Une Mission pour « organiser, accompagner et valoriser les expertises du CNRS »

CNRS

Le CNRS vient d’officialiser la création d’une Mission pour l’expertise scientifique (MPES) afin d’accompagner les chercheurs lors de commandes publiques d’expertise. Retour sur le rôle et les objectifs de cette Mission avec sa nouvelle directrice, Adeline Nazarenko.

Qu’est qu’une expertise scientifique ?

Adeline Nazarenko1  : L’objectif d’une expertise scientifique est de faire l’état des connaissances sur une question donnée en réponse à un commanditaire public – par exemple un ministère – qui en a besoin pour éclairer la décision publique. Il ne s’agit pas de faire des recommandations d’action mais de synthétiser la littérature scientifique, interdisciplinaire et internationale, produite sur un sujet spécifique : que savons-nous ? quelles sont les lacunes ? quelles sont les questions controversées à ce jour ? Il ne s’agit pas non plus de produire de nouvelles connaissances, ce qui distingue la démarche de l’expertise de celle de la recherche.

A quelles obligations répondent ce type de missions ?

A.N. : Les missions d’expertises du CNRS sont collectives, institutionnelles et, comme indiqué précédemment, tournées vers la décision publique. Elles sont collectives car elles sont réalisées par un groupe d’experts cohérent et équilibré tant sur le plan disciplinaire, qu’en termes d’écoles de pensée et de points de vue. La collégialité est un élément clé pour réaliser une expertise de qualité. Elles sont institutionnelles car portées par l’institution. C’est le CNRS qui s’engage et garantit la qualité de l’expertise auprès des commanditaires. Le cas d’un scientifique employé par le CNRS qui serait consulté comme expert par un média est donc très différent : sa parole l’engage en tant que chercheur, mais n’engage pas l’institution. Enfin, l’expertise s’inscrit dans le temps long : tout dépend de l’ampleur de l’expertise attendue mais il faut au minimum six mois pour produire un rapport.

Depuis combien de temps le CNRS réalise-t-il des rapports d’expertise ?

A.N. : Cela fait des années que les chercheurs du CNRS sont sollicités, sur des sujets allant de l’utilisation d’herbicides à l’impact acoustique des éoliennes sur la faune marine (voir encadré). La mission d’expertise scientifique est d’ailleurs reconnue pour tous les organismes de recherche français. Le CNRS s’est doté d’une charte de l’expertise en 2011 et a inscrit l’expertise scientifique en appui aux politiques publiques comme l’une des actions de son Contrat d’objectifs et de performance 2019-2023. C’est dans cette optique et pour organiser l’expertise scientifique institutionnelle de l’établissement, qu’une nouvelle direction scientifique vient d’être créée au sein de la Direction générale déléguée à la science du CNRS. Il s’agit de la Mission pour l’expertise scientifique, la MPES que j’ai été chargée de préfigurer depuis septembre dernier avec l’aide de Florence Javoy, ingénieure de recherche. Nous sommes en train de mettre en place l’ensemble des règles, procédures et outils nécessaires à la conduite des expertises collectives du CNRS en nous appuyant sur les pratiques des autres organismes de recherche et sur la charte de l’expertise du CNRS de 2011, laquelle devra être revisée sur certains points.

Quel est le rôle exact de cette nouvelle Mission pour l’expertise scientifique ?

A.N. : Elle a trois grands objectifs : cadrer, coordonner et valoriser les expertises du CNRS. Son premier rôle est de centraliser les demandes d’expertise, de les instruire pour savoir si le CNRS peut y répondre et d’en préciser le cahier des charges. La MPES s’occupe aussi de coordonner la réalisation des expertises : elle accompagne le pilote scientifique et le groupe d’experts sur le plan méthodologique, assure la liaison avec les services d’appui à la recherche du CNRS et veille au respect des règles de l’expertise. Enfin, la Mission a pour objectif de faire connaître et de valoriser l’activité d’expertise du CNRS. Nous allons mettre en ligne les rapports d’expertise pour que tous y aient accès et l’idée est aussi de communiquer autour de leur publication quand cela s’avère pertinent. Nous réfléchissons également à la possibilité pour le CNRS de s’autosaisir de certains sujets et d’apporter des expertises collectives au débat public indépendamment d’une commande extérieure.

