Un nouveau regard sur la rhéologie du sang

Résultats scientifiques

Le sang est un fluide dont la viscosité chute avec l’augmentation du taux de cisaillement appliqué : on parle de rhéofluidification. A haut taux de cisaillement, ce caractère rhéologique physiologiquement essentiel était jusqu’alors expliqué par le comportement des globules rouges, supposés s’aligner et s’étirer dans la direction de l’écoulement. Des travaux récents mettent à mal ce paradigme et montrent que dans les conditions physiologiques, la rhéofluidification est associée à des changements dynamiques de morphologie des globules rouges, ceux-ci prenant des formes complexes polylobées inconnues jusqu’à présent. Cette étude a été publiée le 9 novembre 2016 dans la revue PNAS.

Le sang est un fluide rhéofluidifiant: sa viscosité diminue avec la contrainte de cisaillement appliquée. Cette propriété rhéologique est essentielle pour une perfusion efficace de l'arbre vasculaire par le coeur et est directement reliée à la dynamique de ses principaux constituants, les globules rouges (hématies). A bas taux de cisaillement, la diminution de la viscosité avec la contrainte de cisaillement est due à la désagrégation de rouleaux de globules rouges. A haut taux de cisaillement, le paradigme actuel explique la rhéofluidification du sang par une analogie avec la rhéologie des émulsions. Dans une telle vision, la diminution de viscosité sanguine à fort taux de cisaillement serait due à l'élongation et l'inclinaison stationnaire acquises par les globules rouges grâce à la circulation de leur membrane autour de leur centre de masse, par analogie avec ce que ferait une gouttelette d'huile dans l'eau sous cisaillement. Cette dynamique est généralement appelée mouvement de chenille de char. 
Cependant, plusieurs équipes de biophysiciens, physiciens et numériciens de Montpellier et de Jülich en Allemagne ont récemment obtenu des résultats qui bousculent complètement cette vision. Pour des taux de cisaillements typiques des écoulements de la microcirculation sanguine, les globules rouges prennent des formes dynamiques polylobées sans mouvement de circulation de leur membrane, à condition de considérer les conditions physiologiques de viscosité extérieure proche du plasma, ce qui n'avait pas été réalisé jusqu'à maintenant. De plus, les études dans différentes conditions de viscosité montrent que les changements de formes des globules rouges sont associés à un effet rhéofluidifiant plus important que le mouvement de chenille de char, obtenu pour des conditions non physiologiques de viscosité.
Ces résultats suggèrent que tout changement pathologique dans la viscosité membranaire ou interne des globules rouges aura un impact sur l'apparition de ces transitions morphologiques et devrait jouer un rôle clé dans la compréhension du comportement du sang dans des situations physiologiques ou pathologiques telles que l'anémie falciforme.

De plus, depuis une cinquantaine d’années, de nombreux travaux sur le comportement du sang partent de l’hypothèse erronée que les globules rouges effectuent dans le sang un mouvement de chenilles de char, notamment près des parois vasculaires. En plus d’établir des nouvelles bases de compréhension de la rhéologie du sang, les résultats de cette étude nous incitent donc à revisiter de nombreux travaux sur les écoulements sanguins à haut taux de cisaillement, qui concernent des sujets aussi variées que l’hémolyse, l’hémorhéologie pathologique, la vasomotricité ou le transport des globules rouges dans la microcirculation, en prenant en compte la dynamique réelle des hématies.

 

Image retirée.

Figure : Séquence temporelle de déformation en forme de trilobe d’un globule rouge à fort taux de cisaillement (1000 s-1) : Expérience et simulation.

© Manouk Abkarian et Simon Mendez

 

En savoir plus

  • Red cells’ dynamic morphologies govern blood shear thinning under microcirculatory flow conditions 
    Luca Lanotte, Johannes Mauer, Simon Mendez, Dmitry A. Fedosov, Jean-Marc Fromental, Viviana Claveria, Franck Nicoud, Gerhard Gompper, and Manouk Abkarian
    PNAS 2016 ; published ahead of print November 9, 2016, doi:10.1073/pnas.1608074113

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Manouk Abkarian
Directeur de recherche CNRS
Simon Mendez