IA : des ambitions européennes

Recherche

Dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, le CNRS, le CEA et Inria ont organisé le 25 février dernier l’événement « IA pour l’industrie et la société : confiance, frugalité ». Une journée de débats et d’échanges sur les actions françaises et européennes en soutien à l’intelligence artificielle.

Déjà présente dans l’ensemble des industries, l’intelligence artificielle (IA) sera au cœur d’une multitude d’applications à fort impact sociétal allant de la médecine prédictive au véhicule autonome. Elle devrait jouer un rôle primordial dans notre souveraineté, car elle assurera un accès aux ressources (énergie, alimentation, données…) dont nous dépendons. Face à de tels enjeux, les grandes puissances mondiales – États-Unis, Chine et l'Union européenne - investissent fortement dans la recherche et l’innovation de cette discipline. C’est avec ce paysage en trame de fond que le CNRS, le CEA et Inria ont organisé le 25 février une journée intitulée : « L’IA pour l’industrie et la société : confiance, frugalité » - une manifestation qui s’inscrit dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, et qui a été suivie par plusieurs centaines de personnes en ligne.

L’événement, qui a accueilli 25 intervenants dont Thomas Skordas, directeur général adjoint CONNECT de la Commission européenne, a permis d’illustrer les premiers résultats de la stratégie française pour l’IA lancée en 2018 par le président de la République. En 2022, la France prépare désormais une nouvelle phase d’actions centrée sur l’intelligence artificielle et ses implications sociétales. Contributeur majeur aux projets nationaux et européens, le CNRS a profité de la journée pour présenter ses propres outils à l’image de son Centre interdisciplinaire dédié à l’IA, créé fin 2021. « Les enjeux autour de l’IA appellent plus que jamais à une recherche d’excellence, interdisciplinaire, et intégrant les enjeux d’usages dès la conception des algorithmes. C’est principalement aux interfaces entre les disciplines que se développeront les futures découvertes susceptibles de changer le monde de demain », a affirmé Antoine Petit, président-directeur général du CNRS.

Confiance et frugalité : deux enjeux sociétaux prioritaires de l’IA

La journée s’est concentrée sur des défis sociétaux engendrés par le développement de l’IA et pour lesquels il est nécessaire d’intégrer et d’informer la société civile. « L’IA est à la croisée de nos préoccupations sociétales : elle est à la fois clé pour la transformation numérique - donc la compétitivité, la transformation des usages, mais c'est aussi un outil qui suscite des interrogations d’un point de vue social et sécuritaire », soulignait François Jacq, administrateur général du CEA. Premièrement, la création d’un environnement de confiance. À cet effet, l’Europe mise sur la réglementation. Le AI Act, publié par la Commission européenne en avril 2021, soutient ainsi le développement d’une IA éthique et centrée sur l’humain, tout en s’attaquant aux problèmes d’usages. L’UE veut établir des règles de jeu équitables pour tous les acteurs du marché et devenir « une référence internationale des règles de l’IA », précise Thomas Skordas. Elle doit veiller néanmoins à trouver le bon équilibre afin de ne pas freiner l’innovation.

Autre défi de mise : alors que l’augmentation de l’automatisation pourrait entraîner des surcoûts d’énergie et de consommation de données, les intervenants se sont accordés sur l’intérêt crucial de la sobriété. « C’est par le financement de travaux de recherche fondamentale ayant une vision sur le long terme - qui correspond bien à celle du CNRS – qu’émergeront des solutions de rupture sur la question de frugalité », a témoigné Olivier Cappé, directeur adjoint scientifique à l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions (INS2I) du CNRS. Investir sur des innovations  en architecture réseaux, en algorithmie et sur des puces électroniques dédiées permettra également de traiter des données plus efficacement.

Par ailleurs, le développement de puces électroniques – cœur technologique de l’IA embarquée – pourrait engendrer des problèmes de ressources. « Toutes les études que nous avons vues démontrent que la croissance au niveau du circuit électronique pour l’IA va être de 40 % par an dans les années à venir », a rapporté Thomas Skordas. Afin d’anticiper cette demande, la Commission a présenté le Chips Act, le 8 février dernier. Celui-ci vise à doubler le poids de l’Europe dans la production de puces électroniques d’ici 2030 en vue d’inverser son déclin actuel.

