Le chlore, nouveau traceur de la dynamique terrestre

Surfaces continentales

Des chercheurs de l'Institut de Physique du Globe de Paris, (CNRS/INSU/Université Paris Diderot) et leurs collègues du Laboratoire de Planétologie et Géodynamique de l'Université de Nantes et du Jet Propulsion Laboratory/California Institute of Technology (USA) publient dans la revue Science du 14 Mars 2008, un ensemble de données sur les rapports isotopiques du chlore (37Cl/35Cl) des basaltes des dorsales océaniques. Ces travaux ont pour but de déterminer la composition en chlore du manteau terrestre, et en déduire comment les échanges imposés par la tectonique des plaques entre le manteau et la surface (océan et croûte) ont abouti à la répartition actuelle du chlore dans ces enveloppes terrestres. Le chlore étant l'anion majeur des océans, l'étude de cet élément permettra, in fine, de mieux comprendre l'origine et l'évolution à long terme des océans.
Cette étude révèle non seulement que la majorité des basaltes de dorsales océaniques sont contaminés, à divers degrés, par du chlore d'origine marine lors de leur mise en place sur le plancher océanique; mais surtout, que le manteau terrestre a un rapport isotopique 37Cl/35Cl inférieur à celui des enveloppes superficielles. Les auteurs expliquent cette différence isotopique entre l'intérieur et la surface de la Terre en proposant que les océans se seraient majoritairement formés par un apport de matériel extra-terrestre riche en eau et en chlore (deux composants principaux de l'eau de mer), quelques millions d'années après la formation de la Terre.

Le Chlore est un élément présent dans la plupart des fluides géologiques. Volatil, soluble dans l'eau, il se concentre aussi dans les liquides magmatiques lors de la fusion des roches qui constituent le manteau terrestre. Au cours des temps géologiques, les processus tels que la fusion, le dégazage ou l'altération ont donc préférentiellement concentré le chlore à la surface de la Terre; en particulier dans l'océan et la croûte. Le retour dans le manteau (subduction) de la croûte océanique, enrichie en chlore d'origine marine lors de son altération par l'eau de mer, est le processus majeur contrebalançant cet effet.

La quantité de chlore actuellement contenue dans le manteau devrait représenter, au maximum, un cinquième du chlore contenu dans les réservoirs de surface. Cependant, les chercheurs ignorent encore les quantités précises de chlore mises en jeu dans ces échanges au cours des temps géologiques, et de nombreuses questions fondamentales restent ouvertes: Quels processus se sont produits dans le système solaire et ont déterminés la composition initiale de la Terre en chlore ? Quelle proportion de chlore retourne dans le manteau par subduction ? Le flux de chlore extrait du manteau par volcanisme est-il identique au flux de retour par subduction ? Et dans le cas contraire, que pouvons-nous apprendre de l'origine et de l'évolution temporelle de la répartition terrestre des éléments volatils (e.g., hydrogène, carbone, azote) en reconstruisant les variations passées en chlore dans le manteau et les réservoirs de surface ? Les auteurs suggèrent de répondre à ces questions en étudiant le rapport isotopique 37Cl/35Cl dans les différents réservoirs terrestres et les modifications (ou fractionnement) dus au passage d'un réservoir à un autre.

Grâce au développement d'une nouvelle technique analytique à l'Institut de Physique du Globe de Paris, Magali Bonifacie et ses collègues ont analysé les compositions isotopiques en chlore d'une vingtaine de basaltes provenant des dorsales Pacifique, Atlantique et Indienne. Cette étude permet d'estimer la composition en chlore du manteau terrestre. Les basaltes analysés possèdent des concentrations variables reliées de manière significative aux compositions isotopiques. Ces résultats mettent en évidence, dans l'ensemble des basaltes étudiés, un mélange entre du chlore magmatique (provenant du manteau) et du chlore d'origine marine ; suggérant ainsi que la majorité des laves de dorsales ont été contaminées, à divers degrés, par du chlore d'origine marine au moment de leur mise en place sur le plancher océanique. Par ailleurs, ces données suggèrent que le rapport 37Cl/35Cl du manteau est non seulement inférieur à celui récemment publié dans la revue Nature par des chercheurs américains(1); mais aussi et surtout, que le rapport isotopique du manteau est inférieur à celui observé dans les réservoirs superficiels.

Cette différence isotopique ouvre des perspectives importantes pour la communauté des Sciences de la Terre, et au-delà. Les données dont on dispose maintenant impliquent que les échanges sont restés limités (sinon les valeurs de surface et profonde seraient identiques) et par conséquent que l'origine des océans est à relier à un apport de matériel extra-terrestre riche en eau et en chlore (deux composants principaux de l'eau de mer), quelques millions d'années après la formation de la Terre.

D'autre part, les rapports isotopiques en chlore pourront notamment être utilisés par les géochimistes pour détecter la présence de matériel de surface « recyclé » par subduction dans le manteau terrestre. Plus généralement, ces travaux ouvrent les portes de l'étude du paysage isotopique du chlore des réservoirs solides pour une meilleure compréhension de la dynamique terrestre actuelle et passée. En particulier, il sera possible de mieux quantifier la différence isotopique entre le flux de chlore provenant du manteau via le volcanisme et celui qui y entre via les zones de subduction. Cette différence isotopique devrait avoir généré, au cours des temps géologiques, des évolutions temporelles des compositions du chlore de surface et mantélique qu'il sera possible de détecter par l'étude de roches d'âges variés, ouvrant la voie vers une meilleure compréhension de l'origine et de la croissance des océans, berceau potentiel de la vie sur Terre.

Sources

 

The chlorine isotope composition of Earth's mantle, Bonifacie M. (1,2), Jendrzejewski N. (1), Agrinier P. (1), Humler E. (3,4), Coleman M. (5,6), Javoy M. (1), Science, 14 March 2008, vol. 318, pp. 1518-1520. (1) Equipe de Physico-Chimie des Fluides Géologiques, Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), Université Paris Diderot, CNRS-UMR 7154.

Notes

 

  1. Sharp Z., Barnes J., Brearley A., Chaussidon M., Fischer T., Kamenetsky V. (2007),
    Chlorine isotope homogeneity of the mantle, crust and carbonaceous chondrites.
    Nature 446, 1063-1065.

Contact

Magali Bonifacie
Pierre Agrinier