© Frédérique PLAS/LKB/CNRS Photothèque

Jean DalibardPhysicien

Médaille d’or du CNRS

Brillant physicien et spécialiste reconnu des atomes froids, un domaine au cœur de l’interaction entre la matière et la lumière, Jean Dalibard est chercheur au Laboratoire Kastler Brossel (LKB)1 et professeur au Collège de France. 

Physicien au Laboratoire Kastler Brossel (LKB), membre de l’Académie des sciences, ancien professeur à l’École polytechnique et titulaire de la chaire Atomes et rayonnement depuis 2012 au Collège de France, cet explorateur du monde quantique est le lauréat 2021 de la médaille d’or du CNRS. Une distinction qu’il accueille avec humilité : « il s’agit là d’une récompense unique, qui résulte du jugement de personnes avec qui je partage la même méthode, les mêmes valeurs : la démarche scientifique, le doute et la confiance qui la soutiennent ». Né en 1958, Jean Dalibard a suivi un parcours « classique ». Après l’ENS puis l’agrégation de physique en 1981, il se lance dans une thèse sous la direction de Claude Cohen-Tannoudji2 . Là, il a la chance d’assister – et de contribuer – à l’éclosion d’un tout nouveau champ de recherche : les atomes froids. Autrement dit, il s’agit de parvenir à manipuler et contrôler de manière très fine le mouvement des atomes – du gaz – avec de la lumière – des lasers. Étudier les propriétés exotiques de cette matière quantique, mesurer de manière ultra-précise le temps (en construisant des horloges atomiques), valider des théories physiques fondamentales qui n’étaient jusqu’alors que des expériences de pensée, sont quelques-unes des applications possibles du refroidissement des atomes. Mais à l’époque, c’est un champ de recherche encore balbutiant et qui n’intéresse que peu de chercheurs. « On peut dire que j’ai eu la chance d’être – souvent – au bon endroit au bon moment », s’amuse-t-il.

Ce froid qui vient de la lumière

Le jeune physicien fait ses premiers pas à l'Institut d'optique dans l'équipe d'Alain Aspect, médaille d'or du CNRS en 2005, puis entre au CNRS en 1982. Jean Dalibard va alors chercher, lui aussi, à domestiquer les atomes. En 1986, il pose, lors d’une conférence à Helsinki (Finlande), les principes du piège magnéto-optique – un dispositif devenu standard dans les laboratoires du monde entier – permettant de confiner les atomes tout en les refroidissant. Au LKB, dans des cages de lumière, il piège un nuage d’atomes à l’aide de lasers et les refroidit par « effet Sisyphe ». Les atomes sont placés dans la situation du malheureux héros grec, condamné à pousser indéfiniment son rocher vers le sommet d’une montagne. Gravissant sans cesse des collines – de potentiel -, l’énergie des atomes diminue rapidement jusqu’à ce qu’elle devienne trop faible pour que les atomes atteignent le sommet suivant. Pour aller (toujours) plus loin, dans les années 1990, il met au point avec ses collaborateurs une nouvelle approche, la méthode théorique des fonctions d’onde Monte Carlo, également appelées « trajectoires quantiques », qui est utilisée par de nombreux chercheurs pour simuler le comportement de systèmes d’atomes et de photons dans des situations expérimentales variées. Un peu plus tard, les premières expériences qu’il mène sur les tourbillons quantiques dans les gaz d’atomes froids ouvrent un domaine encore très actif d’étude de la superfluidité de ces systèmes. Il décroche également un poste de chargé de cours, puis de professeur à l’École polytechnique, où il partagera son émerveillement pour la physique quantique avec de nombreuses générations d'élèves. Chercheur et enseignant passionné, il n’a jamais cessé de jouer avec la lumière et la matière, pour lui « l’essentiel du monde physique ». Durant toute sa carrière, dont trente années passées au CNRS, Jean Dalibard s’est distingué par l’originalité de son approche mêlant théorie et expérience.

