Mettre en débat les usages de demain du sous-sol français

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Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire « Sous-sol, bien commun »  – piloté par le CNRS et le BRGM – vise à mieux appréhender les ressources du sous-sol français dans le cadre de la transition énergétique et les conflits d’usage associés. Le programme est doté d’un budget de 71,4 millions d’euros sur 7 ans. Explications avec Olivier Vidal et Xavier Arnauld de Sartre, codirecteurs du programme pour le CNRS.

Le PEPR SOUSSol - que vous coordonnez avec Pierre Nehlig (pour le BRGM) – souhaite créer une réflexion quant à l’utilisation du sous-sol français. Quels sont les usages potentiels et leurs enjeux 
Olivier Vidal1  : Le sous-sol a plusieurs utilisations comme la production d’énergie via la géothermie, le potentiel de stockage géologique (CO2, méthane, hydrogène) et de production de gaz (hélium, hydrogène), l’extraction de ressources minérales dont certaines essentielles à la construction d’infrastructures de production d’énergies renouvelables (terres rares pour les aimants des éoliennes, métaux et silice des panneaux photovoltaïques, lithium pour les batteries des voitures électriques, etc.). Il est aussi crucial au transport d’énergie, de fluide ou de personnes dans un contexte d’urbanisation croissante. Toutes ces utilisations seront décuplées dans le futur, en particulier dans le contexte de la transition énergétique. Elles pourraient entrer en compétition avec d’autres utilisations, notamment l’approvisionnement en eau. Il est donc nécessaire d’analyser les évolutions attendues afin d’anticiper les enjeux environnementaux et socio-économiques, et garantir son statut de bien commun.

Xavier Arnauld de Sartre2  : Ce PEPR veut ainsi interroger la place du sous-sol dans ce changement radical qu’implique la transition énergétique. Mais surtout, une fois son potentiel identifié, déterminer ce que nous souhaitons en faire. Allons-nous exploiter ces ressources ? Si oui, comment ? Si non, quelle alternative choisir ?

Comment s’organise le PEPR pour répondre à ces questions ?
O. V. : C’est la première fois en France que nous faisons collaborer dans un même projet scientifique différentes communautés qui vont de la recherche fondamentale à la science opérationnelle tout en intégrant la dimension socio-économique. Le PEPR va donc jouer un rôle structurant en couvrant l’ensemble du spectre des usages du sous-sol.

Pour cela, il se décompose en plusieurs axes. Le premier vise à identifier au niveau national les utilisations actuelles et futures du sous-sol jusqu’à l’horizon 2050. Cela va dépendre de scénarios adoptés : scénarios de transition énergétique, d’urbanisation, d’aménagement des territoires, etc. Dans chaque cas, on évaluera les potentiels du sous-sol français pour répondre à une demande nationale scénarisée qui sera déclinée dans les territoires. Nous nous appuyons sur cinq chantiers fédérateurs : le fossé rhénan sur la géothermie, le bassin aquitain sur le stockage géologique et la production hydrogène, le bassin parisien sur l’urbanisation (Grand Paris), le massif central sur les matières premières et un dernier en Guyane française sur des aspects science et société et la perception de l’extraction minière. Une partie majeure du projet vise à acquérir de nouvelles données, à réaliser des modèles pour caractériser les objets géologiques, contribuer à l’amélioration des techniques de mesure et de leur traitement, surveiller et contrôler les impacts de l’exploitation du sous-sol et déterminer les potentiels et leurs conditions d’exploitation.

Un dernier axe se focalisera sur le lien entre science, société et industrie. On veut étudier la façon dont l’information circule à travers les différents acteurs et comment elle est comprise. Comment prendre en compte l’aspiration des citoyens et ne pas juste leur expliquer a posteriori l’intérêt d’une démarche d’exploitation du sous-sol ? Ce n’est pas parce qu’un potentiel existe que l’on doit nécessairement l’exploiter. Les dimensions législatives et juridiques seront aussi étudiées. Enfin, au-delà des questions scientifiques, les points de vue et les relations entre les acteurs seront discutés dans un comité de parties prenantes qui fait partie du schéma de gouvernance, ainsi qu’un comité d’éthique associé.

