Les sciences du patrimoine en plein renouveau

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Du 13 au 16 février, les experts mondiaux de la recherche sur les matériaux anciens se réuniront à Paris à l’occasion de la Rencontre mondiale patrimoines, sciences et technologies. Pour Loïc Bertrand, directeur du laboratoire Ipanema et coorganisateur de cet événement, ce rendez-vous s’inscrit dans le renouveau de la discipline.

Le CNRS et le laboratoire Ipanema1 , en collaboration avec l’Académie des sciences, vont organiser la Rencontre mondiale patrimoines, sciences et technologies, sous l'égide du Groupe interacadémique pour le développement (GID)2 . Une première ?
Loïc Bertrand : Tout à fait. L’idée d’organiser cette rencontre au sein du tout nouvel auditoium de l’Institut de France n’est d’ailleurs pas anodine. Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie3 , nous a d'ailleurs immédiatement proposé de coorganiser cet événement. Celui-ci marque la reconnaissance de la recherche sur les matériaux anciens, champ disciplinaire qui s’est développé au fil des ans. C’est un moment précieux pour nous qui souligne la collaboration entre laboratoires et l’émergence d’une génération de chercheurs qui travaillent avec de nouveaux outils. Nous en profiterons pour faire le point sur les avancées scientifiques dans la recherche sur les matériaux anciens en archéologie, paléo-­environnements, paléontologie et pour le patrimoine culturel, mais également pour identifier les thématiques émergentes afin de favoriser leur développement.

Comment vont se dérouler ces journées ?
L. B. : Elles seront marquées par trois temps forts : deux jours de colloque scientifique (14-15 février), une journée de tables rondes ouvertes au public (16 février) et, en parallèle, six événements organisés en Île-de-France approfondissant chacun une thématique particulière. La journée ouverte au public vise à croiser les regards scientifiques, économiques, sociétaux, politiques, etc. autour de l’objet patrimonial. Pour le GID, ce dernier est un levier de développement économique et social. Les patrimoines sont, de ce pont de vue, quelque chose de très vivant. Plusieurs grands acteurs seront présents au colloque scientifique. Pour n’en citer que quelques-uns, nous recevrons Piero Baglioni de l’Université de Florence, pionnier dans les nouveaux traitements de restauration du patrimoine à partir de gels nanostructurés, Katrien Keune du Rijksmuseum d’Amsterdam, spécialiste des mécanismes ­physico-chimiques d’altération des peintures flamandes, ou encore Uwe Bergmann, physicien américain qui développe de nouveaux outils pour l’étude de la composition et de la biochimie des fossiles à partir de rayons X. Une vingtaine d’oratrices et d’orateurs du CNRS ou issus de différents laboratoires liés au CNRS vont intervenir, montrant la force de celui-ci dans la recherche sur les matériaux anciens.

Ces journées seront aussi l’occasion de réfléchir à l’organisation de la communauté de cette discipline. Aujourd’hui, par exemple, le Domaine d’intérêt majeur Matériaux anciens et patrimoniaux, réseau que nous animons en Île-de-France, regroupe 733 scientifiques répartis dans 95 laboratoires. La recherche en matériaux anciens résulte donc d’une structure diffuse, véritable moteur d’une interdisciplinarité absolument nécessaire, mais qui soulève également des questions d’animation, de partage et de formation.
 

Quels sont les grands défis mondiaux pour faciliter la recherche sur les matériaux du patrimoine ?
L. B. : Je vais vous citer trois enjeux. Tout d’abord obtenir un meilleur soutien. La Commission européenne, avec l’appui du Parlement européen, a annoncé que le patrimoine serait de retour parmi ses priorités de recherche 2021–2027. Du jamais vu depuis le 5e programme-cadre qui date de vingt ans ! Il n’y a pas si longtemps, le sujet n’était pas vu comme de la science « sérieuse », même si les découvertes importantes se multipliaient, avec, de plus, un très fort intérêt du public. Un deuxième enjeu est de développer des collaborations internationales sur des objets, des collections ou des sites uniques. Il faudrait mieux articuler la recherche et les expositions des grands musées, ou encore pouvoir mieux s’investir dans les chantiers de fouilles archéologiques importants.

Véritable révolution commencée il y a une vingtaine d'années, l’imagerie spectrale haute définition prend une ampleur insoupçonnée. Elle permet d’étudier des fossiles, des tableaux..., associant informations de composition et de forme.

Enfin le troisième enjeu : l’interdisciplinarité, qui est critique pour l’étude des patrimoines. Le fait d’avoir des communautés si interdisciplinaires nous amène à faire collaborer des chercheurs issus de domaines aussi différents que l’histoire de l’art, la physique, les mathématiques ou les sciences sociales. Par exemple, la collaboration directe avec les humanités numériques questionne le droit, le statut des données, les conditions de réemploi, les usages… Les avancées obtenues pourraient également être amenées vers d’autres sciences. Le patrimoine est un véritable bouillon de culture interdisciplinaire !

