Un laboratoire commun d’idées pour imaginer les territoires du futur

Institutionnel

À quoi pourront ressembler les territoires du futur ? Après le succès d’une rencontre inédite à Marseille, le CNRS, en réponse à l’un de ses six grands défis sociétaux, invite scientifiques et acteurs de terrain à les imaginer ensemble au sein d’un nouveau dispositif : les laboratoires communs pour réfléchir aux territoires habitables.

Quand on songe à Marseille, on imagine le Vieux Port, les calanques, la Bonne Mère, le Vélodrome… et, à l’horizon 2024, le laboratoire commun « Territoires habitables », une structure d’un nouveau genre entre le CNRS et les acteurs du territoire ! Cette idée de dispositif inédit est le fruit d’un groupe de travail sur le défi « Territoires du futur » du Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023 du CNRS.

Une expérience pilote à Marseille

            Pour aborder ce défi, le groupe de travail a tout d’abord retenu une définition singulière « Au-delà des villes, explique Stéphanie Vermeersch, directrice adjointe scientifique (DAS) de CNRS Sciences humaines et sociales et membre dudit groupe, tout lieu habité est un territoire structuré par un ensemble de relations systémiques entre les habitants et leur cadre de vie, relations qu’il importe aujourd’hui de penser et d’organiser suivant les principes de la durabilité au sens premier et large du terme des territoires du futur. Autrement dit, ceux-ci ne sont pas que les villes, mais l’ensemble des territoires, y compris ruraux, qu’il faut envisager dans la perspective de la durabilité et de l’habitabilité ». Avec de nombreux atouts mais aussi un réchauffement local de +1.5 °C, une pollution portuaire, la prépondérance de l’automobile, l’urbanisation littorale ou encore des inégalités sociales et territoriales, l’aire métropolitaine de Marseille apparaît comme un territoire riche de problématiques diverses mettant en jeu la capacité à comprendre et anticiper des dynamiques complexes dans une perspective de durabilité. Le CNRS y dispose par ailleurs d’une importante communauté scientifique, avec plus de 70 structures de recherche de toutes les disciplines.  

Une rencontre inédite s’y est tenue, sous la forme d’un colloque interdisciplinaire de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires du CNRS les 28 et 29 novembre 2022. Sa particularité ? Faire dialoguer scientifiques et acteurs de terrain, notamment des collectivités territoriales, autour des problématiques locales de sobriété, de santé, d’écologie et d’inégalités. Le succès fut au rendez-vous. « On a été impressionnés par le degré de dialogue et l’enthousiasme générés sur place », témoigne Stéphanie Vermeersch. Mais, au terme du colloque, une question demeure en suspens : que faire de cette envie de dialogue ? Après deux jours de discussion émergeait surtout un paradoxe, résumé par Stéphanie Vermeersch : « Nous avons compris qu’il existait une somme de connaissances sur ce territoire déjà très importante, mais que celle-ci n’infusait pas toujours dans les politiques publiques, alors qu’à l’inverse les acteurs des politiques publiques et les acteurs territoriaux détenaient par leur expérience et les données qu’ils récoltaient un savoir irremplaçable dont les chercheurs ont besoin ». Comment, dès lors, transformer la démarche scientifique en ressources pour l’action publique ?

            C’est à ce moment-là que survint l’idée d’un laboratoire commun original, consacré à l’étude des liens entre recherche et action locale. « Un laboratoire commun a beaucoup d’avantages, détaille Benoit Devincre, DAS de CNRS Physique et autre membre du groupe de travail : c’est un dispositif très souple, bien identifiable, qui permet d’organiser le partenariat autour d’un programme scientifique ». Un laboratoire commun permettrait ainsi de réunir, de manière inédite, les acteurs et de renforcer leur dialogue. De ce point de vue, Samuel Robert, géographe au laboratoire marseillais Études des structures, des processus d'adaptation et des changements de l'espace1 , spécialiste de la région et membre du groupe de travail, considère « le CNRS relativement pionnier à Marseille, dans la mesure où il va devoir inventer un lieu qui associe niveaux métropolitain et municipal.». Les modalités pratiques de ce laboratoire commun sont encore en discussion, mais l’on sait d’ores et déjà que trois contrats doctoraux, liés entre eux pour faciliter les recherches interdisciplinaires transversales, y seront intégrés.