Justement, une des ambitions majeures du PEPR est de créer des écosystèmes d’acteurs qui n’échangent pas les uns avec les autres actuellement. Comment allez-vous procéder ?
X. AdS. : À mon sens, c’est le principal défi du PEPR. Nous voulons créer des arènes semblables aux conférences citoyennes pour le climat. Autrement dit, impliquer des personnes de tout horizon qui vont collaborer sur des scénarios d’exploitations du sous-sol. L’objectif sera de déterminer ce qu’on est prêt à faire sur notre territoire et à faire faire au sous-sol des autres. Donc, nous allons demander aux citoyens d’orienter la science que nous devrons mener par la suite et choisir ainsi le futur de notre sous-sol et la façon dont cela se répercutera sur notre société.

O. V. : On a également d’autres moyens d’associer les gens grâce à des initiatives locales autour de projets réels et non plus des scénarios. La science participative en fait partie, par exemple, en installant des capteurs dans le jardin des gens. Cela permet de les sensibiliser et de créer une dynamique qui fonctionne d’elle-même. Ces personnes interagissent et s’approprient le sujet de sorte que la discussion entre citoyens, scientifiques et industriels se fait avec des publics plus avertis. Il y a clairement une démarche à mettre en place pour organiser ce genre d’échange entre élus locaux, industriels et citoyens.

Comment les résultats du PEPR seront-ils transférés à la société ?
O. V. : Un aspect porte sur la mise à disposition publique des données collectées et des recherches générées. Ce partage se destinera autant aux scientifiques qu’aux citoyens, industriels et décideurs politiques. Un travail sera naturellement nécessaire de rendre ces informations compréhensibles à ces différents publics afin qu’ils puissent se les approprier.

X. AdS. : Nous nous intéressons au sous-sol en tant que bien commun, c'est-à-dire partagé entre différents acteurs qui peuvent avoir des intérêts divergents. En ce sens, nous travaillons sur la création d’un comité de parties prenantes composé d’institutions de recherche, de ministères, la Commission nationale de débat public, d’industriels du sous-sol, d’associations professionnelles, de cabinet d’avocats, de collectivités territoriales ou encore d’ONG. Cette diversité renseigne sur le public visé par ce PEPR. Les discussions au sein de ce comité et les résultats obtenus des actions du PEPR permettront progressivement de fixer les chantiers qui bénéficieront des 40 % des financements de ce PEPR qui restent à cibler aujourd’hui et donc d’impliquer tous ces acteurs dans la prise de décision quant à l’exploitation de notre sous-sol.

Pourquoi est-il primordial de créer un débat entre tous ces acteurs pour l’avenir de notre société ?
X. AdS. : Nous nous sommes rendus compte qu’au cours des dernières décennies, l’Europe et la France se sont désintéressées de l’exploitation du sous-sol. Pour cause, celle-ci a été confiée à un nombre réduit d’acteurs privés, en dehors de l’Europe, et tient principalement de l’extraction d’hydrocarbures. En conséquence, et c’est logique, les services techniques de l’État ont perdu en compétence sur le sujet – ces services sont d’ailleurs les premiers à regretter cet état de fait. Lorsque l’opportunité d’exploiter des gaz de schiste a émergé au début des années 2010, on a réalisé qu’il n’y avait plus de relais (politique notamment) à même de se poser en promoteurs des usages du sous-sol dans le débat.

Aujourd’hui, nous voulons faire en sorte que la société et les pouvoirs politiques prennent conscience de l’existence et du rôle potentiel du sous-sol dans la transition énergétique. Déciderons-nous de l’utiliser ou non ? Ce n’est pas à nous de le décider. Notre rôle est de faire en sorte que  que le débat sur le sujet ait lieu. Par exemple, la France a décidé qu’elle n’était pas autonome en termes d’exploitation du nucléaire, car elle importe de l’uranium. La même chose peut être décidée concernant les ressources du sous-sol, ce qui signifie d’accepter une souveraineté limitée. Cette décision doit être prise en connaissance de cause et de façon concertée entre l’ensemble des acteurs en jeu, y compris la société civile. C’est à cela que va servir le débat entre toutes les parties prenantes impliquées au sein du PEPR.

  • 1Géologue à l’Institut des sciences de la Terre (CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont-Blanc).
  • 2Géographe au laboratoire Transitions énergétiques et environnementales (CNRS/Université de Pau et des pays de l’Adour).