Le projet ETERNEEEL implique trois instituts et couple la biologie évolutive à la bioénergétique cellulaire. © ETERNEEEL

80 nouveaux projets pour le programme 80|Prime

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Destiné à soutenir et renforcer l’interdisciplinarité entre instituts du CNRS, l’appel à projet 80|Prime a été renouvelé pour 2021.

Lancé pour marquer l’anniversaire des 80 ans du CNRS en 2019, le programme 80|Prime soutient des « projets de recherche interdisciplinaires multi-équipes » dans le cadre de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI). Originaux et en rupture, ces projets sont construits avec l’expertise combinée d’au moins deux laboratoires issus d’instituts du CNRS distincts (voir infographie). « Cela représente au moins 160 équipes tous les ans et ce programme permet de mettre en avant et de structurer certaines thématiques situées à l’interface des disciplines », explique Martina Knoop, directrice de la MITI.

Statistiques

Pour la troisième édition comme pour les années précédentes, les 80 projets sélectionnés bénéficient d’un budget annuel maximal par projet de 30 000 euros par an sur deux ans. « Le programme nous donne l’opportunité de financer un projet nouveau, plus exploratoire et sans résultat garanti à court terme, pour lequel nous avons besoin de développements expérimentaux », raconte la physicienne Sigolène Lecuyer1 (INP), dont le projet a été sélectionné l’an dernier. Avec des spécialistes des bactéries, elle mène ainsi le projet « Bacteria meet surfaces: how the micromechanical environment impacts bacterial virulence » (BAMS). Ils cherchent à déterminer si le microenvironnement mécanique des bactéries (les propriétés de la surface sur laquelle le biofilm des bactéries se développe) peut influencer leur virulence. « Cette influence est encore peu étudiée car ce n’est pas dans la culture des biologistes », ajoute Sigolène Lecuyer qui s’intéresse à une bactérie capable de contaminer des « environnements aux propriétés mécaniques variées », comme des implants rigides et des poumons spongieux.

Particularité par rapport aux autres appels à projets de la MITI : un contrat doctoral de 3 ans est adossé aux projets sélectionnés, afin de favoriser la formation par et pour la recherche et d’initier des doctorants aux approches interdisciplinaires. « C’est une opportunité pour notre doctorant d’appréhender les deux viviers thématiques pour choisir ensuite dans quelle direction il souhaite poursuivre ses recherches », explique le mécanicien Vladimir Salnikov2  (Insis), co-porteur avec le mathématicien Camille Laurent-Gengoux3  (Insmi) du projet Granum4 , sélectionné l’an dernier. Ce projet fait le lien entre des mathématiques « abstraites » et des « problèmes concrets » étudiés par les mécaniciens, en développant des outils numériques « fiables et efficaces » – à base de conservation de géométrie – pour la modélisation de certains systèmes complexes à nombreux sous-systèmes. Par exemple, pour des catamarans hydrofoils, il faut prendre en compte la structure du bateau et de ses voiles, mais aussi les écoulements à la fois de l’eau et de l’air. « Il n’existe pas d’appel à projet national qui corresponde à ce genre de projet qui n’est ni vraiment de la mécanique pure ni vraiment des mathématiques pures : le programme 80|Prime nous permet donc de démontrer que nos disciplines peuvent et doivent travailler ensemble », ajoute Camille  Laurent-Gengoux.

Des projets atypiques

« Il y a chaque année des projets inattendus, très originaux », confirme Martina Knoop qui rappelle que ce sont les dix instituts du CNRS qui proposent des projets de collaborations entre laboratoires, la sélection finale étant effectuée par le Comité de pilotage de la MITI. En 2021, le projet PARADISE alliant trois instituts (INSHS, INS2I et INSB) se donne ainsi pour objectif d’identifier, grâce au développement d’outils informatiques, des préparations de médicaments dont les propriétés bactéricides, associées aux symptômes visés, sont décrites dans des manuscrits arabes médiévaux. Les effets  de ces mélanges de substances actives, minérales et végétales, issus de la pharmacopée médiévale arabe seront ensuite testés en laboratoire sur un modèle de croissance de pathogènes bactériens d’intérêt médical.

Membres du projet Dynaco autour d'une prothèse
Le projet Dynaco (INSB/INS2I) s’intéresse contrôle dynamique d'une interface sensori-moteur cerveau-machine. Sur la photo, Luc Estebanez de l’Institut des neurosciences Paris-Saclay avec l’étudiante Marie Engel et la doctorante Zineb Hayatou. © Dynaco

Autre exemple en santé parmi les projets sélectionnés en 2020 : le biologiste moléculaire Jacques Montagne5  (INSB) et le biologiste de l’évolution Frédéric Mery6  (Inee) travaillent sur le rôle de l’environnement social dans la modulation de la progression tumorale, chez les drosophiles. Lorsqu’elles développent une tumeur intestinale, ces insectes sociaux augmentent leurs interactions avec d’autres mouches, en particulier si celles-ci sont également malades, ce qui en retour ralentit la croissance de la tumeur. « Ce projet SocialTumeur devrait nous permettre de décortiquer le phénomène à deux niveaux complémentaires, chacun avec notre approche propre et nos techniques d’analyse : Frédéric Mery regarde les mouches de l’extérieur, et moi de l’intérieur », témoigne Jacques Montagne. Les financements reçus l’an dernier, investis notamment dans les « imposantes machines nécessaires pour cartographier les interactions sociales », et la thèse associée permettront ainsi de comprendre les causes – réponses immunitaires, hormonales, etc. – de cette influence réciproque.

