La coopération internationale, un enjeu pour l’égalité de genre

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Dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, le CNRS organisait le 10 février un évènement sur l’égalité de genre dans la recherche et la coopération scientifique internationale.

Comment augmenter le « vivier » de femmes dans la science et favoriser la progression de leurs carrières ? Comment lutter contre les biais de genre ? Des questions qui illustrent les freins auxquels sont confrontées les femmes scientifiques - notamment quand il s’agit de coopération internationale - et qu’abordait l’évènement ‘L’égalité femmes-hommes dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation : des politiques institutionnelles aux enjeux de la coopération internationale’, organisé en ligne par le CNRS dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, le 10 février 2022, à la veille de la journée internationale des femmes et des filles de science.

« Même s‘il existe toujours des barrières d’ordres légal et culturel, l’égalité de genre doit et peut être assurée dans la recherche et la coopération internationale au travers d’actions concrètes. Tous et toutes, devons en avoir la volonté et poursuivre les efforts », déclarait Antoine Petit, président-directeur général du CNRS à l’ouverture de la journée rythmée par des présentations et des tables rondes qu’ont suivies plusieurs centaines d’internautes du monde entier.   

La coopération internationale, un enjeu pour l’égalité de genre

Alors qu’au sein de nombreux pays de l’Union Européenne, à l’instar de la France, les établissements de l’ESR ont mis en œuvre des politiques institutionnelles d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il reste rare de trouver des initiatives visant à promouvoir l’égalité dans le domaine de la coopération scientifique internationale.

« La question de la mobilité, de la coopération internationale n’a pas assez été prise en considération dans les débats sur l’égalité femmes-hommes dans la recherche. La conférence a été novatrice sur ce sujet », souligne Élisabeth Kohler, directrice de la Mission pour la place des femmes au CNRS. Cette conférence, qui réunissait des représentantes et représentants de l’ESR européen, de la Commission européenne et d’organismes de pays tiers—Liban, Afrique du Sud, mais aussi Inde ou Kenya—a porté sur les leviers, freins et initiatives existantes pour promouvoir l’égalité dans les actions, programmes et accords bi- ou multilatéraux avec des pays tiers, et a proposé de nouvelles perspectives.

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Cette conférence réunissait des représentantes et représentants de l’ESR européen, de la Commission européenne et d’organismes de pays tiers—Liban, Afrique du Sud, mais aussi Inde ou Kenya. © CNRS/PFUE Egalité Femmes-Hommes

Influences et partages de bonnes pratiques

Un constat. Malgré tous les efforts que peut faire chaque organisme européen de recherche pour l’égalité entre les genres, « dès que l’on se met à plusieurs tout devient plus compliqué », explique Élisabeth Kohler. Pour autant, c’est justement la coopération européenne et internationale qui peut aider à favoriser les bonnes pratiques en termes d’égalité de genre en proposant des normes à respecter, par exemple, avec la récente obligation pour les organismes de recherche souhaitant bénéficier des financements du programme cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union Européenne, Horizon Europe, d’adopter un plan d’action pour l’égalité femmes-hommes. « Et il y a eu de la résistance contre cette mesure dans certains pays », informe Élisabeth Kohler.

La coopération internationale permet également de ‘faire passer la bonne parole’ alors que les uns s’inspirent des bonnes pratiques des autres. « Le CNRS est un acteur important de la coopération internationale et il fait beaucoup dans le domaine de l’égalité entre les genres (voir encadré). Ses propres choix sur cette thématique peuvent influencer ses partenaires scientifiques et vis-versa », explique Élisabeth Kohler, qui a présenté un nouveau consortium européen financé par l’Union européenne rassemblant 18 organismes – dont le CNRS – provenant de 16 pays. Son objectif est de réaliser une cartographie de l’égalité de genre au sein des programmes et projets de recherche internationaux pour étudier les freins et proposer des leviers et recommandations.

« On en reste encore au stade des déclarations »

Au niveau européen, Marcela Linkova, membre de l’Académie des sciences de République tchèque et directrice du Centre pour le genre et la science1 , expliquait à l’occasion du panel ‘Politiques d’égalité́ institutionnelles et initiatives européennes’ que peu d’avancées avaient eu lieu depuis le Conseil du 1er décembre 2015 pour l’égalité de genre au sein de l’Espace européen de la recherche2 . Le projet européen Genderaction qu’elle coordonne montre que les accords internationaux de recherche bilatéraux ou multilatéraux intègrent très rarement les questions de genre. « On en reste encore au stade des déclarations », déplore-t-elle.

