Du grain de beauté au mélanome: une protéine RAF peut en cacher une autre

Résultats scientifiques

Grâce à la génétique de la souris, l’équipe d’Alain Eychène à l’Institut Curie révèle que les trois protéines kinases de la famille RAF jouent des rôles parfois spécifiques, parfois redondants dans la formation et la progression des mélanomes, de l’initiation tumorale jusqu’au stade métastatique. Ces résultats démontrent la grande plasticité de ces tumeurs et la nécessité de développer des traitements ciblés permettant de s’affranchir des mécanismes de résistance. Cette étude a été publiée le 12 mai 2017 dans la revue Nature Communications.

En France, le mélanome cutané se situe au 9ème rang des cancers tous sexes confondus. C’est une tumeur maligne qui se développe à partir des mélanocytes, cellules qui fabriquent la mélanine, responsable de la pigmentation de la peau. Alors que les mélanomes précoces peuvent être aisément traités par la chirurgie, il n’existait jusqu’à récemment aucun traitement satisfaisant pour les mélanomes avancés.

 

Les protéines kinases RAF jouent un rôle important dans l’homéostasie des cellules normales ou cancéreuses du lignage mélanocytaire. Elles sont impliquées dans la voie de signalisation intracellulaire aboutissant à l’activation d’une enzyme appelée ERK. L’activation constitutive de la protéine ERK est un phénomène récurrent dans le mélanome et résulte souvent de mutations soit dans le gène BRAF (50%), identifié à l’Institut Curie, soit dans le gène NRAS (15%), un activateur des protéines de la famille RAF à laquelle appartient BRAF. Alors que des inhibiteurs pharmacologiques spécifiques de BRAF sont utilisés en clinique chez les patients porteurs d’une mutation de ce gène, aucun traitement ciblé n’existe en revanche pour les patients non porteurs de telles mutations. Des études in vitro ont suggéré que la protéine CRAF, mais pas la protéine BRAF, serait impliquée dans l’activation de la protéine ERK dans les cellules de mélanome humain porteuses d’une mutation NRAS. Ceci a abouti à un postulat paradoxal selon lequel la protéine BRAF ne serait pas nécessaire au développement des mélanomes mutés NRAS, alors qu’elle joue un rôle clé dans le développement normal des mélanocytes et des mélanomes mutés sur le gène BRAF.

 

Sabine Druillennec, et Coralie Dorard, dans l’équipe d’Alain Eychène, ont ré-évalué la contribution respective des protéines RAF dans le mélanome induit par une mutation de NRAS (NRASQ61K), en développant des modèles murins sophistiqués, impliquant jusqu’à 6 loci différents et permettant d’invalider de manière spatio-temporelle les gènes BRAF et CRAF au cours de la progression tumorale. Ces recherches révèlent que le rôle des différentes protéines RAF dans le mélanome induit par NRAS est beaucoup plus complexe qu’initialement décrit dans la littérature.

 

Elles démontrent notamment un rôle critique de BRAF au cours de l’initiation tumorale, qui ne peut être compensé par la protéine CRAF. En effet, BRAF est requis au cours des premières étapes conduisant à l’hyperprolifération des mélanocytes et à la formation des naevi, tumeurs bénignes précédant l’apparition des mélanomes, plus communément appelées grains de beauté.

 

De plus, cette étude montre qu’une fois le mélanome formé, BRAF, tout comme CRAF, est impliqué dans la prolifération et le maintien tumoral, révélant ainsi des fonctions compensatoires de ces deux kinases au cours de la mélanomagenèse tardive.

 

Enfin, lorsque les deux protéines BRAF et CRAF sont inactivées, une troisième protéine de la même famille, ARAF, est capable de prendre le relais pour activer la voie ERK, illustrant ainsi la très grande plasticité de la voie RAS/RAF/ERK et sa capacité d’adaptation lors des phénomènes de résistance tumorale.

 

Ces recherches remettent donc BRAF au centre de la mélanomagenèse, non seulement dans les mélanomes induits par une mutation de ce gène, mais également dans les mélanomes induits par un autre oncogène, le gène NRAS. Elles démontrent également l’addiction de ces tumeurs à la signalisation par les protéines RAF et renforcent l’intérêt croissant pour le développement d’inhibiteurs des interactions RAS-RAF dans les cancers induits par les oncogènes RAS, mutés dans plus de 30% des cancers chez l’homme.

 

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Figure 1 : Schéma indiquant le rôle des protéines RAF lors de la progression tumorale du mélanome induit par la mutation NRASQ61K. Au cours de la phase d’initiation, l’expression de la protéine BRAF est requise pour l’activation de ERK et la formation des tumeurs bénignes (naevus). Une fois le mélanome formé, la protéine CRAF semble jouer un rôle prépondérant, mais son absence peut être compensée par BRAF. Enfin, en absence des deux protéines BRAF et CRAF, la troisième kinase de la famille, ARAF, prend le relais pour assurer l’activation de la protéine ERK.

© Alain Eychène. Sabine Druillennec

 

 

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Figure 2 : Peaux de souris exprimant le transgène NRASQ61K dans le lignage mélanocytaire. Les animaux développent des naevi, même en absence d’expression de la protéine CRAF (KO CRAF). En revanche, l’absence d’expression de la protéine BRAF (KO BRAF) empêche la formation de ces tumeurs bénignes, démontrant le rôle clé de cette protéine dans les phases précoces de l’initiation tumorale conduisant au mélanome.

© Alain Eychène. Sabine Druillennec

 

 

En savoir plus

  • RAF proteins exert both specific and compensatory functions during tumor progression of NRAS-driven melanoma 
    Coralie Dorard, Charlène Estrada, Céline Barbotin, Magalie Larcher, Alexandra Garancher, Jessy Leloup, Friedrich Beermann, Manuela Baccarini, Celio Pouponnot, Lionel Larue, Alain Eychène and Sabine Druillennec.
    Nature Communications. 8, Article number: 15262 (2017). doi:10.1038/ncomms15262

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