Détourner pour mieux contrôler : comment les plantes maîtrisent leurs défenses

Résultats scientifiques

Les plantes font face en permanence à des attaques par des insectes, microbes, et autres ravageurs, et activent des mécanismes de défense sophistiqués dès que l’ennemi est détecté. On pensait que l’élévation des niveaux de jasmonates, une classe d’hormones végétales, était prérequise pour induire ces défenses. En identifiant une nouvelle classe d’oxydases agissant sur l’acide jasmonique lorsque ses niveaux sont très faibles, l’équipe de Thierry Heitz révèle un mode de contrôle inédit des défenses. Ces travaux ont été publiés le 28 juillet 2017 dans la revue Molecular Plant.

Dans le règne végétal, l’acide jasmonique (JA) est le précurseur d’une classe de composés hormonaux appelés jasmonates (JAs) qui régulent divers processus de développement et d’adaptation. Les JAs s’accumulent de façon rapide et transitoire en réponse à diverses agressions extérieures, comme des attaques par des insectes herbivores ou certaines infections microbiennes. Une forme hormonale particulière, le conjugué jasmonoyl-isoleucine (JA-Ile), agit comme un puissant régulateur, dont la perception déréprime de nombreuses réponses transcriptionnelles permettant de combattre l’agresseur.

 

Des recherches antérieures avaient identifié deux modes d’élimination enzymatiques de l’hormone active JA-Ile, par oxydation ou par déconjugaison, permettant ainsi d'atténuer les réponses de défense coûteuses pour la plante, lorsqu’il faut rediriger les ressources vers la croissance et le développement. Les chercheurs ont maintenant identifié de nouvelles oxydases qui modifient l’acide jasmonique, en fait une pro-hormone, au détriment de son activation en JA-Ile. En absence de stimulation, ces enzymes appelées JAO oxydent continuellement les niveaux faibles de JA en hydroxy-JA, permettant de limiter la formation de JA-Ile, et contribuent ainsi à maintenir les défenses éteintes lorsqu’elles ne sont pas nécessaires.

 

Thierry Heitz et ses collaborateurs ont montré par des approches génétiques que la suppression de la protéine JAO2 conduit à une augmentation considérable des niveaux de défense, alors que ceux-ci ne s’élèvent normalement qu’après une attaque, résultant en des niveaux de résistance plus élevés à des agresseurs chez les mutants jao2. De façon surprenante, cette défense permanente se produit sans augmentation notoire des teneurs en JA-Ile, bien que le mécanisme sous-jacent dépende du métabolisme et de la perception accrus de cette hormone.

 

De fait, ces travaux originaux démontrent que la gestion métabolique de traces de JAs chez la plante au repos impacte fortement leur signalisation hormonale. Le produit d’oxydation 12OH-JA résultant de l’activité JAO est un dérivé inactif bien connu, mais dont le mode de formation direct avait jusqu’à présent échappé aux investigations. 
   
Cette découverte identifie la diversion métabolique comme un nouveau mode de régulation des réponses hormonales contrôlées par les jasmonates. Sa compréhension permet de cibler chimiquement ou génétiquement l’expression des défenses naturelles, et ouvre des perspectives d’application dans la protection des plantes contre de nombreux ravageurs.

 

Image retirée.
Figure : A : Dans des feuilles de type sauvage en situation non stressée, l’oxydase JAO2 forme continuellement le dérivé 12OH-JA, limitant l’activation de JA en JA-Ile, ce qui participe à la répression des défenses. Lorsque l’on inactive génétiquement JAO2 (mutant jao2), le flux métabolique est détourné vers la formation, la signalisation et le catabolisme de JA-Ile, résultant en une défense permanente élevée. B : La défense permanente chez les plantes jao2résulte en une résistance élevée à l’infection par le champignon Botrytis cinerea.

© Thierry Heitz

 

 

En savoir plus

Contact

Thierry Heitz