« L’électronique est au cœur d’enjeux stratégiques majeurs »

Recherche

Le 14 mars 2023 au Palais des congrès du Futuroscope à Poitiers, le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) d’accélération Électronique – piloté par le CNRS et le CEA - présente pour la première fois ses ambitions de recherche et leurs potentielles retombées à des industriels. Ce PEPR vise à renforcer la recherche amont sur les composants électroniques à base de semi-conducteurs. Présentation par Isabelle Sagnes, co-directrice du programme pour le CNRS.

Le PEPR accélération Électronique1 – que vous coordonnez avec Thomas Ernst (CEA) – s’inscrit dans un cadre géopolitique tendu qui entoure actuellement la production des semi-conducteurs. Pouvez-vous nous présenter le panorama de cette filière ?
Isabelle Sagnes2  : L’électronique est à la base des technologies et des services numériques qui sont omniprésents dans notre quotidien. On les trouve dans nos ordinateurs, nos téléphones, nos voitures, etc. De nouveaux marchés voient le jour avec la numérisation de l’industrie, les villes intelligentes, les voitures autonomes, le calcul haute performance (HPC), l’internet des objets (IoT), la défense et le spatial. Maîtriser la chaîne de valeur de l’électronique devient donc un enjeu majeur pour l’économie et la société.

Or, pendant la crise sanitaire, nous avons observé une pénurie de semi-conducteurs, communément appelés « micro-puces », qui sont au cœur de ces composants électroniques. Cela a montré les limites de leur chaîne de production fortement mondialisée et la forte dépendance de l’Europe et de la France en termes d’approvisionnement. De plus, les événements géopolitiques récents – dont la bataille entre les États-Unis et la Chine pour la domination du secteur des hautes technologies – affectent l’électronique du monde entier. Fin 2022, les États-Unis ont même décidé d’adopter une stratégie protectionniste qui vise à rapatrier une partie de la fabrication des puces les plus performantes (taille de gravure 3-4 nanomètres) sur leur territoire, les puces les plus avancées étant actuellement produites en Asie.

L’électronique est donc au cœur d’enjeux stratégiques majeurs de souveraineté et fait l’objet de forts risques de domination et de prise de contrôle par des industriels étrangers ou d’autres États. En ce sens, l’Europe a mis en place le Chips Act en 2022, un plan doté d’un montant de 45 milliards d’euros visant à renforcer une industrie des semi-conducteurs européenne. Dans la même perspective, la France a fait de l'électronique une priorité du plan France 2030 dont fait partie le PEPR d’accélération Électronique. Celui-ci aura pour mission de développer une recherche amont en électronique qui soutiendra l’innovation nationale de cette filière.

Quelles sont les spécialités de la recherche française en électronique et les perspectives d’amélioration ?
I. S. : La France dispose d’un écosystème de recherche en microélectronique réputé au niveau mondial. La communauté française s’est structurée autour de moyens lourds de micro-nano-fabrication à travers le réseau Renatech, coordonné par le CNRS. Vingt-huit centrales de technologie régionales maillant le territoire national viennent compléter l’offre apportée par les 5 centrales d’intégration (C2N, LTM, FEMTO-ST, IEMN, LAAS). La recherche française dispose d’un important savoir-faire sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’électronique allant des matériaux à l’intégration des composants. Toutefois, jusqu’à présent, la recherche académique a trop souvent été portée par les initiatives des acteurs locaux ou des partenariats bilatéraux avec des entreprises conduisant à un manque de masse critique et de cohérence globale.

L’idée du PEPR est donc d’engager l'ensemble de cette communauté, CNRS, CEA, universités et grandes écoles, dans un effort coordonné à l'échelle nationale sur des sujets majeurs pour l'avenir des composants électroniques. C’est la première fois que l’État prend conscience du besoin de fédérer les savoirs, de mutualiser les moyens et de créer ou soutenir des filières technologiques françaises de pointe qui pourront par la suite être valorisées par les acteurs industriels.

Comment se structure ce PEPR ? 
I. S. : Une partie du programme est destinée à la mise à niveau des outils de recherche académique : le réseau national de plateformes de micro et nano-fabrication et la plateforme de nano-caractérisation du CEA. Cette phase est indispensable en vue d’assurer toutes les étapes technologiques nécessaires à la fabrication des composants électroniques de demain.

Une autre partie sera utilisée pour financer quatre thématiques de recherche sur le développement de dispositifs électroniques avancés à fort impact à court et moyen terme. Enfin, tous les composants développés au cours du programme s’appuient sur trois actions coordonnées transverses au PEPR impliquant des savoir-faire en matériaux, la mise en boîtier et le design.

Quels sont les axes prioritaires pour l’avenir national de l’électronique ?
I. S. : Le premier axe traite de la perception numérique. Il s’agit de développer des capteurs de lumière, des imageurs et des capteurs pour l’environnement qui pourront fonctionner dans les environnements extrêmes que l’on rencontre dans les secteurs de l’énergie et de la défense. Par exemple : des dispositifs capables d’opérer à des températures de plusieurs centaines de degrés, dans des atmosphères corrosives ou des milieux très ionisants.

Notre deuxième axe s'intéresse à l’électronique pour la conversion de puissance, de fréquence et d’énergie. L’idée est d’aboutir à des transistors innovants qui intéressent le marché de l’automobile et les convertisseurs pour les énergies renouvelables. Un autre projet s’appuie sur une plateforme entièrement à base de semi-conducteurs pour des capteurs autonomes dédiés à la qualité de l’air, la détection de virus par nos téléphones portables, etc.

Le troisième axe propose des composants adaptés aux futurs standards des télécommunications. Cela nécessite de créer une filière de nouveaux transistors permettant d’atteindre les fréquences sur lesquelles opérera la prochaine génération de réseaux 6G. Un travail est également mené sur l’augmentation des débits des connexions sans fil pour accroître les performances d’échanges de données.

Le dernier axe répond aux besoins croissants de calcul. Nous travaillons sur de nouvelles architectures de mémoires magnétiques MRAM, qui peuvent aussi bénéficier à l’intelligence artificielle (IA) embarquée à faible consommation énergétique. Les recherches portent aussi sur des architectures de processeurs bio-inspirés de notre cerveau, combinant électrons et lumière, afin de réduire les consommations énergétiques de l’IA.

Quelles seront les principales retombées de ce PEPR sur la société ?
I. S : Le PEPR se positionne en amont des besoins de l’industrie toujours en lien avec la stratégie nationale en électronique. L’objectif à terme est que nos recherches seront un des moteurs de croissance pour la France et contribueront à rapatrier certaines activités de fabrication de puces électroniques en Europe. Les recherches qui sont menées vont ainsi amener de nouveaux concepts technologiques d'intérêt industriel à des niveaux de TRL3 plus élevés (jusqu’au TRL 4 de validation de concept).

Au cours des cinq prochaines années, nous allons largement communiquer nos avancées auprès du monde industriel afin qu’il s’empare de nos découvertes et assure le transfert vers des applications concrètes au service de la société, comme dans le domaine de la transition écologique et environnementale, par exemple.

  • 1Le PEPR dispose d’un budget de 86 millions d’euros, dont 40 % dédiés à la jouvence des centrales du réseau Rénatech.
  • 2Déléguée scientifique photonique et nanotechnologies en charge du réseau RENATECH de micro-nanofabrication à l'Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (INSIS) du CNRS.
  • 3Niveau de maturité technologique (en anglais, “Technology Readiness Level”).