Répondre aux défis de demain

Structurants pour les instituts, les projets mettent en avant des interdisciplinarités très variées, les paires d’instituts les plus courantes (INSB et INC, ou Insis et INC) ne couvrant que six projets chacune. Suivant la tendance de l’année dernière, plus de la moitié des projets retenus sont en relation avec les six grands défis sociétaux inscrits dans le Contrat d’objectifs et de performance 2019-2023 du CNRS, en particulier les défis « intelligence artificielle » et « changement climatique » (voir infographie). En associant sciences humaines et sociales et physique statistique, le projet « promo2 - Proximity Mobility Model7  » entend par exemple interroger la pertinence et l’efficience – en termes de lutte contre les émissions (CO2, polluants) et d’organisation sociale (temps perdu, etc.) – de schémas d’organisation urbaine, comme le concept de la « ville du quart d’heure » prônant une proximité urbaine (re)trouvée. Le projet MIKADO8  vise, quant à lui, le développement des micro-batteries de demain, significativement améliorées : à charge rapide, compactes et encapsulées, de haute capacité de stockage et délivrant une haute tension. Elles pourraient servir pour garantir une grande autonomie aux futures technologies embarquées, tels des réseaux de capteurs sans fil ou l’Internet des Objets miniaturisés, avec des applications dans la santé, l’environnement, le transport et l’industrie.

Membres du projet Rivières2070 sur le terrain
Rencontre entre biologistes, écologues, hydrogéologues, sociologues autour d'un exercice d'exploration du milieu souterrain invisible (échantillonnage de sol) dans le cadre du projet Rivières2070 (INSU/INSHS). © Rivières2070

« Déposer un projet interdisciplinaire est un cheminement pour tous les partenaires, avec une part de risque », prévient tout de même Sandrine Baron9  (Inee). Elle-même géochimiste de formation, passionnée d’archéologie, elle travaille aujourd’hui sur le projet TrIsOr10 , sélectionné dans l’appel 80|Prime 2020, avec un historien, un numismate, un isotopiste, une physicienne des matériaux et un chimiste analytique, afin de tracer les voies commerciales des métaux anciens comme l’or. Un mélange de disciplines, avec des « vocabulaires, techniques, outils et modalités de raisonnement différents », qui complique et ralentit la mise en place d’un projet : « Il faut d’abord faire en sorte que chacun ait conscience des apports des autres et ait compris les nuances qu’ils peuvent amener pour résoudre une question scientifique ». Mais une fois cela acquis, « chacun en tirera des connaissances inédites », et en particulier la doctorante recrutée via le programme 80|Prime. « La force de la recherche française est de former des spécialistes dans des domaines très pointus, capables de comprendre leur sujet en profondeur. L’interdisciplinarité qui fonctionne consiste à rassembler ensuite ces experts et expertes autour d’un projet commun. », conclut la chercheuse. Le programme 80|Prime, « essentiel » et « prioritaire pour le CNRS » selon Alain Schuhl, directeur général délégué à la science, a ainsi de beaux jours devant lui.

  • 1Chargée de recherche CNRS au Laboratoire de physique (LPENSL, CNRS/ENS Lyon).
  • 2Chargé de recherche CNRS au Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement (LaSIE, CNRS/La Rochelle Université).
  • 3Enseignant-chercheur à l’Institut Elie Cartan de Lorraine (IECL, CNRS/Université de Lorraine).
  • 4Pour « Géométrie graduée et schémas numériques ».
  • 5Directeur de recherche CNRS à l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC, CNRS/CEA/Université Paris-Saclay).
  • 6Directeur de recherche CNRS au laboratoire Évolution, génomes, comportement et écologie (EGCE, CNRS/IRD/Université Paris-Saclay).
  • 7Projet INP/INSHS/Université de Californie à Berkeley, mené par Philippe Dumas du Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université).
  • 8Projet INSIS/INC mené par Christophe Lethien de l’Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie (CNRS/Université polytechnique Hauts-De-France/Université de Lille/Centrale Lille Institut).
  • 9Chargée de recherche CNRS au laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (TRACES, CNRS/Université Toulouse Jean Jaurès/Ministère de la Culture).
  • 10Pour « Circulation et provenance de monnaies d’OR aux périodes anciennes TRacées grâce au développement de mesures des ISotopes du plomb, du cuivre et du fer in situ ».