20 ans de mathématiques franco-chiliennes

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Plus ancien International Research Laboratory du CNRS, le Centre de modélisation mathématique installé au Chili fête ses 20 ans. Retour sur deux décennies de recherche ancrées dans un monde en pleine évolution.

« Le meilleur laboratoire de mathématiques du Chili et parmi les meilleurs au monde » : voici comment Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, présente le Centre de modélisation mathématique (CMM). Une réputation prouvée chaque jour par cette institution qui vient de célébrer ses 20 ans.

Créé en 2000 à Santiago au Chili, le CMM devient une unité mixte internationale du CNRS en 2004, ce qui en fait le plus ancien International Research Laboratory1  de l’organisme. Sous ce statut, le laboratoire organise avec le CNRS des échanges de scientifiques, des programmes communs de doctorat et des chaires partagées. Celui qui « tient une place spéciale dans le cœur du CNRS », selon son PDG, a renforcé les relations scientifiques franco-chiliennes, servant d’exemple pour le développement d’autres IRL au Chili et à travers le monde. Il anime aujourd'hui le réseau des laboratoires internationaux de l’organisme français dans le domaine.

Le directeur du CMM, Alejandro Maas, lors de l'anniversaire des 20 ans de l'IRL.
Le directeur du Centre de modélisation mathématique, Alejandro Maass, lors de l'anniversaire des 20 ans de l'IRL. © Comunicaciones CMM

« Au CMM, nous souhaitions que les mathématiques se nourrissent des problèmes du monde réel et que les solutions s’inspirent fortement du développement mathématique », explique son directeur Alejandro Maass qui salue « l’alliance internationale qui a donné vie » au laboratoire. Celui-ci est né de la première série de Centres d'excellence du Fond de financement des centres d’investigation en zones prioritaires de la Commission nationale de recherche scientifique et technique2  (maintenant ANID), qui avait pour objectif d’articuler l’activité de groupes de scientifiques autour de thématiques importantes pour le pays.

Au service de la société

En effet, le CMM entend « rapprocher les outils des besoins pour contribuer au développement scientifique, technologique et social du Chili » : avec une activité théorique internationalement reconnue, il est axé sur les mathématiques appliquées, en lien direct avec la société et l’industrie du pays, et cherche à résoudre des « problématiques mondiales à fort impact local ». Le laboratoire a par exemple été sollicité sur des sujets comme la fragmentation des roches ou la stabilité des mines exploitées par l’industrie chilienne, moteur de l’économie locale aux multiples défis. En utilisant données et probabilités, un système de surveillance des micro-tremblements de terre a ainsi été créé dans des mines souterraines. En partenariat avec le Département d’informatique de l’Université du Chili, le CMM a aussi participé, dès le début de son histoire, à la conception initiale du système de facturation électronique du pays et à la formation de spécialistes de la sécurité informatique au Chili. Une activité qu’il poursuit aujourd’hui.

Campus Beauchef
Le campus Beauchef de l'Université du Chili, sur lequel se trouve le Centre de modélisation mathématique © Comunicaciones CMM/Samuel Pizarro

Plus récemment, des modèles développés par les mathématiciens ont éclairé la gestion de la crise du coronavirus et le laboratoire, membre de la Fédération de recherche Tara Oceans3 , a pur but introduire des mathématiques dans le programme GO-SEE qui étudie la biodiversité océanique face au changement climatique. Le CMM est aussi impliqué dans le programme Alerce, une référence mondiale pour l'exploration astronomique à partir de données – prédisant par exemple les zones d’intérêt pour une observation –, et coordonne au Chili le programme Copernicus de satellites d’observation de la Terre de la Communauté européenne sur les questions de politique spatiale.

  • 1Ces outils, anciennement appelés « unités mixtes internationales » (UMI), structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 2Le Conicyt, ou Comisión Nacional de Investigación Científica y Tecnológica (commission nationale de recherche scientifique et technique) est l'organisme chilien qui coordonne et finance la recherche scientifique. Il est devenu, au 1er janvier 2020, l’Agence nationale de recherche et développement (ANID) qui remplit un rôle similaire à l’Agence nationale de la recherche (ANR) française.
  • 3La Fédération de recherche Tara Oceans comporte 22 équipes de recherche françaises et internationales, et développe le programme GO-SEE (Global Oceans Systems Ecology & Evolution). la goélette Tara restera 3 mois au Chili à partir de février 2021.

Des réseaux nationaux et internationaux

Pour effectuer ces recherches variées, le CMM est composé de plus de 150 membres - « un groupe de mathématiciens – chercheurs et ingénieurs – qui pratiquent et valorisent l'interdisciplinarité, qui la vivent et aident à la construire », selon son directeur qui affirme : « Il est impossible de mentionner tous les partenaires que nous avons eu en 20 ans ». Car, depuis sa création, le laboratoire a assisté et participé à l’augmentation des quantités de données et la sophistication des outils pour modéliser des phénomènes de plus en plus complexes. Depuis 10 ans, il fait ainsi vivre le Laboratoire national de calcul haute performance4 , en partenariat avec « pratiquement toutes les universités chiliennes » et développe des programmes d’échange avec les grandes universités du continent : « Nous sommes un petit pays donc nous avons appris à attaquer les problèmes complexes que nous voyons facilement autour de nous et nous souhaitons partager notre expérience », indique le mathématicien.

séminaire CMM
Des étudiants et scientifiques lors d'un séminaire organisé par le CMM. © Comunicaciones CMM/Uchile

Pour que le laboratoire et le pays restent à la pointe des recherches mathématiques, le CMM est aussi fortement impliqué dans l’enseignement. Il a notamment participé à la construction des normes de l'enseignement mathématique avec le ministère de l'Éducation, et mis en place les programmes ARPA et « Suma y Sigue » – ce dernier étant reconnu par une chaire UNESCO – qui sont aujourd'hui une référence pour la formation des professeurs de mathématiques. « Nous aidons les professeurs chiliens à montrer les mathématiques telles qu’elles sont et à former des cerveaux capables de penser de manière analytique, dans une société de plus en plus numérique », explique Alejandro Maass.

Aujourd’hui, unique centre d’excellence « basal program » de l’ANID en mathématiques – un équivalent du Labex français lancé en 2009 – le CMM entame cette nouvelle décennie prêt à « continuer à relever les nouveaux défis que présente la mondialisation au niveau global comme local », et en particulier la santé numérique.

  • 4Le « NLHPC » est un centre de calcul intensif national chilien au service des communautés académiques et industrielles, ainsi que des institutions publiques : https://www.nlhpc.cl/

Le Centre de modélisation mathématique fête ses 20 ans

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