La recherche sur les matériaux anciens connaît actuellement un profond renouveau. Notamment grâce au développement de nouvelles méthodes telles que l’imagerie, le scanner 3D, le laser et les grands instruments…
L. B. : L’imagerie spectrale haute définition est pour nous une révolution qui a commencé il y a une vingtaine d’années et qui prend une ampleur insoupçonnée. Elle nous permet d’étudier des fossiles, des tableaux, associant informations de composition et de forme. Coupler ces deux niveaux d’information facilite l’interprétation de systèmes très complexes, en outre vieillis et altérés, et cela nous permet d’identifier plus rapidement les points clés à étudier. Nous pensons que les futurs modes de fouilles des données joueront un rôle critique pour mieux comprendre un mécanisme d’altération, la forme d’un organe fossile, ou pour identifier des signatures et des indices qui aideront à établir une authenticité.

Vous êtes le représentant de la France (avec Isabelle Pallot-Frossard4 ) auprès de l’European Research Infrastructure for Heritage Science (E-RIHS) dont l’équipe sera présente à la Rencontre mondiale. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette plateforme ?
L. B. : E-RHIS, qui sera opérationnelle dès 2022, a pour objectif de regrouper de grands outils de caractérisation (synchrotron, microscopies, lasers, instruments de datation…), des outils mobiles, et de coupler le tout à des bases de données et à des fonds d’archives. Cette plateforme répond à un besoin de simplification. Par exemple, si un muséum veut étudier une collection importante, il n’existe pas aujourd’hui de guichet commun auprès des outils européens. Une équipe de recherche devrait faire autant de demandes de caractérisation que d’instruments. E-RIHS permettra de donner ces accès communs. L’idée est également de pouvoir soutenir des projets longs (collections de musée et muséums, grands projets d’exposition, travaux sur site) avec des consortiums nationaux ou internationaux importants. Une fois le projet sélectionné, E-RIHS ouvrira toute la force de frappe des infrastructures en Europe.

Dans des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce, les collections sont telles que les recherches vont se développer à un double niveau, national et européen. Le but est d’avoir un lieu où l’on discute de manière concertée pour éviter des doublons.

Le sujet des compétences est également au cœur ­d’E-RHIS, car les utilisateurs de cette infrastructure viennent tout autant chercher des outils que des gens. Grâce à la Rencontre mondiale, nous allons alerter les organismes et les universités sur le fait que le développement de ce champ de recherche implique le développement de métiers. Dans certains pays européens tels que la France, l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce, les collections sont telles que les recherches se développeront à un double niveau, national et européen. Mais le but est d’avoir un lieu où l’on discute des priorités et du développement des outils de manière concertée pour éviter des doublons, et offrir des outils mieux adaptés.

Vous êtes également le directeur de la plateforme Ipanema, qui accompagne les chercheurs souhaitant réaliser des analyses de matériaux au synchroton Soleil. Quelle expérience apportera cette dernière à l’E-RIHS ?
L. B. : Ipanema est une structure atypique liée à la naissance du synchrotron Soleil5 , que le CNRS et ses partenaires ont souhaité ouvrir à un certain nombre de thématiques scientifiques telles que la recherche sur le patrimoine. La plateforme a un mode de fonctionnement particulier : elle pratique beaucoup de recherches méthodologiques et de développement de nouveaux outils. Via son fonctionnement par hébergement de collègues sur la base d’un projet scientifique, elle permet à la communauté, notamment aux jeunes scientifiques, de se former aux méthodes synchrotron. D’une certaine façon, les questions d’organisation que se pose E-RHIS sont des questions auxquelles nous avons eu affaire à Ipanema. Nous pourrons ainsi utiliser notre expérience pour aider au mieux son développement.

Rendez-vous : Rencontre mondiale patrimoines, sciences et technologies, du 13 au 16 février, à l'auditorium de l’Institut de France, 3 rue Mazarine à Paris.

 

  • 1Unité CNRS/ministère de la Culture/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Université Paris-Saclay.
  • 2Présidé par François Guinot, le Groupe interacadémique pour le développement (GID) est un réseau international créé en 2007 par onze académies de l’Europe du Sud et du continent africain.
  • 3Ancienne présidente du CNRS, Catherine Bréchignac est aussi ambassadrice déléguée à la Science, la technologie et l’innovation.
  • 4Isabelle Pallot-Frossard, historienne de l’art, dirige le Centre de recherche et de restauration des Musées de France depuis 2016.
  • 5Pour Source Optimisée de Lumière d’Énergie Intermédiaire du Lure (Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique).