Les secousses géomagnétiques enfin reproduites et expliquées

Terre

Le champ magnétique de la Terre connaît des anomalies imprévisibles, rapides et intenses appelées secousses géomagnétiques. Les mécanismes à l’origine de ce phénomène restaient mystérieux jusqu’aux récents travaux d’un chercheur du CNRS à l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS/IPGP/IGN/Université de Paris). Avec un collègue au Danemark, et grâce aux supercalculateurs du Grand équipement national de calcul intensif (GENCI), ils sont parvenus à modéliser informatiquement et expliquer l’apparition de ces secousses géomagnétiques. Leurs travaux sont publiés dans Nature Geoscience le 22 avril 2019.

Initialement décrites en 1978, les secousses géomagnétiques sont des événements imprévisibles, qui accélèrent brutalement l’évolution du champ magnétique terrestre et faussent les prédictions de celui-ci à l’échelle de quelques années. Or, notre champ magnétique entre en jeu dans de nombreuses activités humaines, de la détermination du cap dans les téléphones mobiles au vol des satellites à basse altitude. Il est donc fondamental de pouvoir prédire son évolution avec précision. Seulement, les secousses géomagnétiques posent problème aux géophysiciens depuis plus de quarante ans.

Le champ magnétique de la Terre est produit par la circulation de la matière à l’intérieur de son noyau métallique à partir de l’énergie libérée lors du refroidissement de ce noyau. Les chercheurs connaissent deux types de mouvement donnant naissance à deux types de variations du champ magnétique : celles issues du mouvement lent de convection, que l’on peut relever à l’échelle d’un siècle, et celles issues des ondes hydromagnétiques « rapides », détectables à l’échelle de quelques années. On soupçonnait que ces dernières pouvaient jouer un rôle dans les secousses mais l’interaction de ces ondes avec la convection lente ainsi que leur mécanisme de propagation et d’amplification restaient à élucider.

Aussi, pour résoudre ce mystère, Julien Aubert de l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS/IPGP/IGN/Université de Paris) a développé avec un collègue de l’Université technique du Danemark (DTU) une simulation informatique s’approchant au plus près des conditions physiques de notre noyau. Nécessitant l’équivalent de 4 millions d’heures de calcul, cette simulation a pu être réalisée grâce aux supercalculateurs du GENCI.

Les chercheurs ont ainsi pu reproduire la succession d’évènements qui mène aux secousses géomagnétiques. Dans la simulation, celles-ci naissent à partir d’ondes hydromagnétiques émises en profondeur. Alors que ces ondes approchent de la surface du noyau, elles sont focalisées et amplifiées pour donner lieu à des perturbations magnétiques en tout point comparables aux secousses observées.

La reproduction numérique et la compréhension de ces secousses ouvrent la voie vers une meilleure prédiction du champ magnétique terrestre. Par ailleurs, préciser les origines des variations du champ magnétique pourra également servir aux géophysiciens pour étudier les propriétés physiques du noyau de la Terre et de son manteau profond.

Ce projet de recherche a été financé par la Fondation Simone et Cino Del Duca de l’Institut de France, qui au travers d’une de ses subventions scientifiques soutient la recherche fondamentale en sciences de la Terre.

Visualisation de l’intérieur du noyau terrestre, tel que modélisé dans la simulation numérique (vue du plan équatorial et d’une surface sphérique près de la graine solide, depuis le pôle Nord). Les lignes de force du champ magnétique (en orange) sont étirées par la convection turbulente (en bleu et rouge). Les ondes hydromagnétiques sont émises depuis l’intérieur du noyau et se propagent le long des lignes de force du champ, jusqu’à la surface du noyau où elles se focalisent pour créer des secousses géomagnétiques.
© Aubert et al./IPGP/CNRS Photothèque

Visualisations de l’accélération des mouvements du noyau (première moitié de la vidéo)des panaches de convection (seconde moitié de la vidéo)
La secousse géomagnétique survient au temps 0 : elle est d’abord produite par le relâchement rapide d’un panache convectif (« buoyancy release »), suivie de l’émission d’ondes (« waves »). Ces ondes montent rapidement, elles se focalisent (« focusing »). La focalisation se produit à cause de la sphéricité de la frontière noyau-manteau, qui comprime les colonnes de fluides portant les ondes.
© Aubert et al./IPGP/CNRS Photothèque

 

Bibliographie

Geomagnetic jerks and rapid hydromagnetic waves focusing at Earth’s core surface. Julien Aubert et Christopher C. Finlay. Nature Geoscience, le 22 avril 2019. DOI : 10.1038/s41561-019-0355-1

Contact

Julien Aubert
Chercheur CNRS
François Maginiot
Attaché de presse CNRS