle, à travers des projets de recherche collaboratifs, de la formation et du conseil aux politiques publiques.

Les moustiques constituent l'un des principaux vecteurs épidémiques
Les moustiques constituent l'un des principaux vecteurs épidémiques© WikiImages / Pixabay

Quant au système de santé français, il a officiellement vu la reconnaissance de l’approche One Health depuis la stratégie nationale santé 2023 – 2033. Des structures clés – l’Anses, Santé publique France et les ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Recherche – ont depuis créé une task force sur ce sujet. Pour autant, on n’a pas fini de briser les silos, car peu de gens encore mettent en œuvre concrètement l’approche One Health.

Dans ce contexte propice à One Health, les agences de programmes confiées au CNRS, à l’Inrae et à l’Inserm ont lancé une prospective sur le sujet, dont vous avez été nommé coordinateur. D’où provient-elle ? et à quelles finalités répond-elle ?

E. C. : Ces trois agences – « Climat, biodiversité et sociétés durables » pour le CNRS, « Agriculture et alimentation durables, forêts, et ressources naturelles associée » pour Inrae et « Agence de programmation de la recherche en santé » pour l’Inserm – travaillent au croisement des santés, de la biodiversité et du changement climatique. L’approche One Health conciliait leurs travaux respectifs, aussi ont-elles jugé important de travailler ensemble, l’Anses coordonnant le tout, pour éviter les redondances et identifier les angles morts.

En pratique, nous allons mener deux axes de travail. Le premier porte sur les données des différentes santés, sujet extrêmement sensible. Leur fragmentation et leur hétérogénéité entravent la détection précoce de maladies émergentes, car on a besoin de données solides pour éclairer les politiques publiques. Il faut donc accéder à l’ensemble des données, les partager et les standardiser dans un souci de FAIRisation1  pour que l’approche One Health fonctionne.

Le second axe de travail porte sur les Outremers. Ceux-ci concentrent 5 des 34 hotspots de biodiversité définis par l’UICN. Or, ces territoires sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques, qu’il s’agisse de la montée des eaux, de l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes ou encore de l’expansion des vecteurs infectieux, comme le moustique-tigre à La Réunion, dont la moitié de la population est désormais victime de chikungunya. Ces économies ultra-marines abritent par ailleurs des systèmes agricoles et de consommation spécifiques à questionner d’un point de vue One Health, aussi bien des plantations – les monocultures de bananes en Martinique qui ont longtemps été traitées au chlordécone – que des pratiques coutumières de chasse – comme la chasse au tangue, un hérisson malgache à La Réunion.

L’objectif de ce groupe de travail est de proposer la stratégie de recherche One Health française. Nous publierons nos premiers rendus en fin d’année et visons la sortie d’un document stratégique sous deux à trois ans. Nous ne voulons pas verser dans un énième one health washing, tant le terme est galvaudé ces dernières années, mais nous montrer rapidement opérationnels. 

  • 1La FAIRisation est le processus qui permet de rendre les ressources logicielles Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables. Cette démarche transforme les données de recherche en ressources exploitables automatiquement par les humains et les machines, augmentant ainsi leur potentiel scientifique et leur impact dans le mouvement de la science ouverte.
La chasse au tangue à La Réunion peut représenter un vecteur épidémique
La chasse au tangue à La Réunion peut représenter un vecteur épidémique© Animalia