Un livre pour tout comprendre (ou presque) sur le climat

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Avec l’appui de nombreux scientifiques, le CNRS a publié un livre rappelant l’état des connaissances sur le climat et ses enjeux, édité chez CNRS Éditions. L’ouvrage est un succès auprès du grand public mais aussi des élus.

Plus de 15 000 exemplaires vendus. Le livre « Tout comprendre (ou presque) sur le climat », conçu par l’Institut national des sciences de l'univers (Insu) du CNRS est déjà un best-seller de CNRS Éditions1 .

Couverture du livre "Tout comprendre (ou presque) sur le climat"

En 20 chapitres, il traite 20 questions autour du changement climatique en format bande dessinée. Par exemple, le poids de l’influence humaine, la confiance accordée aux résultats des modèles de climat, la notion de consensus scientifique, le risque de changements abrupts, ou encore les liens entre événements ponctuels extrêmes et changement climatique. Ce travail s’appuie sur l’état de l’art des connaissances des scientifiques dont une trentaine a été sollicitée.

Lutter contre la désinformation climatosceptique

À l’origine du projet, une convergence de démarches face à la forte présence, sur le web et les réseaux sociaux, des climatosceptiques et de leurs « vérités alternatives » qui ne nient plus vraiment le changement climatique – ses manifestations étant désormais quasi-quotidiennes et dans toutes les régions du monde – mais minimisent la responsabilité des activités humaines ou la gravité de la situation. D’une part, les climatologues Valérie Masson-Delmotte et Christophe Cassou2  veulent désamorcer les commentaires climatosceptiques en prévision de la sortie du sixième rapport du GIEC3  début 2022 auquel ils participent. Tous deux très présents sur Twitter pour « partager le socle des connaissances sur le climat » selon Christophe Cassou, ils interpellent l’Insu pour préparer des actions de communication en ce sens.

D’autre part, le directeur de l’Insu, Nicolas Arnaud, cherche à faire de l’institut une « ressource au sein de la société » : « En tant que grand organisme de recherche, c’est un enjeu pour le CNRS d’être identifié comme porteur d’informations qualifiées, vérifiées et labellisées, de montrer que le raisonnement scientifique s’ancre dans un protocole fiable et qu’il existe des vérités scientifiques tout en précisant ce que les scientifiques ne savent pas encore. », résume-t-il. Il confie donc à Anne Brès, responsable de la communication de l’Insu, la mission de développer une « communication moderne qui réponde à ces enjeux », en particulier envers des publics « qui ne viennent pas spontanément sur le site du CNRS ».

Capture d'écran d'un tweet
La série d'articles, accompagnés d'illustrations, a été lancée le 16 février 2021.

« Nous avons entièrement revu notre manière de faire de la communication. », confirme la responsable. Exit les articles techniques sur le site de l’institut : le projet s’appuiera sur des articles synthétiques, répondant à des questions concrètes bien choisies. Le contenu sera validé par des scientifiques mais la forme et le ton seront donnés par un « intermédiaire bien choisi » : l’influenceur Thomas Wagner (alias BonPote), spécialisé dans la médiation scientifique sur le climat et l’environnement, s’impose rapidement avec son blog et ses réseaux. Pour faciliter l’entrée vers le sujet, les articles de fond seront accompagnés d’illustrations réalisées par Claire Marc, qui résument ces articles dans un format visuel et drôle, le tout accessible à partir du niveau collège. « La patte de Claire et sa capacité à mettre en images des notions complexes sont centrales dans ce projet », selon Anne Brès.

Un travail collectif et collaboratif

« Vu l’ampleur de la catastrophe climatique, les scientifiques doivent s’emparer de ces médias grand public pour en parler. Or la communication n’est pas notre métier. Nous avons donc besoin de nous associer avec des personnes dont l’expertise est de trouver les bons mots et les bonnes images pour faire passer un message complexe de façon juste, et qui connaissent les codes pour s’adresser à leur public. », atteste Julie Deshayes qui a fait la démarche de contacter l’Insu pour participer au projet. Chercheuse CNRS au LOCEAN4 , elle se bat régulièrement pour que les bons termes scientifiques soient utilisés dans les actions de médiation et les médias. En particulier, pour que le terme « gulf stream » ne remplace pas de manière incorrecte la formule « circulation de retournement atlantique », ce qui est souvent le cas et représente « un raccourci contre-productif qui profite aux climatosceptiques et ralentit l’acceptation des mesures d’adaptation nécessaires ». La chercheuse prend donc la plume pour l’article dédié à cet éclaircissement lexicographique, à la circulation de retournement atlantique et aux conséquences de son arrêt probable.

