Les premiers hommes modernes mangeaient des tubercules

Archéologie

Il y a 170 000 ans, les habitants de Border Cave, une célèbre grotte d’Afrique du Sud, extrayaient du sol certains tubercules riches en carbohydrates et les ramenaient à la grotte pour les cuire et les consommer. Cette découverte d’une équipe franco sud-africaine de paléobotanistes et archéologues, dont Francesco d’Errico, chercheur CNRS du laboratoire Pacea (CNRS/Ministère de la Culture/Université de Bordeaux), apporte des informations inédites sur les pratiques alimentaires des premiers hommes modernes, qui mangeaient donc des aliments… proscrits dans le régime « paléo » en vogue aujourd’hui. Leurs résultats sont publiés dans la revue Science le 3 janvier 2020.

Les archéologues disposaient jusqu’ici de peu d’informations directes sur les espèces végétales consommées par les premiers hommes modernes africains et leur mode de préparation, jusqu’aux fouilles menées depuis 2015 à Border Cave, en Afrique du Sud. Ce site est mondialement connu notamment pour la découverte de restes des premiers Homo sapiens. Lors de fouilles, des chercheurs sud-africains et français ont reconnu de petits restes carbonisés de rhizomes, les tiges souterraines de certains végétaux, et montré aux autres archéologues comment prélever les spécimens sans les endommager. Une cinquantaine de rhizomes entiers carbonisés a été identifiée comme appartenant au genre Hypoxis, notamment grâce à l’étude de la structure vasculaire par microscope électronique à balayage. Les plus anciens proviennent de couches datées de 170 000 ans.

Les rhizomes d'hypoxie sont riches en glucides et ont une valeur énergétique élevée. Fibreux et difficiles à mâcher, la cuisson les rend plus faciles à peler et à digérer, ce qui aurait permis d'en consommer davantage et d'en accroître les bienfaits nutritionnels. Les habitants de Border Cave ont probablement extrait ces rhizomes près de la grotte et ramenés pour les cuire dans les cendres des foyers. Le fait qu'ils aient été ramenés à la grotte plutôt que consommés sur place suggère que la nourriture était partagée. Cette découverte implique l'utilisation de bâtons de bois pour extraire les rhizomes du sol : l'un de ces outils, parmi les plus anciens connus à ce jour, avait déjà été trouvé à Border Cave et daté d’environ 40 000 ans par carbone 14, lors de travaux précédents publiés en 2012.

L'Hypoxis angustifolia, l’espèce consommée au Paléolithique selon les chercheurs, est à feuillage persistant, ce qui lui permet d'être visible toute l'année, contrairement aux espèces d'Hypoxis à feuilles caduques, plus communes. Sa présence aujourd’hui au Yémen laisse penser qu’elle était encore plus répandue lors d’anciennes phases climatiques plus humides. Ces rhizomes ont donc pu fournir une source de nourriture fiable lors de déplacements des populations anatomiquement modernes.

vue de haut de la grotte fouillée
Fouilles à Border Cave conduites par l'équipe franco-sud-africaine.
© Lucinda Backwell
3 vues différentes d'un rhizome en microscopie
Rhizome d'Hypoxis découvert à Border Cave dans dans des couches archéologiques datées à 170 000 ans.
© Lyn Wadley

 

Bibliography

Cooked starchy rhizomes in Africa 170 thousand years ago, Lyn Wadley, Lucinda Backwell, Francesco d’Errico et Christine Sievers. Science, le 3 janvier 2020. DOI : 10.1126/science.aaz5926

Contact

Francesco d'Errico
CNRS researcher
Julien Guillaume
CNRS press officer