COVID-19 : la riposte de l'Europe de la recherche

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Entre les nombreuses mesures sanitaires et économiques annoncées par l’Union Européenne pour faire face à la pandémie, une riposte coordonnée de l’Europe de la recherche s’est mise en place très rapidement et se consolide de jour en jour.  Explications avec le directeur du bureau du CNRS à Bruxelles, Pascal Dayez-Burgeon.

La réponse politique de l’UE à la crise du COVID-19 a été plutôt critiquée, notamment en mars alors que l'Italie était frappée de plein fouet. En a-t-il été de même pour l’Europe de la recherche ?
Pascal Dayez-Burgeon :1  Le monde de la recherche, lui, a réagi très vite à la crise sanitaire, au niveau national bien sûr, mais aussi en activant le réseau européen des partenariats. Dès la mi-février, la JTI Innovative Medicines Initiative2  a ainsi lancé un appel d’offre de 90 millions d'euros destiné à accélérer le développement de thérapies et de diagnostics contre les infections consécutives au coronavirus. À l’instigation de Mariya Gabriel, commissaire en charge de la recherche et de l’innovation, la Commission s’est d’emblée mobilisée en lançant un appel d’offre de 48,5 millions d'euros ciblé coronavirus qui a permis, dès le début mars, de sélectionner puis de financer 18 projets (diagnostic, traitements et vaccins pour le COVID-19, épidémiologie et dynamique sociale de la maladie). Elle a ensuite impliqué le futur EIC (European Innovation Council, en phase pilote) à hauteur de 148 millions d'euros. Jointes aux projets déjà en cours, immédiatement publiés sur les sites respectifs de la Commission et du Conseil européen de la recherche (ERC), ces mesures prouvent que l’Europe de la recherche traite la crise en priorité absolue.

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Mariya Gabriel, commissaire européene à l'innovation à la recherche, la culture, l'éducation et la jeunesse. ©CC-BY-4.0: © European Union 2019 – Source: EP

Aujourd'hui, l'Europe de la recherche semble vraiment proactive notamment avec son plan d'action ERAvsCorona. De quoi s'agit-il et quelles en sont les principales mesures?
P. D-B : Pour l’aider à mettre en œuvre les réponses scientifiques appropriées à la crise, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dispose de son « Coronavirus response team », qui réunit, chaque jour depuis le 2 mars, les principaux commissaires concernés, dont Mariya Gabriel, et d’un groupe consultatif de sept experts, où Arnaud Fontanet, spécialiste en épidémiologie des maladies infectieuses et tropicales à l’Institut Pasteur siège au titre de la France.

À leur instigation et en coopération avec les ministres de la recherche des 27 État membres, régulièrement consultés par vidéo-conférence, la Commission a proposé un Plan d’action d’urgence qui a été adopté le 7 avril. Baptisé « ERA versus Corona », il comprend 10 mesures concrètes, parmi lesquelles :  la constitution d’une task force pour coordonner les programmes de recherche et en initier de nouveaux ; le soutien à de grands essais cliniques à l'échelle de l'UE ; le partage systématique des données ; un « Hackathon », c’est-à-dire un marathon en ligne, pour inciter les innovateurs et la société civile à soutenir l’effort collectif de recherche et d’innovation; et la lutte contre les « fake news », en coopération avec les grands médias sociaux.

Une des priorités d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est d’accélérer la mise au point d’un vaccin et d’un traitement pour vaincre le Coronavirus. Quelles sont les principales actions dans ce domaine ? 
P. D-B : La Commission s’est efforcée depuis le début de la crise de mobiliser toutes les ressources disponibles. Outre les budgets dont elle dispose en propre, elle va organiser le 4 mai prochain une journée en ligne de levée de fonds auxquels sont conviés les États membres, les membres du G7 et du G20, l’OMS et des fondations comme notamment la Fondation Bill et Melinda Gates ou le Wellcome trust.

Outre les projets de recherche évoqués plus haut, la Commission soutient tout particulièrement la société biopharmaceutique allemande CureVac, basée à Tübingen, qui a développé une technologie innovante pour surmonter l'un des plus grands obstacles à l'utilisation des vaccins: la nécessité de les maintenir stables sans réfrigération. Celle-ci consiste à recourir aux molécules d'ARN messager3 (ARNm) pour stimuler le système immunitaire. Des études préliminaires ont montré que cette technologie était très prometteuse pour apporter une réponse rapide au COVID-19. CureVac a d’ores et déjà reçu début mars un soutien de 80 millions d'euros par la Banque européenne d’investissement. 