  • 1Maison d’édition du CNRS, CNRS Éditions publie près de 150 nouveautés par an réparties entre revues savantes et livres écrits par des acteurs du monde de la recherche.
  • 2Valérie Masson-Delmotte est chercheuse CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) et coprésidente du groupe de travail 1 du GIEC. Christophe Cassou est directeur de recherche CNRS au laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (CNRS/CERFACS).
  • 3Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a pour mission d'évaluer et de synthétiser l'état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques disponibles sur le changement climatique, de façon neutre et objective. Il fait état de cette expertise collective dans des rapports réguliers et a obtenu en 2017 le prix Nobel de la paix.
  • 4Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/Museum national d’histoire naturelle/Sorbonne Université).
1/4 des Français considèrent que le changement climatique est d’origine naturelle

selon le sondage national "Les Français et la science" en 2021.

2/3 des Français pensent que les activités humaines exercent une influence

Ainsi, le dispositif mis en place traite des idées reçues les plus courantes, celles qui reviennent le plus souvent sur les réseaux sociaux et font l’objet de questions récurrentes des journalistes ou du public de la Fête de la Science. « Il s’attaque à la désinformation mais aussi aux questions de bonne foi qu’il est légitime que chaque citoyen se pose. », précise Nicolas Arnaud. Le projet met en avant les impacts mondiaux mais aussi nationaux pour montrer que « le réchauffement climatique a déjà lieu, et qu'il a lieu même en France ». Un éclairage est aussi apporté sur des points moins couramment évoqués mais capitaux, comme la série sur les points de bascule : ces écosystèmes pourraient franchir un seuil de modification à partir duquel la machine climatique s'emballerait, comme l'Antarctique, où la fonte de la calotte glaciaire va s'intensifier au fur et à mesure qu'elle se déroule.

« Thomas Wagner a effectué un gros travail de documentation et nous avons longuement discuté pour rester le plus fidèles possible à la recherche. », confirme Catherine Ritz, directrice de recherche CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement5  qui a rédigé « un court passage de spécialiste » dans cet article « L'Antarctique va-t-il atteindre un point de bascule ? » et en a validé l’ensemble. Comme les autres, cet article insiste sur la méthode scientifique, le rôle des observations et des modèles, afin de donner plus de poids aux connaissances démontrées. « Le format blog est intéressant car il permet au scientifique de bien relire en prenant un temps souvent manquant aux journalistes qui travaillent dans l’urgence. », ajoute la chercheuse.

Un public conquis

Pour des sujets encore plus complexes, les scientifiques ont parfois pris la main sur la rédaction complète de l’article de blog. « Nous avons travaillé exactement avec la même méthode que pour le rapport du GIEC. », détaille Samuel Morin, chercheur Météo France au Centre national de recherches météorologiques6 . Avec les quatre autres chercheurs impliqués dans l’article sur l’impact du changement climatique sur les glaciers et Anne Brès, ils se sont réunis autour du texte pour finaliser leur contribution : ils ont alors validé ligne par ligne, phrase par phrase, s’arrêtant sur chaque mot faisant débat jusqu’à ce que le groupe complet soit satisfait de la formulation et de la précision de l’ensemble, qui devait rester « le plus conforme possible à l’état des connaissances ». Un travail important puisqu’il n’existait pas, avant ce projet, de document de référence sur le sujet de l’évolution des glaciers sur des durées longues et dans les temps anciens. « Nous avons proportionné notre effort de clarté au volume de personnes potentiellement touchées par le blog, les réseaux puis le livre. Le poids des mots est au moins aussi important dans un texte pour le grand public que dans un article scientifique, les raccourcis malheureux pouvant avoir des conséquences désastreuses. », explique le chercheur.

Capture d'écran d'un tweet
Les articles ont été diffusés sur le blog de BonPote, tandis que les illustrations de Claire Marc étaient sur le site de l'Insu. Ce sont ces dernières qui figurent dans le livre final.

Entre février et décembre 2021, BonPote diffuse donc les articles sur son blog et le compte Twitter @INSU_CNRS relaie les planches dessinées de l’illustratrice Claire Marc avec le hashtag #urgenceClimatique. Une méthode qui porte ses fruits. « Les visites sur le site web de l’Insu ont doublé en quelques mois et les informations scientifiques remontent désormais mieux dans les moteurs de recherche », se félicite Nicolas Arnaud pour qui « il est important pour le CNRS de se créer un réseau d’ambassadeurs dans la blogosphère, qui peuvent relayer le message des scientifiques ».

