Un jour avec les directeurs d’unité du CNRS

CNRS

Pour la première fois, le CNRS a réuni le 1er février, à Paris, un millier de directrices et directeurs de laboratoire. Retour sur cette journée exceptionnelle qui s’est tenue à la Maison de la Mutualité.

Vendredi 1er février, 8 h 30. Devant les portes de l’auditorium, plusieurs centaines de directrices et directeurs défilent et se saluent. Pour certains d’entre eux, comme Jane Lecomte, directrice de l’unité Écologie, systématique et évolution1 , cette journée est l’occasion de rencontrer le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit : « J’attends du président qu’il nous parle de sa vision de la politique scientifique. L’anniversaire des 80 ans est aussi l’occasion de revenir sur l’histoire de l’organisme. » D’autres, comme Maud Rotger, directrice du Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique2 , se réjouissent « d’échanger avec les collègues. J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer les directeurs d’unité de la délégation Centre-Est. Cela nous a permis de discuter de notre vie en laboratoire, des choses faciles comme des plus difficiles », explique-t-elle en souriant. En prenant place dans la salle, tous attendent aussi avec impatience le discours d’un invité de dernière minute : le Premier ministre Édouard Philippe.

Pour Antoine Petit qui accueille le chef du gouvernement, c’est l’occasion de rappeler l’importance de donner les moyens à la recherche française de conserver sa place sur la scène internationale. Avant de dresser la liste des priorités pour le CNRS : les partenariats académiques, les relations avec la société et le monde économique, la pluridisciplinarité et l’ouverture internationale. Il annonce au fil de son discours la création d’une fondation CNRS pour faciliter les dons des citoyens envers l’organisme et celle, à l’étude, d’un fonds d’investissement dédié à la deep-tech.

Le Premier ministre n’est pas venu les mains vides. Il annonce la mise en place d’une loi de programmation pluriannuelle pour la recherche qui sera présentée au Parlement en 2020 et dont le chantier est confié à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal. Trois groupes de travail devront remettre au gouvernement des propositions pour renforcer les capacités de financement de la recherche, adapter ses politiques de ressources humaines et développer sa recherche partenariale. Mais il faudra « faire des choix », souligne Edouard Philippe à l’attention des représentants du monde académique, présents en nombre dans l’assemblée. « La création d’une loi de programmation pluri­annuelle est une très bonne chose si elle garantit un certain nombre de postes aux chercheuses et chercheurs, estime Katia Genel, directrice adjointe du Centre Marc Bloch3 à Berlin. Il n’y a rien de plus déstabilisant pour un chercheur qu’un manque de perspectives d’avenir. » Une loi pour laquelle le Premier ministre invite les scientifiques à s’engager. « Si l’on m’interroge, je répondrai. Je préfère être moteur des choses », rapporte Hubert Perrot, directeur du Laboratoire interfaces et systèmes électroniques4 .

Objectif simplification

Sur scène, un dialogue sur la politique de la recherche s’installe entre Frédérique Vidal et le commissaire européen à la Recherche et à l’Innovation, Carlos Moedas. La ministre revient sur l’un des objectifs de la future loi : la simplification. « On ne peut plus passer 1/5e de notre temps à écrire de la science et 4/5e à remplir des fichiers Excel ! » Tonnerre d’applaudissements. « Nous sommes à la fois dans les orientations scientifiques et dans les ressources humaines, confirme Monsef Benkirane, directeur de l’Institut de génétique humaine5 à la tête d’une unité de 250 personnes comprenant 20 équipes et 9 bourses de l’European Research Council (ERC). C’est toute une partie administrative qui enlève du temps au directeur pour aller négocier des contrats ou chercher des fonds. »

La présentation lumineuse de Monica Brînzei, double lauréate de l’ERC, a ouvert la voie à celle de Carlos Moedas qui évoque Horizon 2020 « dont le CNRS est le plus grand bénéficiaire dans toute l’Europe avec plus de 700 millions d’euros ». Il annonce avoir proposé une augmentation du budget de l’ERC passant ainsi de 13 à 18 milliards d’euros dans le cadre du programme Horizon Europe (2021-2027). Une annonce qui réjouit Luc Frappat, directeur du laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique théorique6 (LAPTH) : « Un ERC est un ballon d’oxygène pour un laboratoire. C’est un levier en ressources humaines très important ! »

Science ouverte

Après une présentation de Gérard Mourou, Prix Nobel de physique 2018 sur la lumière extrême, c’est au tour d’Antoine Petit, d’Alain Schuhl, directeur général délégué à la science, de Michel Mortier, directeur général délégué à l’innovation, et de Christophe Coudroy, directeur général délégué aux ressources, de répondre aux questions déposées par les directeurs d’unité sur la plateforme d’inscription. La science ouverte ? Pour Alain Schuhl, la question n’est pas de « savoir si on y va, mais à quelle vitesse on y va ! » La thématique semble populaire au sein du public. « Je suis physicien théoricien, explique le directeur du LAPTH. Les physiciens sont parmi les premiers au monde à avoir participé à la bibliothèque digitale ouverte arXiv, en 1991. Aujourd’hui, aucune publication ne sort de mon laboratoire sans être passée par les archives ouvertes. » Parmi les autres thématiques abordées : la rémunération, l’interdisciplinarité ou encore l’intégrité scientifique.

La pause déjeuner permet de partager ses impressions sur la matinée et d’échanger sur le rôle et le quotidien à la tête d’un laboratoire. « Un directeur d’unité est un chef d’orchestre qui porte une stratégie scientifique dans tous les lieux où elle peut être entendue », résume ainsi Jane Lecomte, directrice de l’unité Écologie, systématique et évolution.

Retour sur scène. Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d’université, revient sur la spécificité de la recherche française née de l’interaction entre organismes et universités. Dans la foulée, l’historien Denis Guthleben captive son auditoire avec le récit des origines de l’organisme. La salle se remplit d’émotion quand résonne la voix de Jean Perrin, annonçant la création du CNRS. Enfin, l’innovation et la valorisation s’incarnent dans les interventions de Valérie Castellani, lauréate de la médaille de l’innovation du CNRS 2018, et de celle de Marie-Noëlle Semeria, directrice R&D de Total.

« La journée a été riche et instructive. L’emploi, la rémunération, l’attractivité… Nous avons pu en savoir plus sur les optiques du président et sur sa ligne. Quant à la venue du Premier ministre, nous espérons que c’est un signal positif pour le CNRS », conclut Élisabeth Gassiat, directrice du laboratoire de Mathématiques d’Orsay7 .

  • 1Unité CNRS/Univ. Paris-Sud/AgroParisTech
  • 2Unité CNRS/Univ. de Reims Champagne-Ardenne
  • 3Unité CNRS/Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
  • 4Unité CNRS/Sorbonne Université.
  • 5Unité CNRS/Univ. de Montpellier.
  • 6Unité CNRS/Univ. Savoie Mont-Blanc.
  • 7Unité CNRS/Univ. Paris-Sud.
Frédérique Vidal, Ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation et Antoine Petit, président-directeur général du CNRS- ©Xavier PIERRE/CNRS