Des modèles informatiques pour expliquer le développement de la vision

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Comment les mécanismes neuronaux sous-tendant la perception visuelle se mettent-ils en place ? Un modèle informatique très simple utilisant des réseaux de neurones et des images naturelles montre que les neurones artificiels acquièrent automatiquement des propriétés semblables à celles des neurones naturels. Cette faculté apporte un nouvel éclairage sur la question de l’inné et de l’acquis et pourrait permettre de mieux comprendre certaines pathologies développementales comme l’amblyopie. Cette étude a été publiée dans Journal of Neuroscience.

Notre perception sensorielle est-elle innée ou acquise ?

Afin de mieux comprendre comment les mécanismes neuronaux qui sous-tendent notre perception visuelle, et notamment la perception de profondeur, se mettent en place à partir de la naissance, les chercheurs ont utilisé des modèles informatiques basés sur des réseaux de neurones artificiels.

Ces modèles sont capables d’apprendre, sans aucune supervision, les propriétés récurrentes au sein des scènes visuelles à partir d’une loi computationnelle très simple proposée il y’a plus de cinquante ans ! En effet, au sein des réseaux de neurones naturels, les synapses associées aux propriétés visuelles les plus fréquentes sont progressivement renforcées alors que celles associées aux propriétés plus rares ou inexistantes sont affaiblies. Cette propriété a été implémentée dans des réseaux de neurones artificiels.

Un des points fort de cette étude est que les modèles ont été entrainés avec des images stéréoscopiques de scènes naturelles. En effet, pour être perçu en relief, un objet doit être vu simultanément par les deux yeux : les images de cet objet sont projetées sur chaque rétine et la fusion de ces deux images légèrement décalées permettra la perception de profondeur. Cette disparité de position sur les rétines dépend de la position de l’objet par rapport à l’observateur et constitue l’indice binoculaire principal utilisé par le cerveau pour reconstruire la 3D. Les paires d’images utilisées ici sont cohérentes avec une expérience binoculaire quotidienne et comprennent des objets comme des légumes, des fleurs, des pierres, des coquillages, de la végétation...

Les résultats de l’étude ont montré que lorsque le modèle est entrainé avec ces images stéréoscopiques naturelles, les neurones du réseau artificiel deviennent automatiquement sélectifs à la disparité binoculaire nécessaire à la perception stéréoscopique. La structure de ces neurones est également très proche de celle des neurones enregistrés chez le vivant, contrairement à ce qui avait été observé à partir de modèles informatiques plus complexes mais sans fondement biologique. Cette démarche originale a également permis de montrer comment des biais connus et présents au sein de notre environnement peuvent influencer notre traitement mais aussi notre perception de la scène visuelle. En effet, les caractéristiques visuelles des objets dépendent parfois de leur position dans l’espace (par exemple, des objets situés dans l’hémi champ visuel bas correspondent souvent à un objet situé dans l’espace proche) et leur traitement par le cerveau en tient compte.

L’utilisation de ces modélisations de mise en place de propriétés neuronales est validée par ces premiers résultats ; elle va être poursuivie et appliquée à des périodes clés du développement de l’enfant. En effet, l’évolution des propriétés de neurones naturels au moment de la naissance est encore très mal connue chez l’animal et encore moins chez l’homme. Cette étude, basée sur des neurones artificiels s’affranchit des difficultés d’expérimentation chez le vivant et permet de mieux comprendre comment les propriétés visuelles de nos neurones évoluent en fonction de l’expérience.

Bien comprendre le développement post natal normal amène aussi à mieux appréhender les problèmes de développement anormal et pathologique. En particulier, l’amblyopie est un trouble important de la vision qui découle très souvent d’un déficit de fonctionnement au niveau du cortex visuel et qui peut apparaître assez tôt dans la période périnatale. L’origine de cette pathologie est encore peu comprise : les chercheurs espèrent que leur modèle permettra de mieux comprendre et potentiellement de prévenir certaines pathologies développementales en général et l’amblyopie en particulier.

Image retirée.
Figure : Exemple d’images stéréoscopiques naturelles utilisées dans le modèle d’apprentissage. Cette photo anaglyphe doit être vue à travers des filtres cyan et rouge : les deux images colorées, identiques mais décalées, sont ainsi perçues séparément par l’œil droit et l’œil gauche. Ce décalage entre les deux images correspond à la disparité binoculaire et permet de voir cette photo en relief.
 
© Paul Hibbard - https://github.com/DavidWilliamHunter/Bivis, licence MIT.

 

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Contact

Benoit R. Cottereau
Chercheur CNRS au Centre de recherche cerveau et cognition (CerCo)