La Mission a un rôle de garant de la qualité des expertises scientifiques de l’organisme. Son action repose sur quatre principes fondamentaux – la compétence, la transparence, l’indépendance et la pluralité – qui donnent leur crédibilité aux expertises rendues par le CNRS. La compétence est celle des scientifiques qui sont sollicités comme experts. La transparence est un point important car elle conditionne la confiance que la société accorde à la parole scientifique même s’il faut aussi préserver l’indépendance du groupe d’experts et les protéger de la pression médiatique tant que l’expertise collective est en cours. Enfin, les expertises se doivent de refléter une pluralité de points de vue et d’approches disciplinaires. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces du CNRS que de pouvoir organiser des expertises pluridisciplinaires en s’appuyant sur les compétences de ses dix instituts et l’expérience de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires.

Concrètement, comment se déroulera une expertise ?

A.N. : Suite à une commande publique, la Mission va solliciter les instituts du CNRS et mettre en place un petit groupe de travail pour déterminer si l’organisme a les compétences pour réaliser l’expertise. Il faut cerner la commande, analyser le besoin, le préciser ou le découper en sous-questions et déterminer celles qu’on peut traiter. Il faut nous assurer que nous avons les experts et compétences pour répondre à la demande. Il faut également identifier un ou une scientifique qui puisse piloter l’expertise, une personne ayant du recul et une vue d’ensemble sur les enjeux. En pratique, le pilote pressenti sera associé à l’instruction et au cadrage de la demande. Ce travail amont, qui prend du temps, aboutit à la signature d’une convention entre le CNRS et le commanditaire.

Une fois prise la décision de mener l’expertise, la Mission constituera un groupe d’experts. Ceux-ci seront identifiés à partir de leurs publications en lien avec le sujet de l’exertise. Il peut s’agir de chercheurs CNRS mais aussi d’enseignants-chercheurs, de chercheurs d’autres organismes voire de scientifiques étrangers. On s’assurera également que les personnes pressenties n’ont pas de conflit d’intérêt, c’est-à-dire des liens financiers ou des engagements susceptibles d’influencer indûment le travail du collectif d’experts. L’expertise peut ensuite être lancée. Le rôle de la MPES est alors de mettre en place la méthodologie de travail, de sensibiliser les experts sur les règles à respecter et d’accompagner le pilote scientifique dans l’organisation et la réalisation de l’expertise.

Le travail d’expertise à proprement parler s’appuie sur l’analyse des sources bibliographiques. Pour chacune des questions à traiter, un sous-groupe d’experts sera en  charge d’identifier les sources disponibles, de les analyser et de synthétiser l’état des connaissances en pointant éventuellement les lacunes et les points de débat. Les experts mettront ensuite en commun leurs analyses au cours d’un travail de questionnement : les conclusions sont-elles bien étayées ? tous les points de vue sont-ils pris en compte ? y a-t-il des questions non traitées ? Cette étape de mise en commun assure la cohérence de l’expertise finale et permet au groupe d’experts d’assumer collectivement l’ensemble de l’expertise.

La Mission va aussi superviser la rédaction du rapport d’expertise en liaison avec le pilote scientifique : le pilote est garant de la qualité scientifique de son contenu ; la MPES s’assure qu’il répond au cahier des charges, qu’il respecte les règles de l’expertise et qu’il est lisible pour un public large. C’est aussi la MPES qui rédigera la synthèse dite « grand-public » reprenant les conclusions du rapport.

A la fin, la MPES adressera le rapport validé au commanditaire et organisera la communication autour de sa publication. 

  • 1Adeline Nazarenko est professeure d’informatique à l’Université Sorbonne Paris Nord depuis 2005. Membre du Laboratoire d'Informatique de Paris-Nord (LIPN - CNRS/Université Paris 13), elle est spécialiste du traitement automatique des langues. Elle a été directrice adjointe scientifique de l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions (INS2I) de 2017 à 2021.

Quelques exemples de rapports d’expertise du CNRS depuis 2011 :

• « Variétés végétales tolérantes aux herbicides : effets agronomiques, environnementaux et socio-économiques », expertise menée conjointement par le CNRS et l’INRA en 2011 à la demande des ministères en charge de l’Agriculture et de l’Écologie 

• « Eutrophisation : manifestations, causes, conséquences et prédictibilité », expertise menée conjointement par le CNRS, l’INRA, l’Irstea et l’Ifremer en 2017 à la demande des minisères en charge de l’environnement de de l’agriculture ainsi que de l’Agence française pour la biodiversité 

• « Les violences sexuelles à caractères incestueux sur mineur.e.s », expertise menée par le CNRS en 2017 suite à la commande du Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes 

• « Impacts acoustiques des projets éoliens offshore sur la faune marine », expertise menée par le CNRS en 2021, à la demande du Ministère de la Mer, du Ministère de la Transition écologique et du Ministère de l’Éducation supérieure, de la Recherche et de l’Innovation.