Supercalculateur Jean Zay : les défis de la co-construction

Innovation

Doublant la puissance de calcul française, le supercalculateur Jean Zay est le fruit d’une collaboration entre les communautés de recherche françaises, notamment en intelligence artificielle, et un constructeur internationalement reconnu : Hewlett Packard Enterprise. Inauguré le 24 janvier au sein de l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (IDRIS) à Paris-Saclay, il rejoint le Top 50 mondial et le Top 5 français.

Les 10 supercalculateurs les plus puissants, selon le classement international TOP500, appartiennent à des universités ou des centres de recherche, la moitié étant située aux États-Unis, 3 en Asie et 2 en Europe. Le plus puissant d’Europe, Piz Daint, classé sixième et situé en Suisse, a été conçu en 2017 par les entreprises Cray et Hewlett Packard Enterprise (HPE), consolidées aujourd’hui sous la seule enseigne HPE. C’est ce même industriel américain qui a livré le supercalculateur Jean Zay acquis par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation par l'intermédiaire de la société GENCI, et inauguré aujourd’hui. « S’ouvrir de plus en plus aux collaborations avec des entités publiques est une volonté de l’entreprise », raconte Raphaël Godoffe, responsable commercial de la partie calcul haute performance (HPC) de Hewlett Packard Enterprise, qui a géré la réponse du constructeur à l’appel d’offre « très compétitif » publié par GENCI. Premier grand centre de recherche publique obtenu en France par HPE, le centre national de calcul IDRIS du CNRS accueille cette machine « visible au niveau international ».

En effet, « il y a trois centres nationaux pour la simulation numérique », explique Denis Girou, directeur de l’IDRIS, donc « tous les constructeurs étaient au rendez-vous ». 5 candidats ont poursuivi la procédure par dialogues compétitifs lancée en novembre 2017 et HPE a proposé « la meilleure offre technique dans le budget alloué ».

Graphe utilisation des supercalculateurs du Top 50
Utilisation des supercalculateurs du Top 50

Grâce à une première extension bientôt disponible pour les usagers, le supercalculateur Jean Zay dépasse déjà sa puissance de calcul annoncée : de 14 Petaflops, c’est-à-dire 14 millions de milliards d’opérations par seconde, l’équivalent de 35 000 ordinateurs de bureau, il passe à 16 Petaflops. La promesse est donc largement tenue : une puissance de calcul multipliée par 10 par rapport à l’ancien supercalculateur de l’IDRIS, Turing, et une capacité de calcul de l’ensemble des supercalculateurs français doublée. Rejoignant le Top 50 des supercalculateurs les plus puissants du monde, il se place en quatrième position en France, derrière deux supercalculateurs de l’industriel Total et un du CEA. Des résultats qui rassurent Denis Veynante, responsable de la Mission calcul, données (MiCaDo) auprès de la direction générale du CNRS : « On ne peut pas tester une machine avant de l’acheter », explique-t-il : la dernière génération de processeurs n’étant en général pas sortie au moment de l’achat, « le constructeur s’engage par contrat sur des performances non démontrées ».

S’adapter à une communauté nouvelle

Mais la collaboration va « bien au-delà de la conception du supercalculateur », selon Raphaël Godoffe : pendant un an, HPE a également mis à disposition des ingénieurs spécialisés pour aider à préparer les codes utilisateurs à un usage sur cette nouvelle machine plus puissante.

Nombre de supercalculateurs par pays
Nombre de supercalculateurs dans le Top 50 par pays

Partie intégrante du plan « AI for humanity » lancé par le président de la République Emmanuel Macron en mars 2018 pour faire de la France un pays leader en intelligence artificielle et organiser une concertation mondiale autour de ses enjeux, le supercalculateur Jean Zay dédie une partie de ses capacités spécifiquement à la communauté de recherche en IA. « Une communauté qui n'avait jusque-là aucune expérience de l'utilisation des centres nationaux et pour laquelle il a fallu s’adapter », explique Denis Girou. Au-delà des environnements de travail et des logiciels nouveaux à interfacer sur les ordinateurs, de nouveaux modes d’allocation du temps de calcul sur la machine ont été mis en place. Pour cette communauté, cette allocation sera effectuée au fil de l’eau plutôt que via les appels à projet bi-annuels auxquels sont habitués les utilisateurs de la partie dédiée aux applications « massivement parallèles » classiques, ces lourdes simulations numériques essentielles pour les recherches en astrophysique, mécanique des fluides ou encore climatologie.

Photo du super calculateur Jean Zay
Le supercalculateur Jean Zay est nommé en l'honneur du ministre de l'Éducation nationale qui fut l'artisan, avec Jean Perrin, de la création du CNRS. © Cyril FRESILLON / IDRIS / CNRS Photothèque​​​​​

Cette communauté de l’IA représente également un défi pour Hewlett Packard Enterprise, plus habituée à des utilisateurs issus du domaine privé. « Faire de la pédagogie, illustrer les bénéfices de la puissance d’un supercalculateur comparé aux ressources de calcul accessibles dans les laboratoires de recherche afin de donner envie à la communauté de recherche publique en IA : tout cela était nouveau pour nous », assure Raphaël Godoffe. Ce qui a fait du supercalculateur Jean Zay une « aventure humaine faite de coopération et de collaboration ».

Un supercalculateur aussi économe que possible

Le principe d’un supercalculateur est simple : plutôt que de produire de nouveaux processeurs de calcul individuellement plus performants mais plus gourmands en électricité, il est préférable de multiplier les coeurs. Jean Zay en possède plusieurs dizaines de milliers, dont plus d’un millier de processeurs spécialisés dans l’accélération du calcul, appelés GPU.

Pour limiter la consommation électrique, et grâce à un investissement spécial du ministère de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation, un refroidissement par eau chaude était prévu. Le système de refroidissement par eau, plus efficace que le refroidissement par air, était déjà en place à l’IDRIS mais avec une eau froide. Pour Jean Zay, les dispositifs supportent une eau plus chaude, à 32 °C, synonyme d’économies d’énergie : il est plus facile de ramener à 32 °C l’eau qui sort des calculateurs à 42 °C, que de la faire descendre jusqu’à 12 °C comme sur le supercalculateur précédent. « La maîtrise de la consommation électrique est un critère essentiel qui guide aujourd’hui l’évolution technologique des supercalculateurs », rappelle Denis Girou. « Construire un équipement économe en énergie était important pour deux raisons », confirme Raphaël Godoffe : « nous y étions poussés bien sûr par l’évaluation du projet par GENCI, mais c’était également essentiel pour l’avenir du supercalculateur : conçu pour être amélioré par la suite, ses besoins en électricité vont augmenter. » Et avec le supercalculateur Jean Zay, la chaleur générée est même récupérée pour chauffer le bâtiment qui l’accueille et d’autres bâtiments de l’université.

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