Les Étoiles de l’Europe 2018

International

Atomes additionneurs, thermomètres nanométriques et cages à antibiotiques, des projets internationaux de pointe ont été récompensés lors de la remise des Étoiles de l’Europe. Ce prix couronne chaque année des programmes de recherche européens démarrés en France.

Depuis 2013, les Étoiles de l’Europe valorisent des initiatives européennes lancées par des scientifiques français. Récompensant aussi bien l’expertise scientifique que la capacité à accorder des équipes vastes et internationales, ce trophée est décerné chaque année à douze chercheurs et à leur projet. L’édition 2018, qui s’est déroulée le 5 décembre au Musée du quai Branly - Jacques Chirac, inclut trois membres du CNRS à son palmarès : André Gourdon et ses portes logiques nanométriques, Sévérine Gomès pour ses travaux sur la mesure de la température aux échelles nanométriques et Ruxandra Gref pour l’utilisation de nanoparticules en renfort d’antibiotiques.

À eux trois, ces projets ont reçu vingt millions d’euros d’aides de l’Union européenne, soit plus des trois quarts de leur budget total. Depuis la toute fin 2013, Horizon 2020 (H2020) forme le programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne. Prévu pour durer sept ans, H2020 approche de sa fin et a distribué 65 milliards d’euros à de nombreuses équipes scientifiques et d’entreprises liées à l’innovation. Sur les quatre-vingts milliards d’euros injectés dans le programme H2020, quinze n’ont pas encore été attribués.

 Entre les projets ERC, centrés autour d’un chercheur et de son équipe, et les collaborations internationales plus larges, la Commission européenne finance ainsi les scientifiques français à hauteur d’environ un milliard d’euros par an. Mieux, 16 % des projets français qui candidatent sont sélectionnés, ce qui représente le plus fort taux de réussite d’Europe.

André Gourdon - Pams

Pour faire passer la micro-informatique à la nano-informatique, André Gourdon, directeur de recherche au Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales (CNRS), a coordonné PAMS1 . Le projet a abouti à la conception de portes logiques faites de seulement quelques atomes ou une seule molécule, capables de réaliser des sommes en binaire. Cela permettrait de remplacer certains transistors et diodes par des équivalents nanométriques, et donc de pousser plus avant la miniaturisation de l’informatique. Les électrons y sont transmis grâce à des fils atomiques, fabriqués en creusant une fine tranchée sur une couche d’hydrogène greffée sur du silicium.

Huit équipes de recherche ont collaboré de 2013 à 2017. « Nous avons beaucoup travaillé sur des produits trop réactifs pour être préparés en solution, développe André Gourdon. Nous avons donc synthétisé des précurseurs qui les stabilisent, puis nous avons supprimé cette protection une fois que tout était en place sur une surface choisie. » Ces travaux ont ainsi étoffé l’éventail d’équivalents nanométriques d’éléments de circuits électroniques, toujours dans un souci de miniaturisation.

À rebours de certaines tendances où un chercheur reconnu s’entoure de post-doctorants en contrats temporaires, André Gourdon loue le principe des grands programmes européens. « Avec PAMS, nous avons eu beaucoup de permanents véritablement impliqués, insiste-t-il. Cela correspond à ma vision de la recherche : un projet collaboratif où l’on convainc les meilleurs spécialistes européens de travailler avec nous. On tire les équipes vers le haut et permet à tout le monde d’œuvrer ensemble. » Il loue également la flexibilité de gestion offerte par les programmes européens et la possibilité de développer des projets ambitieux, à haut-risque et à long terme. Tout comme Séverine Gomès, il souligne aussi l’aide de managers de projet pour aborder de manière plus sereine des projets aussi vastes.

  • 1Systèmes atomiques et moléculaires planaires.

Séverine Gomès - Quantiheat

Toujours dans l’infiniment petit, les Étoiles de l’Europe ont également récompensé Quantiheat2 . Ce projet a comblé d’importantes lacunes dans la mesure de grandeurs thermophysiques à l’échelle nanométrique. La chaleur étant une donnée toujours très surveillée lors de la conception et l’utilisation de matériaux de toutes tailles, le développement des nanotechnologies est donc freiné par le manque d’informations fiables à ce sujet.

Sous l’égide de Séverine Gomès, directrice de recherche au Centre d’énergétique et de thermique de Lyon (CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard), des chercheurs ont donc conçu des outils et des protocoles de mesure, basés sur la microscopie à sonde locale, pour l’analyse du transport de la chaleur aux échelles nanométriques. Neuf des vingt et une équipe de Quantiheat ont donc travaillé sur les mêmes échantillons tests, fabriqués dans le cadre du projet.

« L’absence de mesures avait été identifiée par le groupement de recherche CNRS “Micro et nanothermique3 », il y a plus d’une dizaine d’années, mais il a fallu attendre un congrès en Espagne en 2012 pour que des industriels et des chercheurs de groupes européens me rejoignent, détaille Séverine Gomès. Le projet a ensuite séduit la Commission européenne, qui l’a financé. On n’a en tout cas pas souvent l’impression d’être soutenu dans le métier de chercheur, cette récompense est une belle reconnaissance et un bel encouragement. »

  • 2Techniques quantitatives de microscopie à sonde locale pour la gestion des transferts de chaleur dans les nanomatériaux et nanodispositifs.
  • 3Devenu « thermal nanoscience and nanoengineering ».

Ruxandra Gref - Cyclon Hit

Une Étoile de l’Europe a également été décernée à Ruxandra Gref, directrice de recherche à l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay (CNRS/Université Paris-Sud), pour sa coordination de Cyclon Hit. Ce projet visait à augmenter l’efficacité des antibiotiques et à lutter contre la résistance des bactéries aux traitements.

Les chercheurs y ont utilisé essentiellement des molécules organiques en forme de cage, comme des cyclodextrines, afin de protéger les médicaments des dégradations, accroître leur biodisponibilité et réduire leurs effets toxiques. Ces particules « cage » ont servi de véritables chevaux de Troie, réduisant d’un facteur mille la charge bactérienne chez des rongeurs atteints par la tuberculose. De bons résultats ont également été obtenus contre certaines infections nosocomiales, en particulier les salmonelles et le staphylocoque doré. Une équipe a même conçu un vecteur « cage » ayant un effet antibactérien intrinsèque, en plus des molécules qu’il transporte.

« Ce projet a été extrêmement productif, avec presque quatre-vingts publications, sans compter celles encore en cours », s’enthousiasme Ruxandra Gref. La plupart des partenaires avaient déjà collaboré ensemble dans un autre projet européen, CYCLON, sur le traitement du cancer grâce par des nanotechnologies à base de cyclodextrines. Toutes ces années ont permis de tisser des liens forts et durables. »