Explorateur du monde quantique

Ses travaux pionniers ont permis des avancées considérables en physique atomique, en montrant comment la lumière permet de contrôler la matière. Car de manière contre-intuitive, la lumière se révèle ici une précieuse alliée : elle peut générer un froid extrême, jusqu’au millionième de degré au-dessus du zéro absolu, soit -273,15 °C. Comment ? En rendant les atomes quasi immobiles au sein de « mélasses optiques ». Dans un gaz chaud, les atomes sont agités de mouvements désordonnés, chacun disposant d’une grande énergie cinétique. Quand ils sont éclairés par un laser, ces atomes subissent des chocs avec les photons. Lors d’un choc, chaque atome recule comme un canon après un tir de boulet : sa vitesse est légèrement diminuée, de quelques centimètres par seconde. En répétant l’opération plusieurs dizaines de milliers de fois, voilà nos atomes refroidis en une fraction de seconde. « On fabrique ainsi une matière quantique aux propriétés radicalement différentes des fluides ou des solides que nous rencontrons au quotidien », explique le physicien. Au début des années 2000, fasciné par les condensats de Bose-Einstein, un état particulier de la matière à très basse température, Jean Dalibard se lance avec son équipe dans l’étude des tourbillons qui apparaissent quand ces fluides quantiques sont mis en rotation. « L’une de mes plus grandes joies est d’avoir été parmi les premiers à pouvoir observer ces tout nouveaux phénomènes avec des gaz d’atomes froids». Enfin, il travaille aujourd’hui sur la simulation quantique, une approche permettant de résoudre expérimentalement des problèmes hors de portée des calculs actuels en utilisant les gaz d’atomes froids. Ces derniers fournissent en effet une plateforme prometteuse pour préparer et étudier des systèmes quantiques complexes dans des conditions parfaitement contrôlées, et tenter ainsi de répondre à des questions issues de la physique des solides, de la physique nucléaire ou encore de l’astrophysique.

  • 1CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Collège de France
  • 2Claude Cohen-Tannoudji est lauréat de la médaille d’or du CNRS 1996 et du prix Nobel de physique 1997 avec ses collègues américains Steven Chu et William Daniel Phillips pour leurs recherches sur le refroidissement et le confinement d’atomes par laser.
© Frédérique PLAS/LKB/CNRS Photothèque

Dans l’intimité de la matière

Le passage au comportement – quantique – collectif des gaz froids est rendu possible, au milieu des années 1990, par un nouvel outil : le refroidissement par évaporation. « On élimine les particules qui ont le plus d’énergie pour ne garder que les plus lentes. La combinaison de ces deux refroidissements (le refroidissement d’atomes par laser et le refroidissement par évaporation, Ndlr) a permis d’atteindre en 1995 un nouvel état de la matière prédit par Einstein, en 1925, le condensat gazeux de Bose-Einstein », explique Jean Dalibard. Dans ces milieux confinés, des millions d’atomes placés dans un même état d’énergie et devenus indiscernables les uns des autres forment une onde de matière géante, comme les photons d’un faisceau laser. Certains gaz deviennent ainsi superfluides, acquérant l’étonnante capacité de s’écouler sans aucune viscosité. Lorsque les gaz sont refroidis très vite, des trous ou plutôt des vortex se forment. Il étudie, encore aujourd’hui, ces vortex quantiques, leurs formes, leurs dynamiques.

Jean Dalibard Talents CNRS

Physicien, Jean Dalibard a développé au sein du Laboratoire Kastler-Brossel (LKB, CNRS/ENS-PSL/Sorbonne Université/Collège de France) un parcours unique d’expérimentateur et de théoricien.

Audiodescription

CV

  • 1981 : Agrégation de physique
  • 1982 : Attaché de recherche au CNRS
  • 1986 : Thèse d'état sous la direction de Claude Cohen-Tannoudji sur l'interaction matière-rayonnement
  • 1989-2002 : Professeur chargé de cours à l’Ecole polytechnique 
  • 1992-2012 : Directeur de recherche au CNRS 
  • 2001-2006 : Directeur de l'École de physique des Houches 
  • 2001-2013 : Sous-directeur du Laboratoire Kastler Brossel
  • 2003-2016 : Professeur à l'École polytechnique
  • 2004 : Élu membre de l’Académie des sciences
  • 2010 : Prix des Trois Physiciens (Fondation de France) 
  • 2012 : Professeur au Collège de France (chaire Atomes et rayonnement)
  • 2021 : Médaille d’or du CNRS