Plongée dans les eaux du passé avec les crocodiliens de l'Omo

- Plongée dans les eaux du passé avec les crocodiliens de l'Omo

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​En étudiant la composition chimique des dents de crocodiliens fossiles, une équipe de recherche impliquant le laboratoire PALEVOPRIM (CNRS / Université de Poitiers) a exploré l'évolution des paysages d'eau douce et le climat au sud de l'Ethiopie, entre 3 et 1 millions d'années.

Cette étude qui implique le laboratoire PALEVOPRIM (CNRS / Université de Poitiers) est le fruit d’une collaboration au coeur du Projet Région Nouvelle-Aquitaine ASAP1 et de l’Omo Group Research Expedition2. Ce travail a été publié le 25 janvier 2024 dans la revue Biogeosciences.​
 

Les milieux aquatiques jouent un rôle vital dans les écosystèmes en fournissant une ressource indispensable à la vie : l'eau. Ces milieux enregistrent également des données précieuses qui témoignent des interactions complexes entre le climat, l'environnement, la géodynamique et la biodiversité. Cependant, dans les sites à hominines (ensemble des humains modernes et anciens), l’étude des environnements d’eau douce passés a souvent été reléguée au second plan derrière les environnements terrestres, malgré leur importance cruciale ; probablement car nos ancêtres ont montré un penchant prononcé pour la marche plutôt pour que la nage.

 

Plongée dans le passé de l’Omo

Dans le sud-ouest de l'Éthiopie, là où la rivière Omo se déverse dans le Lac Turkana, se trouve la formation de Shungura, datée d'environ 3,6 à 1 million d'années. Cette formation a préservé des archives précieuses de l'évolution des faunes, des paysages, et des jalons cruciaux de l'évolution humaine, marqués par des changements environnementaux majeurs (augmentation de l'aridité, ouverture des milieux forestiers en savanes et variations du niveau du lac Turkana). Cependant, malgré son potentiel, Shungura ne fait pas exception au constat précédent : seulement 15 % des études portant sur cette formation mentionnent ses écosystèmes aquatiques. Une lacune en termes d'outils complique la description des milieux aquatiques avec la même précision que les milieux terrestres, rendant ardue la reconstitution complète des paléoenvironnements.

Pour combler cette lacune, cette nouvelle étude introduit une approche novatrice basée sur l'utilisation de la composition isotopique en oxygène enregistrée dans les dents des crocodiliens fossiles. Cette approche propose d'extraire des informations sur la diversité des milieux aquatiques (lac, rivières, marécages…) et sur le climat régional, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour comprendre l'évolution des milieux aquatiques dans la formation de Shungura entre 3 et 1 millions d’années.

 

Pourquoi s’intéresser aux crocodiliens ? aux isotopes de l’oxygène ? Qu’ont-ils à nous raconter ?

L'oxygène, présent partout, dans l'air, l'eau, notre nourriture et même nos os et nos dents, a deux formes principales appelées isotopes 16O et 18O. La proportion entre ces isotopes dans un matériau, comme une dent, résulte d'une combinaison complexe d'influences climatiques, environnementales, physiologiques, développementales et écologiques. Pour retracer l'histoire des milieux aquatiques et des climats passés, cette étude propose d’utiliser les isotopes d'oxygène des vertébrés aquatiques à sang froid (ectothermes), dont l'oxygène provient principalement de l'eau dans laquelle ils vivent et qui sont très sensibles à leur environnement : les crocodiliens. La composition isotopique de leurs dents se révèle être un outil utile pour évaluer la diversité des environnements d'eau douce qui leur étaient accessibles à une échelle locale (quelques dizaines de kilomètres), tout en fournissant des détails sur l'origine de l'eau, les moussons, les précipitations, la topographie, etc.

crocodiliens.jpgRésumé graphique de l’étude de Gardin et al., 2024, (© EunJung Park, Science Graphic Design)

 

Application aux dents de crocodiliens de la Formation de Shungura

Cette méthode a été mise en oeuvre sur 238 dents de crocodiliens fossiles issues de divers niveaux de la formation de Shungura, datant entre 3 et 1 million d’années. Les analyses isotopiques ont révélé deux conclusions majeures.

- Dans les niveaux les plus anciens, les crocodiliens proviennent d'une variété importante de points d'eau (lacs, mares, rivières, marécages, etc.). Cela suggère qu'il existait probablement une grande diversité de milieux aquatiques dans les environs de l'Omo il y a environ 3 millions d'années. Cependant, à partir de 2,3 millions d'années, une réduction de cette diversité est observée, les crocodiliens semblant n'avoir eu accès qu'à un seul type de point d'eau. Cela pourrait être attribuable à un contexte plus aride dans la région.

- Deuxièmement, la composition isotopique en oxygène de l'eau consommée par les crocodiliens de Shungura a connu une augmentation significative au cours des 3 derniers millions d'années. Cette évolution pourrait résulter de changements atmosphériques affectant la trajectoire des moussons ou d'une diminution des précipitations en Éthiopie. Répondre à cette question fondamentale, pour la compréhension des changements climatiques et de la disponibilité en eau en Afrique de l'Est, nécessitera de nouvelles investigations avec des méthodes complémentaires.

Les dents de crocodiliens fossiles se retrouvent dans de nombreux sites à travers le monde ! Ce modèle interprétatif, développé pour la formation de Shungura, pourra être adapté et appliqué à d'autres sites continentaux et tropicaux pour améliorer notre compréhension des climats et environnements aquatiques passés.

 

Cette recherche a été menée dans le cadre de la thèse d’Axelle Gardin, dirigée par Olga Otero et Géraldine Garcia, du Projet Région Nouvelle-Aquitaine ASAP1 (n°210724, PI : Olga Otero) et l’Omo Group Research

Expedition2 (OGRE, PI : Jean-Renaud Boisserie) et a reçu le soutien financier du laboratoire PALEVOPRIM (CNRS & Université de Poitiers), du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, du CNRS, de l’Agence

nationale pour la recherche, la Fondation Fyssen, la Région Nouvelle-Aquitaine et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ont également participé à ces travaux le laboratoire Biogéosciences (Université de Bourgogne/CNRS), le Centre français d’études éthiopiennes à Addis Abeba (CNRS/MEAE), le GeoZentrum Nordbayern d’Erlangen (Allemagne), le Centre Européen de Recherche et d’Enseignement de Géosciences de l'Environnement d’Aix-en-Provence

(AMU/CNRS/IRD/INRAE) et l’Institut Terre & Environnement de Strasbourg (UNISTRA/CNRS).

1 Projet Région Nouvelle-Aquitaine ASAP « Connaitre les Amplitudes de Saisonnalité en contextes Archéologiques et Paléontologiques continentaux » : http://palevoprim.labo.univpoitiers.fr/language/en/2020/01/09/asap-2019-2022/

2Omo Group Research Expedition : http://palevoprim.labo.univ-poitiers.fr/language/en/2019/03/10/ethiopia/

 

Contacts

Presse Université de Poitiers l  

Contact scientifique l Axelle Gardin l

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