De grandes ambitions, mais pour quels résultats ?

L’Europe est-elle aussi efficace sur le plan international qu’elle semble le penser ? Cette question a animé les débats matinaux axés sur la dynamique de recherche européenne. Il en ressort que l’Europe a des atouts : une grande quantité de recherches de qualité et la volonté d’être un acteur majeur sur le marché de l’IA. Mais elle a aussi un important point faible : le manque de transformation de publications de recherche en résultats concrets pour la société. En somme, elle semble être en retard sur ses concurrents mondiaux.

En effet, son impact international en IA, tant scientifique qu’économique, est à la baisse, au point d’interroger la pertinence de ses actions. « L’Europe a une sorte d’immaturité entrepreneuriale, une vision datée et trop linéaire de l’innovation », a insisté Morten Irgens, directeur de l’innovation du réseau européen Claire, avant d’ajouter : « elle a des objectifs d’envergure et il faut faire en sorte que cette vision ne se perde pas en chemin ».

Les pistes pour inverser la tendance ont afflué. Selon les intervenants, l’Europe doit resserrer ses écosystèmes en rapprochant la recherche, l’industrie, la formation et les start-up. Elle doit soutenir davantage la mise en place de grandes installations et de réseaux (tels qu’Elise, Tailor), plutôt qu’une infinité de microprojets. Mais aussi renforcer la continuité de structure, de recherches et de ses capacités à long terme en alignant les démarches régionales, nationales et européennes. Bruno Sportisse, président-directeur général d’Inria, a insisté, à son tour, sur le fait que : « la dynamique européenne avec Horizon Europe, Digital Europe, l’ERC et l’EIC1  doivent jouer un rôle clé et seules les technologies avec une ambition mondiale parviendront à s’imposer ».

Transfert technologique et développement d’initiatives public-privé

Lors des échanges, François Terrier, expert en intelligence artificielle au sein du CEA, a déclaré : « l’IA est un moteur de la transformation des entreprises et une clé pour la compétitivité future de notre industrie ». Et l’Europe en a bien conscience. Des programmes dédiés à l’accompagnement des PME se développent, par exemple, au sein de pôles d'innovation numérique (AI DIH Network) dont fait partie le projet Digihall en région parisienne. De plus, les intervenants ont soutenu l’intérêt du partage de données, de logiciels, d’algorithmes génériques et réutilisables, à travers des plateformes ouvertes. « Il s’agit de développer des structures européennes comme Scikitlearn qui ne dépendent pas de grands groupes privés non-européens », a appuyé Cyril Moulin, adjoint à la directrice générale de la recherche et de l’innovation du MESRI.

L’accès aux équipements est également clé. Le programme Digital Europe propose en ce sens des structures de tests pour héberger les expérimentations des entreprises. Depuis 2017, la France s’appuie également sur son supercalculateur Jean Zay, opéré par le CNRS, en vue d’accélérer les projets académiques et industriels de développement d’outils d’intelligence artificielle. Un succès qui mise sur l’ouverture d’un accès rapide à une importante puissance de calcul (portée à 28 pétaflops en 2022). Le supercalculateur héberge ainsi entre 25 et 65 nouveaux projets chaque mois.

Enfin, le transfert d’innovation sera tout autant déterminant dans la course à l’IA, à commencer par la création de start-up. L’association France digitale décompte plus de 500 jeunes pousses en IA sur notre territoire. En soutien à cette effervescence, les aides françaises à l’innovation en IA ont été multipliées par quatre en 2021. Mais pour Renaud Vedel, il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers. Le coordinateur de la stratégie nationale en IA, s’est interrogé sur l’avenir : « Serons-nous capables de créer des outils réactifs, agiles et de les maintenir alors que les paradigmes changent tous les deux à six mois ? Il faut être capable de suivre le rythme et on doit être plus agiles dans nos développements. Ce n’est pas toujours la belle technologie qui gagne, il faut donc, aussi, être le premier ».

 
  • 1Horizon Europe est le nouveau programme cadre pour la recherche et l’innovation 2021-2027 de l’Union européenne doté d’un budget de 95,5 milliards d’euros et dont font partie les programmes Digital Europe, l'ERC (Conseil Européen de la Recherche) et l’EIC (Conseil européen de l’innovation).