  • 1Espace, CNRS / Aix-Marseille Université / Avignon Université / Université Côte d’Azur.
Une image technophile des territoires du futur : Le centre de Dubaï, en travaux perpétuels
Une image technophile des territoires du futur : Le centre de Dubaï, en travaux perpétuels© Hervé THERY/CREDA/CNRS Images

Une recherche en prise avec l’action publique

            Sans même attendre l’ouverture de cette première structure, les membres du groupe de travail, qui s'appuie sur l'expertise de tous les instituts du CNRS, ambitionnent dès maintenant d’autres déploiements à l’échelle nationale de ce qu’ils ont nommé les « laboratoires communs pour réfléchir aux territoires habitables ». La méthode d’implantation serait la même qu’à Marseille : identifier un territoire qui concentre bon nombre d’enjeux à questionner, y réunir les acteurs de terrain motivés lors d’un colloque prospectif puis pérenniser et cadrer les échanges au travers d’un laboratoire commun. Clermont-Ferrand, ville connectée à un territoire rural et à des centres-bourgs, a dès à présent été identifiée et ses acteurs locaux – tant l’université Clermont Auvergne et l’Inrae que la municipalité et la métropole – ont déjà manifesté leur envie de participer au colloque qui devrait s’y tenir début 2024. L’objectif d’un tel déploiement doit « répondre à l’envie de partenariat des acteurs locaux, qui considèrent que la recherche aide à faire avancer les choses », estime Stéphanie Vermeersch.

            Disposant de données fiables, nombreuses et établies de longue date sur chacun des territoires visés, les scientifiques, de quelque discipline qu’ils proviennent, peuvent en effet apporter une expertise de qualité aux politiques publiques locales. Et inversement. L’enjeu n’est toutefois pas de peindre les scientifiques en sachants, mais de les impliquer dans la production même de savoirs pratiques. Samuel Robert considère cette démarche nécessaire à l’heure des transitions : « Si l’on souhaite se projeter vers un futur inclusif, durable, socialement et écologiquement juste, il faut que tous les acteurs du territoire travaillent ensemble. Il faut de ce fait organiser des échanges et une co-construction des connaissances entre scientifiques et acteurs locaux à travers un outil – le laboratoire commun – articulant les sphères scientifique et territoriale ».

            Dans cette optique, le laboratoire commun apporte autant aux politiques publiques qu’aux scientifiques eux-mêmes. Fort d’une longue expérience en laboratoire, le géographe sait déjà nombreuses les initiatives existantes entre équipes de recherche et acteurs locaux, mais celles-ci se cantonnent encore souvent à des échanges bilatéraux et monodisciplinaires. À ses yeux, ce nouveau type de laboratoire commun, résolument interdisciplinaire, permettrait de « dépasser les approches sectorielles au sein de la communauté scientifique pour aller vers des territoires du futur qui intègrent une pluralité de regards, de compétences et d’acteurs ». Ce faisant, ces structures facilitant le passage de la recherche à l’action politique concrète répondraient, pour le DAS de CNRS Physique, à une forte « quête de sens » des scientifiques : « il existe une vraie demande de nos personnels à ce qu’on prolonge, en-dehors du laboratoire, la production scientifique par une utilité sociétale, parfois ancrée territorialement, et pas seulement sous la forme d’une valorisation économique ou technologique des connaissances ».

            En attendant les premiers résultats tangibles, une chose est sûre : les nouveaux laboratoires communs du CNRS n’ont pas encore vu le jour que déjà, à leur manière, ils contribuent à façonner les territoires du futur.

Quelle place pour la nature en ville à l'heure des transitions ? Une partie de la ville de Sao Paulo, au Brésil, observée depuis un hélicoptère
Quelle place pour la nature en ville à l'heure des transitions ? Une partie de la ville de Sao Paulo, au Brésil, observée depuis un hélicoptère© Hervé THERY/CREDA/CNRS Images

Les six défis du COP

Le CNRS a inscrit dans son COP 2019-2023 six défis auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et que l’organisme souhaite éclairer de manière déterminante dans les prochaines années, via une mobilisation coordonnée de ses dix instituts. Des défis complexes qui ont été révélés ou sont portés par les sciences, comme le changement climatique et l’intelligence artificielle, ou qui peuvent être éclairés par celles-ci, comme la transition énergétique. Dans un dialogue inter-institut coordonné par la Direction générale déléguée à la science, des groupes de travail dédiés ont identifié les actions et projets déjà menés au sein des laboratoires sur les six défis sociétaux sélectionnés.

Les six défis :

  • Changement climatique
  • Inégalités éducatives
  • Intelligence artificielle
  • Santé et environnement
  • Territoires du futur
  • Transition énergétique