La flotte océanographique française au service de la recherche

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Comptant parmi les trois plus grandes flottes européennes, la flotte océanographique française, au service de la recherche, va faire peau neuve.

Des abysses jusqu’à l’interaction océan-atmosphère, la flotte océanographique française contribue depuis 50 ans à mieux répondre aux grands enjeux actuels en sciences et technologies marines. L’Ifremer1 , qui pilote cette flotte, vient de dévoiler sa nouvelle feuille de route 2035 pour en assurer la modernisation et le renouvellement.

Quatre navires hauturiers et plus encore

La flotte océanographique française, c’est quatre navires de haute mer dits « hauturiers » (le Marion Dufresne2 , le Pourquoi pas ?, L'Atalante et le Thalassa) pouvant opérer des missions de 2 à 5 semaines sans faire escale et pouvant accueillir jusqu’à 40 scientifiques3 ; 6 navires côtiers et semi-hauturiers dont 4 travaillent en métropole et 2 en outre-mer pouvant effectuer des campagnes d’une dizaine de jours ; 7 navires de stations opérés par le CNRS qui sortent à la journée et des engins sous-marins ou de prélèvement tels que Victor 6000 - un ROV4 effectuant des missions d’observation et d’intervention jusqu’à 6 000 mètres de profondeur.

Avec ces navires de recherche pluridisciplinaire, la communauté scientifique réalise aussi bien des explorations de colonnes d’eau et de courants marins, des cartographies sous-marines, des études des processus biologiques ou géologiques de fonds marins, des analyses de la biodiversité sous-marine, des études de paléoclimatologie et bien plus encore…

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Mise à l'eau du robot téléopéré Victor de l'Ifremer pour effectuer des opérations sous-marines par 2 500 mètres de profondeur sur le télescope sous-marin à neutrinos ANTARES installé en Méditerranée, au large de l'île de Porquerolles.© Jean-François DARS/CPPM/CNRS Photothèque

Depuis le 1er janvier 2018, l’Ifremer opère tous ces moyens au profit de la communauté scientifique française, lui donnant ainsi accès à tous les océans et mers du globe, hors zones polaires. Jusqu’alors, la flotte était gérée par quatre opérateurs publics ou organismes de recherche tels que le CNRS qui pilotait plusieurs navires côtiers et ses navires de stations.  « Notre flotte compte parmi les trois plus importantes européennes aux côtés de l’Allemagne et de l’Angleterre et peut naviguer dans tous les océans - la seule avec l’Allemagne », rapporte Olivier Lefort, directeur de la flotte océanographique et ancien ingénieur et architecte naval.  « L’intégration de tous ces bateaux a été voulue par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour assurer une meilleure structuration de la flotte océanographique française au profit de la communauté scientifique, et de l’ensemble de ses utilisateurs », explique-t-il, informant que le budget annuel de la TGIR5 est de l’ordre d’un peu plus de 70 millions d’euros6 . Mais, plusieurs de ces navires commencent à vieillir et il était temps de donner un nouveau souffle à cette flotte.

En route vers 2035

Parmi les grands changements prévus dans cette feuille de route, « la fin d’activité en 2031 pour le navire hauturier, l’Atalante, qui verra l’entrée en service de son successeur. Tout comme le Marion Dufresne et le Thalassa, à partir de 2032. » Des navires que connaît bien Mathilde Cannat, chercheuse en géosciences marines à l’Institut de physique du globe de Paris7 qui a participé à plus de trente campagnes et navigué sur l’ensemble des navires hauturiers de la flotte. « Chacun a ses spécificités et selon la destination géographique, l’importance de l’équipe scientifique et les besoins instrumentaux, le projet se fera sur tel ou tel bateau », explique la scientifique se rappelant d’une campagne sur le Thalassa, le plus petit des navires hauturiers et dont l’activité porte en grande partie sur l’écologie des populations de poissons et l’évaluation des espèces exploitées en Manche, Golfe de Gascogne et Mer du Nord.

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Un jeune éléphant de mer et le navire océanographique Marion Dufresne au loin, dans l'archipel des Kerguelen. © Sébastien MOTREUIL/CNRS Photothèque

Pour l’anecdote, le Marion Dufresne est « le plus imposants de tous les hauturiers ». La raison ? C’est un navire polyvalent qui, en plus d’opérer pour la recherche océanographique, assure également le ravitaillement des îles subantarctiques françaises8 pour le compte des TAAF9 et embarque des personnels techniques et scientifiques allant travailler sur ces îles et parfois quelques touristes. Mais par-delà ses belles manières, il dispose du carottier géant CALYPSO, faisant de lui l’un des seuls navires à collecter des carottes sédimentaires pouvant atteindre plus de 60 mètres de longueur - avec un record mondial de 70 m durant la campagne Crotale en 2019.