Le public est atteint, avec plus d’un demi-million de vues et de republications cumulées. « Notre association yvelinoise souhaite organiser un festival art & climat au printemps 2023 pour sensibiliser le public aux enjeux climatiques, en partie avec des panneaux dessinés, et donner des pistes d’actions. Nous pensions créer ces panneaux nous-mêmes mais nous avons été ravis de trouver les planches illustrées du CNRS : les informations y sont claires et validées par des scientifiques, ce qui nous aurait manqué. », témoigne Fabien Poulain pour les Carrillons pour la Transition écologique.

Un succès qui est « le reflet des efforts », selon Julie Deshayes, « étonnée et ravie » d’avoir réussi à toucher aussi un public au-delà des personnes déjà sensibilisées à ces enjeux, comme le montrent les commentaires sur les réseaux sociaux. Partant en mission scientifique sur le navire Marion Dufresne, Christophe Cassou n’a finalement pas pu participer à la rédaction des articles, mais se dit « très satisfait et agréablement surpris » de l’ampleur de l’impact de « notre simple interpellation ».

Sensibiliser les décideurs

Face à ce succès, l’Insu décide de poursuivre la démarche, afin de toucher les publics non présents sur les réseaux sociaux. Les illustrations sont alors retravaillées par Claire Marc pour former les 20 chapitres du livre « Tout comprendre (ou presque) sur le climat », qui paraît début mars chez CNRS Éditions. Un bon moyen aussi de renforcer la diffusion. « Expliquer comment les scientifiques savent ce qu’ils savent, et pas seulement donner l’information, rend ce livre différent. Il devient un outil de médiation. Lors des séances de dédicaces, nous voyons beaucoup de monde venir pour offrir le livre à leurs enfants, leurs parents, leurs amis et leurs collègues. », assure Anne Brès. « L’appui des scientifiques certifié par le CNRS est un vrai plus », garantit Catherine Ritz qui conseille aussi le livre aux collèges et lycées… et à ses collègues scientifiques non spécialistes du climat.

Double-page de l'intérieur du livre
Toutes les illustrations de Claire Marc ont été adaptées au format livre. © CNRS Éditions

Et ce livre a permis d’atteindre plus directement un troisième public : les élus. « ​​Le CNRS est un acteur majeur de la recherche sur le climat en France et dans le monde. On ne le sait pas toujours mais il est le premier contributeur des contenus scientifiques des rapports du GIEC. Nos équipes développent depuis de nombreuses années une expertise essentielle pour améliorer la compréhension des phénomènes de changement climatique et partager le plus largement possible le fruit de cette connaissance scientifique. En comprenant les enjeux du changement climatique, les élus peuvent ainsi contribuer à l’élaboration de réponses adaptées et le CNRS peut , dans ce cadre, aider à la décision politique. », affirme Antoine Petit, président-directeur du CNRS qui a envoyé 1104 exemplaires aux parlementaires, dont les membres de l’Opecst, et députés européens, présidents et présidentes de Région, ministères et autres administrations – certains ayant chaleureusement remercié l’organisme pour cet envoi. Un second envoi sera fait auprès des nouveaux élus suite aux élections législatives qui viennent d’avoir lieu.

« Les élus ont des décisions radicales à prendre concernant l’action climatique mais manquent souvent d’informations et de connaissances suffisantes au regard de leur responsabilité. Ce livre est un moyen pour eux d’en savoir plus », complète Samuel Morin, saluant la diversité des travaux et scientifiques mis en valeur dans l’ouvrage et rappelant « les décennies de travaux de la communauté scientifique qui permettent de produire un livre vulgarisé en quelques semaines et les actions de communication qui diffusent ces connaissances ».

Face au succès du livre – qui doit être traduit en anglais –, CNRS Éditions lance une nouvelle série « Tout comprendre (ou presque) sur… » qui devrait couvrir de nombreux sujets sur lesquels le CNRS et les scientifiques peuvent offrir une expertise. L’Insu a déjà commencé à décliner le format sur un autre domaine de l’institut : l’astronomie, avec cette fois Eric Lagadec, astrophysicien à l'Observatoire de la Côte d'Azur, comme médiateur.

  • 5CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes.
  • 6CNRS/Météo France.