La revanche des bactériophages sur CRISPR-Cas9

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CRISPR-Cas9 - système immunitaire bactérien détourné pour l’édition de génomes - peut être inactivé par des protéines de bactériophages, les anti-CRISPR (Acrs). Une nouvelle famille d’Acrs (AcrIIA6) a été identifiée à partir de bactériophages résistants à CRISPR-Cas9 de Streptococcus thermophilus. Ces Acrs permettent aussi de réguler l’édition de gènes dans des cellules humaines. Les AcrIIA6 présentent un repliement 3D original et leur étude structure-fonction est essentielle pour comprendre leur mode d’action et développer des outils biotechnologiques. Ce travail est publié dans la revue Nature Communication.

Les bactéries sont dotées de nombreux systèmes de défense pour contrer les attaques constantes de virus, aussi appelés bactériophages. En l’occurrence, le système immunitaire CRISPR-Cas9 permet de constituer une mémoire des infections passées en intégrant dans le chromosome bactérien des fragments d’ADN viral, qui seront utilisés lors d’attaques ultérieures pour diriger Cas9 (dont la fonction est de dégrader l’ADN) spécifiquement contre le génome viral à détruire. Le système CRISPR-Cas9 a été détourné de sa fonction originelle pour mettre au point un puissant et prometteur outil biotechnologique d’édition de gènes.

Cette dégradation ciblée de l’ADN des bactériophages limite leur propagation. Il va sans dire que les bactériophages, qui sont les entités biologiques les plus abondantes de la planète, ont développé des systèmes de contre-attaque leur permettant de contourner les défenses bactériennes et de prospérer. Récemment, diverses protéines anti-CRISPR, ou Acrs, qui inactivent CRISPR-Cas9 ont été identifiées. Ces Acrs sont très diverses, largement répandues et ne ressemblent à aucune autre protéine connue.

Les mécanismes d’action des Acrs sont encore peu décrits. Comprendre leur fonctionnement au niveau moléculaire est essentiel pour approfondir notre connaissance des interactions entre les bactéries et leurs prédateurs, et pour permettre de mieux contrôler les techniques de modification de gènes. Dans ce contexte, une collaboration entre des laboratoires de recherche académiques et industriels a identifié une nouvelle famille d’Acrs, AcrIIA6, à partir de bactériophages résistants à l’immunité CRISPR-Cas9 de Streptococcus thermophilus. Les AcrIIA6 sont largement répandus chez les bactériophages streptococcaux (33% de ces phages possèdent une AcrIIA6) et présentent une étonnante diversité de séquence (48 allèles différents parmi 90 bactériophages). Ces AcrIIA6 inhibent l’activité de St1Cas9 dans le cadre de la réponse immunitaire bactérienne. Ils inactivent également le processus d’édition des génomes dans les cellules humaines.

La structure cristallographique d’une AcrIIA6 révèle un repliement tridimensionnel original et montre que ces protéines agissent sous forme de dimères. La caractérisation biochimique et structurale des interactions entre les AcrIIA6 et leur cible moléculaire est la prochaine étape dans le processus de décryptage du mode de fonctionnement de ces protéines.

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Figure : Les protéines anti-CRISPR AcrIIA6 de bactériophages streptococcaux sont un moyen de défense contre l’immunité bactérienne CRISPR-Cas9.
© Adeline Goulet et Christian Cambillau

 

En savoir plus :

Widespread anti-CRISPR proteins in virulent bacteriophages inhibit a range of Cas9 proteins.
Hynes AP, Rousseau GM, Agudelo D, Goulet A, Amigues B, Loehr J, Romero DA, Fremaux C, Horvath P, Doyon Y, Cambillau C, Moineau S.
Nat Commun. 2018 Jul 25;9(1):2919. doi: 10.1038/s41467-018-05092-w.

 

Contact

Adeline Goulet
Chercheuse CNRS au laboratoire d'Architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB) - (CNRS / Université Aix-Marseille)