En Atlantique et en Méditerranée, deux navires semi-hauturiers remplaceront respectivement d’ici 2025 et 2030 les navires côtiers métropolitains Thalia - navire polyvalent opérant en Manche et dans le Golfe de Gascogne - et L’Europe - un catamaran de plus de 29 mètres opérant principalement en mer Méditerranée et dédié à la recherche halieutique10 et à l'environnement littoral. Le navire semi-hauturier Antéa11 va rejoindre le Pacifique fin 2022 pour y remplacer l’Alis, en attendant la construction d’un navire semi-hauturier Pacifique. Ces changements permettront à la communauté océanographique française de disposer de navires plus grands en capacité et de déployer des systèmes sous-marins dans la zone côtière comme sur le plateau continental. Côté équipement, un ROV profond de nouvelle génération sera construit d’ici 2025, tandis qu’un engin de Survey (AUV 6000 Ulyx12 ) dévoilé en octobre dernier permettra aux équipes françaises de disposer enfin d’un AUV grande profondeur cohérent avec les engins d’intervention grands fonds. « Nous souhaitons également verdir la flotte avec des objectifs d’optimisation énergétique tant au niveau de la construction que de l’exploitation de la flotte », souligne Olivier Lefort.

 « Aller en mer, c’est 3 ans de préparation »

La communauté de recherche océanographique en France représente 3500 scientifiques qui font régulièrement des demandes d’accès aux campagnes sur les navires de la Flotte océanographique française. Chaque année, elle embarque plus de 1000 scientifiques, ingénieurs et techniciens et réalise 40 missions sur les navires hauturiers, 140 missions sur les navires côtiers et 300 sur les navires de stations.

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Pilotage depuis la salle de contrôle du navire de l'Ifremer "Pourquoi pas ?", d'une opération sous-marine à l'aide du robot téléopéré Victor. © Jean-François DARS/CPPM/CNRS Photothèque

Pour qu’une mission soit acceptée, les équipes de recherche doivent monter un projet s’inscrivant dans les programmes de la flotte et déposer un dossier, deux ans à l’avance. Les dossiers sont alors revus par les pairs, puis classés par une commission scientifique sur la base de ces revues. Une fois qu'un dossier est ainsi prioritaire, l’équipe de programmation de l’Ifremer définit une route et un navire selon les impératifs, les objectifs et les contraintes. « Par exemple, si le projet de recherche porte sur une campagne sismique, nous devons définir une période de travail durant laquelle les mammifères ne sont pas présents sur zone », explique Olivier Lefort.  L’enchaînement des tâches doit également être prévu et supervisé et « les campagnes de 30 jours sur navire hauturier sont des projets d’envergure ! », souligne-t-il. Un avis que partage Cécile Guieu, chercheuse en bio géochimie marine au Laboratoire d’océanographie de Villefranche13 qui a organisé et participé à de nombreuses campagnes en mer. « Aller en mer, c’est 3 ans de préparation. Une fois le montage d’une équipe, il y a la soumission des dossiers à la commission Flotte, puis des dépôts de demande de financement pour les analyses et les instruments, le déplacement des scientifiques et du matériel jusqu’au navire ». Pour Cécile Guieu, la qualité principale pour naviguer est l’adaptabilité. « Sur le bateau, c’est un rythme incroyable, on travaille de jour et de nuit, le week-end, mais quelle ambiance particulière à bord », décrit-elle se remémorant une session de nuit à remonter un carottier avec l’océan à perte de vue sans une lumière à l’horizon.

