« Les chercheurs ont une responsabilité forte en matière de communication dans la sphère publique »

CNRS

Christine Noiville, nouvelle présidente du Comité d’éthique du CNRS, rappelle les enjeux croissants du rôle du chercheur dans la société, et détaille les nouvelles ambitions du comité.

Le Comité d’éthique du CNRS (COMETS) a publié en août dernier un rapport important sur les dimensions déontologiques et éthiques de la crise sanitaire. Il a notamment dénoncé certaines dérives éditoriales faisant défaut à l’intégrité scientifique, à la déontologie et à l’éthique, qui ont accompagnées la publication de travaux contestables portant sur des traitements du COVID-19. Un acte fort qui a été salué par beaucoup.

Christine Noiville1  : L’imbrication sans précédent de la science et de la communication, la médiatisation ultra rapide – bien avant la revue par les pairs –, le pullulement de fake news, l’opposition entre une science d’« en haut » et science « d’en bas » ont fait surgir tant de questionnements éthiques que le COMETS devait se saisir du sujet. Et ses messages ont été très largement salués, à raison. Le rapport a rappelé notamment que si la science a vocation à être questionnée et discutée, les chercheurs et chercheuses ont une responsabilité forte en matière de communication dans la sphère publique. Mais sous la bannière du débat scientifique, ils ne sauraient exprimer des idées qui en réalité relèvent de la polémique ou de la prise de position politique. Pour le COMETS, lorsqu’un chercheur s’exprime dans l’espace public, il « engage sa responsabilité de scientifique ». Dans un contexte où il est de plus en plus difficile de faire la part entre vérité scientifique et opinion, le Comité estime par ailleurs qu’il est indispensable que les responsables de la communication des établissements de recherche mettent en place, avec le soutien des chercheurs et chercheuses, une stratégie de lutte contre la désinformation à l’usage de l’organisme et des médias.

Il est évident que la pandémie reste propice à une poursuite de la réflexion sur les questions de communication scientifique en temps de crise, et cela fera partie des enjeux auxquels s’intéressera le Comité. Au-delà de l’avis déjà rendu, il y a encore beaucoup à dire sur les règles de comportement propres à assurer une information scientifique rigoureuse, indépendante, dénuée de sensationnalisme, hiérarchisée, située dans son contexte. Il y a aussi un besoin de donner des recommandations d’actions claires aux scientifiques aujourd’hui parfois démunis, notamment face aux fake news.

Vous venez d’être nommée Présidente du COMETS, quelles ambitions pour son avenir ?

C. N. : Je souhaite centrer le Comité sur les questions proprement éthiques que soulève la recherche. En effet, le CNRS est désormais doté de référents à l’intégrité scientifique et à la déontologie, ce qui - sans délester le Comité de ces aspects - lui permet de se concentrer sur les questions complexes que pose aujourd’hui la recherche scientifique. Celles-ci vont porter sur le déploiement de nouvelles techniques comme la génomique ou les neurotechnologies, mais aussi sur des interrogations plus anciennes que la crise sanitaire a remis au premier plan : le rôle des chercheurs experts, la relation entre chercheurs et journalistes, etc.  

J’aspire également, avec les membres du COMETS, à une réflexion éthique sans a priori, non autoritaire ni dogmatique, qui repose sur la discussion. La composition de ce Comité est particulièrement intéressante, avec à la fois une grande diversité disciplinaire – pour traiter les sujets avec des cultures et savoirs différents – et en même temps resserrée (13 membres dans le respect de la parité), ce qui permet un réel échange. C’est essentiel, surtout à une époque qui favorise un certain repli sur soi. Car l’éthique, c’est tout le contraire : une discussion collective et contradictoire. C’est aussi la capacité à « penser contre soi-même » pour déterminer comment agir, comment se comporter et, au final, fournir des repères utiles et concrets aux chercheurs qui font face à des questions de plus en plus complexes.

Quels sont les grands enjeux actuels en termes d’éthique de la recherche ?

C. N. : De nombreux sujets sont à l’ordre du jour. Tout d’abord, nous avons été saisis par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, sur la question des impacts environnementaux de la recherche elle-même. Il s’agit de s’interroger plus en amont – car la direction du CNRS ne « découvre » pas cette question ! – sur la manière de promouvoir une éthique environnementale de la recherche, qui lui permette de rester productive et fertile tout en étant aussi respectueuse que possible de l’environnement.

Dans un registre très différent, le COMETS se saisira bientôt des questionnements éthiques suscités par le développement des technologies neurocognitives. Si les neurosciences ont permis ces dernières années des avancées incroyables – implants cochléaires donnant l’ouïe et la parole à des personnes qui ne les auraient jamais eues, stimulation cérébrale profonde supprimant les symptômes de la maladie de Parkinson, etc. – certains projets de recherche interrogent profondément notre société. Ils n’ont pas pour objectif de soigner mais de télécharger des contenus dans nos mémoires ou de connecter des cerveaux humains entre eux, ce qui pourrait conduire à une forme de manipulation voire d’asservissement des individus…

Le COMETS s’intéresse également aux dimensions sociétales de la recherche.

