Une étude comportementale internationale face à la pandémie

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Relayée à travers le monde par des organismes comme le CNRS, l’étude iCare se penche sur les perceptions et les actes des citoyens face aux recommandations et restrictions annoncées pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Coordonné par le Centre de médecine comportementale de Montréal, cet effort de recherche est construit autour d’un questionnaire disponible en près de trente langues.

Si elle n’a pas le bilan meurtrier de la peste ou de la grippe espagnole, l’épidémie de COVID-19 reste inédite par sa capacité à profiter de nos sociétés mondialisées pour se répandre à travers la planète. Alors que médecine et recherche fondamentale se mobilisent, aucune piste ne doit être négligée.


« Nous affrontons une crise sanitaire particulière », affirme le neuroscientifique Mathieu Beraneck, chargé de recherche CNRS au Centre intégrative et cognition1 . « Un problème que, sans vaccin ni traitement, les méthodes biomédicales traditionnelles ne peuvent pas encore régler. Pour tenter de contenir la maladie, nous avons vu les gouvernements s’emparer d’approches comportementales et donner de nombreuses consignes aux citoyens. » Isolation, distances de sécurité, lavage de mains, port d’un masque… beaucoup d’actes de prévention sont ainsi recommandés à la population et une énorme partie de la lutte contre l’épidémie dépend de la mise en œuvre individuelle de ces mesures.


Entre alors en jeu la médecine comportementale, qui promeut la prévention afin d’éviter ou de limiter les pathologies. Elle est particulièrement utilisée contre des maladies chroniques, telles que l’obésité ou l’hypertension artérielle, mais aussi pour étudier l’usage de contraceptifs ou le suivi et le respect des campagnes de vaccination. « On s’attend normalement à ce que la médecine règle tous nos problèmes, à ce que le bon médicament ou la bonne opération nous guérisse », glisse Mathieu Beraneck.  « Le COVID-19 nous oblige à sortir de ce logiciel de traitement a posteriori. Comme le dit le proverbe : mieux vaut prévenir que guérir.» C’est pourquoi le Centre de médecine comportementale de Montréal (CMCM)2 s’est penché sur l’épidémie de COVID-19. Mathieu Beraneck a connu les directeurs de ce centre lors d’un précédent poste au Canada, il les aide aujourd’hui à relayer en France ce projet international : l’étude iCare. Ce questionnaire en ligne vise à comprendre comment les gens acceptent ou non les mesures barrières, des plus légères aux plus drastiques, des simples recommandations aux contraintes sous peine de sanctions.


Quantifier réactions et comportements
S’il est suffisamment diffusé, iCare fournira énormément de données sur un large panel d’individus, sains comme malades. Il se remplit en une vingtaine de minutes. « Pour la médecine comportementale, l’important est d’arriver à quantifier les actes et les choix des personnes », insiste Mathieu Beraneck. Les résultats serviront bien entendu aux chercheurs, mais également aux décideurs, dont les réactions sont parfois tâtonnantes dans ce contexte inédit.

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Le questionnaire en ligne icare vise à comprendre comment les gens acceptent ou non les mesures barrières, des plus légères aux plus drastiques. ©pixabay/icare/cnrs


« L’efficacité des mesures dépend de trois choses », affirme Kim Lavoie, codirectrice avec Simon Bacon du CMCM et directrice d’iCare. « D’abord, la population doit recevoir et comprendre le message des autorités. Les gens doivent ensuite percevoir le bien-fondé de ces directives, pour bien vouloir les suivre. Enfin, il faut regarder quels comportements sont réellement adoptés. Il faut prendre en compte que l’être humain n’est pas forcément logique. » Face aux recommandations et aux sanctions, la désinformation peut en effet altérer les choix. La réponse des États a également été très variable, selon la gravité de l’épidémie dans chaque pays et, il faut bien le dire, parfois selon des critères plus politiques et économiques que sanitaires.


Avec son équipe du CMCM, Kim Lavoie veut dresser un panorama des ripostes des gouvernements face au COVID-19, des réactions, des préoccupations et des perceptions des citoyens. Entre la santé personnelle, celle des proches et les conséquences économiques, les facteurs d’inquiétude sont en effet nombreux. Une perception qui va de plus changer en fonction des différences d’âge, de sexe, de lieu de résidence, etc. Un large panel de cas à considérer pour adapter les réponses sanitaires locales et globales.


Trouver le bon angle
« On a par exemple vu beaucoup de jeunes continuer de faire la fête et de circuler aux États-Unis », illustre Kim Lavoie. « À cause d’une réaction gouvernementale assez lente et l’idée reçue que les jeunes seraient moins touchés par la maladie, ils n’ont pas été sensibles aux messages de précaution. Nous autres experts sommes justement là pour identifier les meilleurs moyens de les persuader. Une approche plus efficace serait de leur dire, que pour avoir une chance de voyager, de reprendre les études ou de trouver un emploi avant l’automne, ils doivent appliquer la distanciation sociale dès maintenant. »


Pour rendre compte au mieux de ces nombreuses réalités, iCare rassemble plus de cent vingt collaborateurs à travers la planète. Profitant de cette manne internationale et du cosmopolitisme de Montréal, le questionnaire a déjà pu être traduit en plus de vingt-cinq langues. L’équipe vise la quarantaine, ce qui permettrait au formulaire d’être lisible par plus des deux tiers de la population mondiale. L’étude devrait durer au moins six mois, avec des relances régulières des participants afin de voir comment leur comportement change. La prolongation et l’évolution des mesures barrières risquent effectivement de décourager plus d’une personne initialement respectueuse des consignes. Certains protocoles de confinement pourraient également avoir un impact sur la santé mentale, la consommation d’alcool et de drogues ou les violences domestiques, des phénomènes qu’il faudra surveiller avec attention et qui rejoignent les préoccupations de la médecine comportementale.


Les réponses seront collectées et conservées pendant dix ans sur un serveur de l’Université du Québec à Montréal. L’étude a été approuvée par le Comité d’éthique de recherche du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord de l’île de Montréal (CIUSSS-NIM).

Lien vers l’étude : https://mbmc-cmcm.ca/fr/covid19/

  • 1Centre neuroscience integrative et cognition (CNRS/Université de Paris).
  • 2Université du Québec à Montréal/Université Concordia.