Crise sanitaire et fermeture des ports

En 2020, la pandémie de Covid-19 – et la fermeture de nombreux ports en urgence – a eu un impact considérable sur la flotte. « À ce moment, le Thalassa rentrait tout juste de la côte africaine. L’Atalante, aux portes du Pérou, a dû interrompre sa campagne, mais rester sur zone pour récupérer les équipements. Le Pourquoi pas? était alors en mer Méditerranée et nous lui avons donné l’ordre de rentrer », se remémore le directeur de la Flotte. Du 15 mars au 15 août, les activités de la flotte océanographique ont été totalement arrêtées. Par la suite, elles ont repris suivant un protocole très strict. « Les équipages devaient se confiner durant 15 jours et effectuer deux test PCR. Aujourd’hui nous demandons un auto-confinement de 7 jours », rapporte Olivier Lefort. En 2020, seule la moitié des campagnes programmées ont pu être réalisées, « nous essayons de reprogrammer celles qui n’ont pu se faire, et pour 2021 nous avons fait le choix de ne plus faire d’escale à l’étranger. »

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Du 15 mars au 15 août, les activités de la flotte océanographique ont été totalement arrêtées. © Jean-Yves DELAHAYE/CNRS Photothèque

La reprise aux quatre coins des mers et océans

Mais de belles missions sont tout de même prévues en 2021. Le Marion Dufresne est actuellement dans l’océan Austral avec à son bord 48 scientifiques pour la mission de bio-géochimie SWINGS qui vise à mieux comprendre les éléments chimiques dans l’océan Indien Sud-Ouest austral. Le Pourquoi Pas ? a pris la direction de l'Océan indien fin 2020 afin de réaliser une série de missions dans le Canal du Mozambique. La première, SISMAORE, menée par le BRGM, le service géologique national, et le CNRS, vise à combler un déficit de connaissances dans la région de Mayotte frappée dernièrement par une crise de sismicité majeure. En avril, suivra la mission GEOFLAMME mettant en œuvre le ROV Victor6000 pour étudier la crise sismo-volcanique en cours à Mayotte. Quant à l'Atalante, il a repris à la mi-février avec la mission d'océanographie SUMOS dans le Golfe de Gascogne, portée par le Laboratoire d'océanographie physique et spatiale14 ayant un objectif double, l'étude des processus physiques et énergétiques liés aux échanges à l’interface air/mer et la validation de la mission spatiale franco-chinoise CFOSAT dédiée à la mesure du vent et des vagues. Enfin, le Thalassa a débuté son programme 2021 avec la mission IBTS (International Bottom Trawl Survey) qui étudie, pour le compte de l'Union européenne l'état des écosystèmes et de la ressource halieutique à l'extrémité de la Manche et en Mer du Nord.

  • 1L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) est spécialisé en sciences et technologies marines et s’inscrit dans une double perspective de développement durable et de science ouverte. Il mène des recherches, produit des expertises et crée des innovations pour protéger et restaurer l’océan, exploiter ses ressources de manière responsable, partager les données marines et proposer de nouveaux services à toutes les parties prenantes.
  • 2Le Marion Dufresne est propriété de l’administration des Terres Australes et Antarctiques Française, mais réalise des campagnes scientifiques pour le compte de la flotte océanographique plus de 200 jours par an.
  • 3C’est le cas du Pourquoi Pas ?, le plus grand des hauturiers de la Flotte.
  • 4Véhicule sous-marin téléguidé.
  • 5Très Grande Infrastructure de Recherche.
  • 6Cette somme comprend les investissements, le fonctionnement et masse salariale.
  • 7CNRS/INstitut de physique du Globe de Paris/IGN.
  • 8Crozet, Kerguelen, Amsterdam/Saint-Paul.
  • 9Terres australes et antarctiques françaises.
  • 10Les recherches qui concernent la pêche.
  • 11L’Antea opère en mer méditerranée, océan Indien et tropical atlantique.
  • 12Autonomous Underwater Vehicle. L’AUV 6000 est un drone autonome capable de réaliser des missions intelligentes sans lien avec l’opérateur.
  • 13CNRS/Sorbonne Université.
  • 14IRD/Université Bretagne Occidentale/IFREMER/CNRS.

Une construction sur 50 ans

L’histoire de la Flotte remonte aux années 1970 avec la création du Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO) à Brest qui, en rejoignant quelques années plus tard l'Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM), devient l’Ifremer. Ce dernier construit dans les années 1990 l’Atalante et le Thalassa, puis ce seront les navires semi-hauturiers de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) – l’Alis et l’Antea – qui vont rejoindre les rangs de la flotte océanographique française et les bateaux côtiers et de stations du CNRS. Le Marion Dufresne est quant à lui propriété de l’administration des Terres Australes et Antarctiques Française, mais réalise des campagnes scientifiques pour le compte de la flotte océanographique plus de 200 jours par an.