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Le bâtiment Berlaymont où siège la Commission européenne à Bruxelles. ©pixabay

La recherche européenne est dans une posture assez difficile, car le budget du prochain programme cadre pour la recherche et l'innovation Horizon Europe n'est pas encore finalisé, et certains pensent que la crise du COVID pourrait rebattre les cartes sur les priorités. 
P. D-B : Le budget européen ou, comme on dit en termes bruxellois, le Cadre financier pluriannuel (CFP), fait l’objet, tous les 7 ans, d’âpres tractations. Deux débats de fond sont aux cœur des négociations qui ont commencé en 2018 pour la période à venir (2021 à 2027). Le montant du budget oppose les partisans de la frugalité, c’est-à-dire d’un statu quo budgétaire autour d'1 % de la richesse produite par l’Union (1,074 % pour être exact), à des États qui, comme la France, souhaitent accélérer l’intégration européenne et par conséquent accroître ses marges de manœuvre budgétaires. Mais la question de l’affectation du budget entre les trois domaines d’intervention majeurs que sont la PAC (politique agricole commune), la politique d’intégration et la recherche, est toute aussi ardue. Espéré sous présidence croate (qui s’achèvera le 30 juin), un compromis était plutôt attendu en fin de présidence allemande (juillet à décembre 2021), pour pouvoir démarrer la période 2021-2027 en temps et en heure.

L’épidémie sanitaire remet tout en cause et pose actuellement plusieurs questions. Compte tenu des urgences, beaucoup doutent que le Parlement et le Conseil, qui représentent les États membres, parviendront à trouver un compromis sur le budget de la recherche cette année. Dans ce cas, les négociations se prolongeraient en 2021 et les grandes lignes du budget actuel seraient provisoirement reconduites. Mais surtout, quel en sera le montant, étant donné que certains États, comme l’Allemagne,  semblent désormais se rallier à la nécessité de mieux financer l’Europe pour faire collectivement face à la crise actuelle et aux chocs à venir. 

Du budget global, dépend celui de la recherche. Les chercheurs et chercheuses, dont la crise a souligné le rôle crucial, plaident en faveur d’un budget ambitieux qui permettrait à Horizon Europe, le programme qui va succéder en 2021 à Horizon 2020, d’atteindre voire de dépasser les 100 milliards d'euros. Mais cet objectif résistera-t-il à l’impérieuse nécessité de relancer la machine économique ? La Commission s’est déjà engagée à hauteur de 37 milliards d'euros pour soutenir les systèmes de santé nationaux, mais aussi les PME et le marché du travail (Corona Response Investment Initiative) et compte accroitre ces efforts en lançant « un nouveau Plan Marshall pour l’Europe » comme l’a proposé la présidente von der Leyen, le 4 avril dernier. Certains craignent donc un statu quo budgétaire pour la recherche qui se contenterait de reconduire pour Horizon Europe le budget d’Horizon 2020, c’est-à-dire 80 milliards d'euros.

Quant aux priorités du prochain budget de la recherche, qu’en sait-on aujourd’hui ?
P. D-B : C’est une autre question cruciale. Outre le montant, la crise remet en cause l’affectation du budget de la recherche qui couvre aussi l’innovation. Sous Horizon 2020, l’innovation avait le vent en poupe. Cela sera-t-il encore le cas pour Horizon Europe puisque ses effets sur l’économie sont mesurables à court terme ? Ou le curseur sera-t-il déplacé en faveur de la recherche fondamentale et à long terme, cruciale en termes sanitaires, mais sans retours immédiats ? Beaucoup s’interrogent aussi sur le Green deal : la recherche médicale au sens large pourrait-elle lui ravir la priorité ? Quid, également des sciences sociales ? Seule l’évolution de la situation durant les mois à venir permettra de trancher ces questions.

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Le "G6" à Bruxelles en mars 2020 en présence de la commissaire Mariya Gabriel. Gauche à droite: Antoine Petit, Rosa Maria Menéndez López, Otmar Wiestler, Mariya Gabriel, Luca Moretti, Martin Stratmann, Matthias Kleiner. ©P. Nedellec

La démission récente de Mauro Ferrari de la présidence de l’ERC en pleine crise sanitaire ne risque-t-elle pas d’affaiblir ce programme phare de la recherche européenne ?
P. D-B : Il est vrai que la démission de Mauro Ferrari, trois mois à peine après sa prise de fonction, a fait couler beaucoup d’encre bruxelloise. Elle n’a toutefois pas éclipsé l’urgence sanitaire qui demeure le véritable enjeu du moment. Et elle a été trop rapide pour écorner le bilan de l’ERC, qui est incontestable, ni ternir sa réputation internationale qui en a fait un des labels de l’excellence scientifique européenne. 

Les soutiens en faveur de l’ERC, du son Conseil scientifique et de ses équipes, ont d’ailleurs été très nombreux, à commencer par celui du G6, ce groupe informel lancé en 2018 et qui regroupe les 6 principaux organismes de recherche européens interdisciplinaires que sont le CNR italien, le CSIC espagnol, les associations Leibniz, Helmholtz et Max-Planck allemandes et le CNRS. C’est qu’avec ses 135 000 scientifiques que le G6 totalise à ce jour près de 1 400 lauréats de l’ERC soit 20 % du total des bourses depuis sa création en 2007 !  

Intitulée « Le futur de la recherche en Europe dépend du succès de l’ERC » et destinée à la commissaire Gabriel, au Parlement et à la Commission, la nouvelle déclaration du G6 souligne le rôle crucial que joue la recherche fondamentale dans notre société et rappelle ses principes fondamentaux : excellence, logique « bottom-up » et priorité aux recherches de rupture. Dans le budget « post coronavirus » qui sera finalement alloué à Horizon Europe, les présidents du G6 recommandent donc de ne pas sacrifier la recherche fondamentale et de soutenir l’ERC qui en est un des fleurons les plus reconnus. Il en va de l’avenir de la recherche européenne, de sa crédibilité et, question clé, de sa souveraineté.

Nous connaissons bien la réponse du CNRS face à la crise du COVID-19—en termes de recherche mais aussi d'actions de solidarité. Que pouvons nous dire des actions de nos partenaires européens ? 
P. D-B : Tous les grands organismes de recherche européens se sont mobilisés pour lutter contre le Coronavirus en renforçant leurs propres recherches et en s’impliquant davantage dans les partenariats européens. Leurs actions qu’ils mènent sont détaillées jour après jour sur leur site, sans prendre toujours le temps, étant donné l’urgence, de les traduire en anglais.

Pour ce qui est des membres du G6 avec lesquels le CNRS a mis en place une cellule  d’échange d’informations hebdomadaires (via les bureaux de Bruxelles), on peut noter le souci partagé d’informer sur les enjeux scientifiques de l’épidémie et la mobilisation des équipes de recherche mais aussi la volonté de servir de sites de référence pour les citoyens en revenant sur l’ensemble des consignes sanitaires et en apportant des éléments aux débats que suscite l’épidémie.

  • 1Directeur du bureau des Bruxelles depuis avril 2015, ancien secrétaire de la Stratégie nationale de recherche au MESRI, ancien conseiller cuturel à Séoul et dans le Pacifique Sud.
  • 2Une JTI (Joint Technology Initiative), est un partenariat public-privé qui permet de lancer des appels à proposition cofinancés. Il en existe actuellement 8 : Bio-based Industries, Clean Sky, Electronic Components and Systems for European Leadership (ECSEL), Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking (FCH JU), Innovative Medicines Initiative 2 (IMI 2), Single European Sky (SESAR), Shift2Rail et Euro High-Performance Computing (EuroHPC).
  • 3Les ARN Messagers (acides ribonucléiques messagers) sont de petites molécules organiques qui jouent un rôle important dans les processus biologiques : ils permettent aux cellules de fabriquer des protéines indispensables à la vie.

Quelques mesures d’organismes de recherche européens pour faire face à la crise sanitaire

Le CNR a ainsi mis en place une web TV mise qui donne des conseils sanitaires et contribue aux débats de société que pose l’épidémie et les mesures barrières adoptées pour la combattre (https://www.cnr.it/it/speciale-coronavirus-2020)

Le CSIC, qui a adopté le logo «este virus : lo paramos unidos » (« Unis contre le virus »), met l’accent sur le mobilisation conjointe des chercheurs et de le société civile (donations et science participative) (https://www.csic.es/es/palabras-clave/coronavirus)

La Helmholtz tient à jour une rubrique « fact and figures » sur les statistiques européennes de l’impact du Coronavirus et détaille l’application sur smartphone qu’il a mise en place en 2014 pour le virus Ebola et pourrait être bientôt utilisée pour le Coronavirus (https://www.helmholtz.de/en/current-topics/coronavirus/)

La Leibniz donne des informations pratiques et cible notamment les jeunes (https://www.leibniz-hki.de/en/corona-virus.html)

La société Max Planck propose des tribunes quotidiennes sur le Coronavirus, ses aspects scientifiques mais aussi ses implications politiques et sociales (question des Coronabonds, l’épidémie face au droit, conséquences économiques et sociales de l’épidémie) (https://www.mpg.de/14642203/corona)