C. N. : On l’a dit, des évolutions majeures ont, ces dernières décennies, marqué l’histoire des relations entre science et société. Il est donc normal que la réflexion éthique ne soit pas limitée aux pratiques de recherche mais qu’elle englobe les impacts « sociétaux » de cette activité ainsi que les attentes que la société place en elle. À cet égard, il faut se pencher sur l’engagement du chercheur. En effet, comment articuler d’un côté la nécessité d’avoir une recherche qui réponde aux critères non biaisés et objectifs de la science, et de l’autre l’humanité même des chercheurs et chercheuses, qui sont avant tout des êtres humains dotés de sensibilités, de points de vue, parfois engagés pour des causes ? C’est une question qui mérite une réflexion apolitique, apaisée et apte à fournir quelques repères utiles à nos scientifiques et à la société.              

Tous les organismes de recherche ont-ils un comité similaire au COMETS ? Comment cela se passe-t-il à l’étranger ?

C. N. : En France, oui, et il faut saluer le travail du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE)2  pour élaborer un réseau souple entre ces différents comités, ce qui permet de partager des informations et de réfléchir ensemble. De plus en plus, il entreprend des travaux avec les autres comités d’éthique institutionnels – le CCNE mais aussi les comités d’éthique de l’INSERM, de l’INRAE, du CNES, etc. – afin que des messages communs soient délivrés et mieux entendus. Suite à la crise, par exemple, nous réfléchissons à des communiqués communs sur les enjeux éthiques liés à la médiatisation de la science ou à la façon de mieux associer les citoyens à la gestion des risques.     

L’ouverture vers nos homologues étrangers reste largement à construire et nous nous y employons. En Europe, nous avons pris contact avec le Conseil national de la recherche italien, le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol et les sociétés allemandes Leibniz, Helmholtz et Max-Planck qui ont déjà des liens privilégiés avec le CNRS. Nous allons ensuite faire de même avec les principaux partenaires internationaux du CNRS en nous appuyant sur ses 9 bureaux à l’étranger.

Il est très important, à une époque où la recherche est intrinsèquement internationale, que l’éthique de la recherche soit partagée pour porter des messages au plan supranational. La difficulté est évidemment que les pays ne retiennent pas tous les mêmes principes et valeurs, n’ont pas tous la même manière de les hiérarchiser. Dans certains pays, la liberté de la recherche est contrainte, voire bafouée. Dans d’autres, des guerres limitent la libre circulation des scientifiques et mettent leurs vies en danger. Dans d’autres encore, des principes éthiques ou juridiques estimés acquis au plan international sont violés. Songeons à cette expérience chinoise qui avait conduit à faire naître des jumelles au génome génétiquement modifié par la technologie CRISPR-Cas9.

Tenter de faire avancer la réflexion sur l’éthique de la recherche au plan international, c’est un des objectifs d’un colloque qui se tiendra prochainement sous l’égide du Ministère des Affaires Étrangères, à l’initiative de l’ancien président du COMETS, Jean-Gabriel Ganascia. Il s’agit de renforcer le dialogue entre scientifiques, comités d’éthiques et diplomates pour croiser nos analyses sur les conséquences sociales des avancées technologiques majeures, promouvoir le droit pour les chercheurs et chercheuses du monde entier d’exercer librement leur activité de recherche sans entrave, pour améliorer la protection des scientifiques français en mission à l’étranger et, plus généralement, pour œuvrer au renforcement d’une diplomatie scientifique.

  • 1Docteur en droit, directrice de recherche au CNRS, Christine Noiville analyse les liens entre le droit et les évolutions scientifiques. Ses principales recherches concernent les biotechnologies, la bioéthique, le principe de précaution, les brevets, l’environnement.
  • 2Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. 

Le COMETS

Le Comité d’éthique du CNRS (COMETS), fondé en 1994, a pour mission première de s’interroger en toute indépendance sur les questions éthiques suscitées par la recherche dans toutes ses dimensions : ses pratiques, ses finalités, les conséquences sociales de ses applications. Il a rendu récemment des avis sur les chercheurs en situation de conflits d’intérêts, sur le principe de précaution, sur les liens entre droit à la recherche et droits des populations autochtones, sur les sciences citoyennes et la nécessité d’un dialogue renouvelé entre les scientifiques et les citoyens, etc. Les enjeux sont clés à une époque où des évolutions majeures marquent les rapports entre sciences et société – il suffit de songer aux questions d’indépendance des experts, aux controverses sociotechniques relatives aux recherches sur les OGM ou aux nanotechnologies, devenues des enjeux politiques et sociaux forts. De toutes ces questions, le COMETS peut être saisi ou se saisir lui-même. Il rend des avis assortis de recommandations destinées aux acteurs de la recherche – chercheurs et instances du CNRS en premier lieu.