En mélangeant des intervenants représentants de multiples nationalités et organismes, cette conférence a permis d’identifier des idées originales ou bonnes pratiques parfois méconnues. L’Afrique du Sud, par exemple, est très active sur les politiques d’égalité. Le pays a des programmes et des bourses réservées aux jeunes femmes. « Dans les pays arabes, le pourcentage de femmes parmi les docteurs, est plus élevé qu’en Europe », rappelle Mouïn Hamzé, le secrétaire général du CNRS-Liban.

Panels de gouvernance, postes à responsabilité : où sont les femmes ?

La deuxième partie de journée s’est portée sur les exemples concrets d’actions mise en place pour favoriser l’égalité, avec par exemple les bourses de la Fondation L’Oréal-UNESCO pour les chercheuses ou la mise en place de quotas – « qui ont su faire leurs preuves dans le privé », indiquait Delphine O, secrétaire générale du Forum Génération Egalité au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Mais comment aller encore plus loin ? « Il reste encore beaucoup à faire à différents niveaux, » martèle Élisabeth Kohler. « D'abord sur la question du nombre des femmes dans la recherche, et plus précisément au sein des programmes de coopération internationaux, des panels de gouvernance et des postes les plus élevés ». Car le constat est sévère : la part des femmes à la tête des établissements de l’ESR s’élève à seulement 23,6 % en Europe, voire 12,1% en France. Quels sont les freins à la mobilité ? Quel est l’impact de la vie familiale et comment le contourner ? Quelles sont les limites du point de vue de la législation ? Autant de sujets que les panelistes, entre autres représentants du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, du Conseil national de la recherche scientifique du Liban, du Ministère de la science et de la technologie d’Inde ou de l’Ambassade du Kenya ont pris à bras-le-corps.

Favoriser la dimension du genre dans les programmes de recherche et innovation

« L’intégration de la dimension du genre en lien avec les objectifs de développement durable des Nations-Unies doit être plus financée et plus représentée dans les projets et programmes de recherche », souligne Élisabeth Kohler. Au niveau européen, la Commission Européenne fait partie des plus impliqués sur ces questionnements. Dans quasiment tous les appels du programme Horizon Europe, il faut préciser comment le projet prend en compte la dimension de genre/sexe ou sinon justifier en quoi celle-ci n’est pas pertinente pour la recherche proposée. « La valorisation et la promotion des femmes dans les dispositifs d’innovation est également un levier qui doit être actionné pour l’égalité entre les genres », conclut Élisabeth Kohler alors que la part des brevets déposés par des femmes s’élève à seulement 10,7 %.

« Les femmes scientifiques ont besoin de modèles féminins ‘normaux’ auxquels s’identifier », soulignait Delphine O indiquant que les femmes ne devaient pas avoir besoin de devenir Marie Curie pour pouvoir enfin être sur le devant de la scène.

  • 1Institut de de sociologie de l’Académie des sciences de la République Tchèque.
  • 2Les conclusions du Conseil du 1er décembre 2015 sur la Promotion de l’égalité́ entre les femmes et les hommes au sein de l’Espace européen de la recherche ont invité́ la Commission et les États membres « à envisager d’inclure, entre autres, le souci d’équité́ entre les sexes dans les dialogues avec des pays tiers dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation ».

L’égalité femmes-hommes au CNRS

En 2020, sur 33 000 personnels, le CNRS comptait 43,1 % de femmes, dont 34,3% parmi les chercheurs. Le CNRS s’est rapidement impliqué pour l’égalité femmes-hommes. Il a créé, il y a plus de 20 ans, en 2001, la Mission pour la place des femmes au CNRS faisant du CNRS le premier organisme de recherche français à créer une structure dédiée à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

En mars 2014, le CNRS prend à nouveau les devants en mettant en place un plan d’action institutionnel pour la parité femmes-hommes, un dispositif devenu obligation légale dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique de 2019. 

L’organisme crée en 2018 le comité parité-égalité composé de représentants des 10 instituts, et implante des correspondants et correspondantes égalité dans les 18 délégations régionales et jusque dans des unités avec des référents et référentes parité. Il y a également des référents parité désignés dans les instances de recrutement et de promotion des chercheurs et chercheuses.

En 2021, le nouveau plan d’action pour l’égalité 2021-2023 est dévoilé. Ce plan s’organise en conformité avec la loi de transformation ​​de la fonction publique, selon plusieurs axes, des écarts de rémunération à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le harcèlement et les discriminations, en passant par l’égal accès aux corps, grades et emplois, ou encore l’articulation entre vies professionnelle, personnelle et familiale.