"On peut souffrir d'un télétravail imposé"

CNRS

Suite aux mesures de confinement destinées à limiter la propagation du COVID-19, Arnauld Vasseur, médecin coordonnateur national du CNRS, nous explique comment la médecine de prévention s’organise à distance pour répondre aux besoins des agents.

La période de confinement a été prolongée jusqu’au 15 avril 2020. La majorité des personnels CNRS sont aujourd’hui en télétravail ou en autorisation spéciale d'absence (ASA). Comment la médecine de prévention de l’organisme — médecins, infirmier(e)s et secrétaires des services de médecine de prévention — les accompagne-t-elle pendant cette période difficile ?

Arnauld Vasseur : Après les premières annonces du Président de la République, Emmanuel Macron, le 12 mars dernier, en application des consignes gouvernementales et par analogie avec les consignes du ministère du travail, les médecins de prévention avaient considérablement réduit les convocations à des visites périodiques systématiques aux fréquences imposées. Priorisant certaines visites médicales, nous restions mobilisés pour recevoir les urgences. Le 16 mars, nous avons fermé les services médicaux, mais les personnels restent à l’entière disposition de l’ensemble des agents, qu’ils soient en télétravail ou en ASA, ou qu’ils se rendent encore en laboratoire — notamment pour effectuer les missions qui entrent dans le cadre du Plan de Continuité d’Activité (PCA). Dans le contexte du maintien de certaines recherches relatives au COVID-19, les médecins de prévention pourraient intervenir en urgence pour évaluer la compatibilité état de santé / poste de travail pour l’accès des personnels amenés à travailler dans des laboratoires de confinement dits L3, où sont manipulés des virus, parasites, ou bactéries potentiellement dangereux. Les agents souffrant d’une pathologie de longue durée traitée par immunosuppresseur, par exemple, sont particulièrement sensibles aux infections. Ils peuvent travailler dans ce type de laboratoire, mais dans des conditions bien définies. Dans le cas du coronavirus COVID-19, il se peut que nous ayons à les revoir en consultation avant de leur en donner l’autorisation.


Comment un agent peut-il « consulter » un médecin de prévention dans la situation actuelle ?

A. V. : Si un agent doit accomplir une mission relevant d’une des situations évoquées plus haut, il doit prendre contact avec son médecin de prévention, par courriel le plus souvent. Un message automatique lui sera alors adressé afin de lui permettre de contacter le praticien à distance, depuis son domicile. Cette procédure est valable pour tout type de demande et s’applique à tous les agents et directeurs d’unités. Au début, nous recevions des requêtes de directeurs d’unités nous demandant quelles étaient les dispositions à prendre si un agent avait des symptômes évocateurs d’une infection au coronavirus afin de protéger le collectif de travail. Ce n’est plus d’actualité puisque la majorité des sites sont désormais fermés. Nous sommes également très proactifs. Certains des agents suivis régulièrement risquent de vivre cet isolement plus difficilement que d’autres. Ils peuvent nous contacter, comme nous pouvons également les joindre pour nous assurer que tout va bien.

Certaines pathologies propres au confinement sont-elles en train d’apparaître ? Quels sont pour vous les principaux risques — d’un point de vue médical — d’un télétravail « prolongé » ?

A. V. : Les médecins en délégations constatent qu’il règne une morosité ambiante, que certains agents disent mal vivre ce télétravail qui, par la force des choses, leur est imposé. Au CNRS comme ailleurs, ce type de fonctionnement est normalement choisi par l’agent. De fait, ceux qui se retrouvent seuls chez eux ou en famille, se rendent compte qu’il n’est pas simple, dans ces conditions d’état d’urgence sanitaire avec confinement imposé, de télétravailler sur une durée indéfinie. Il n’y a de spécificité du secteur public, le secteur privé est dans la même situation. La Direction des ressources humaines du CNRS a d’ailleurs élaboré un guide sur la gestion du travail à distance dans le but d’aider les personnels comme les encadrants à mieux gérer cette situation totalement inédite.

De plus, nous suivons aussi des patients psychologiquement fragiles ou qui souffrent de maladies psychiatriques que le confinement peut aggraver. Il y a enfin les addictions — je pense aux tabagiques, aux personnes alcoolo-dépendantes…, en cours de sevrage ou sevrées, qui pourraient rechuter, par exemple.
 

Dans ce contexte, comment la médecine de prévention accompagne-t-elle un agent en souffrance ?

A. V. : Il y a trois possibilités. Les personnels des services de santé au travail se tiennent à disposition des agents en difficulté. Ils pourront prochainement communiquer par le biais d’un logiciel dénommé Tixeo, sur lequel nous sommes en train de travailler. Ceux qui ont accès à un ordinateur et à une webcam pourront échanger avec les agents sur cette plateforme individualisée et sécurisée. Un problème est que si un membre du personnel est en ASA, c'est peut-être justement parce qu’il ne dispose pas d’équipement informatique à domicile. Dans ces cas-là, il reste les autres moyens classiques de communication (téléphone).

Grâce à une convention avec la MGEN, les acteurs ressources des cellules médico-socio-professionnelles (médecin de prévention, assistant des services sociaux, responsable des ressources humaines) disposent des coordonnées d’une psychologue du travail, exclusivement dédiée aux agents du CNRS pendant toute la période de confinement. Chaque acteur ressource peut, s’il le juge nécessaire, mettre l’agent qui le contacte en relation avec ce soutien psychologique.

Enfin, il est également possible de bénéficier directement d’une écoute avec un psychologue en composant un numéro vert (0 800 10 50 56).

On parle beaucoup du manque de personnel soignant dans les hôpitaux. Comment la médecine de prévention du CNRS s’implique-t-elle dans des actions de solidarité ?

A. V. : Nous avons recensé tous les masques et gants qui se trouvaient dans les services médicaux. Les délégations régionales ont fait un travail exceptionnel en recensant tout le matériel qui pouvait être utile dans les laboratoires, et l’ont souvent déjà remis aux hôpitaux locaux. Nous pouvons aussi être réquisitionnés ou appelés par l’Agence régionale de santé (ARS), ou directement par un hôpital de proximité, à prêter main forte en cas de nécessité. Certains médecins et infirmiers sont déjà sollicités, d’autres – inscrits à la réserve sanitaire – sont susceptibles d’être mobilisés à tout moment.