« Nous créons en moyenne un laboratoire commun tous les quinze jours »

Innovation

Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS, nous livre son analyse sur ce qui fait la particularité des laboratoires communs et leur pérennité.

Le CNRS vient de signer son 200e laboratoire commun en activité. Quelle est la tendance autour de cette forme de partenariat et comment l’expliquez-vous ?

Jean-Luc Moullet : Ces dernières années, nous avons observé une augmentation du nombre de créations de laboratoires communs entre le CNRS et ses partenaires académiques, et des entreprises de toute taille. Alors que le CNRS comptabilisait 22 nouvelles créations en 2016, 34 ont été signées en 2019. Aujourd’hui, nous créons donc en moyenne un laboratoire commun tous les quinze jours.

Cette tendance illustre le besoin d’ancrage des relations établies entre les industriels et le monde académique dans un cadre structurant et pérenne. Un LabCom se traduit en effet par une feuille de route définie sur cinq ans en moyenne, qui fixe une ambition commune sur un thème scientifique dont l’importance est partagée. Il détermine également des moyens permettant de répondre à cette ambition. Enfin, cette forme de collaboration offre un cadre souple qui permet d’accommoder dans le temps différents projets se rapportant à ce thème scientifique et de les faire évoluer dans le cadre d’une gouvernance commune. Un LabCom est donc plus ambitieux et plus exigeant qu’un contrat de collaboration de recherche, ce qui explique aussi que sa création reste plus occasionnelle en comparaison du millier de collabo- rations de recherches signées tous les ans avec l’industrie. Cela renforce son caractère privilégié.

Simulateur de voiture
À l'aide de capteurs physiologiques et comportementaux, l’OpenLab Automotive Motion Lab étudie le comportement humain en situation de conduite pour préparer les voitures autonomes. © ISM UMR7287, Openlab Automotive Motion Lab, 2021

À première vue, il est difficile d’imaginer qu’un laboratoire commun, qui est la forme de recherche partenariale la plus intégrée, puisse correspondre à la fois aux exigences de partage de connaissance de la recherche publique et aux intérêts économiques des entreprises. Quelles sont les particularités de ces structures qui soutiennent leur réussite ?

J.-L. M. : Aucune collaboration ne commence directement par la création d’un laboratoire commun. Derrière ces structures, il y a avant tout un lien humain et des personnes qui veulent unir leurs efforts. Leur création fait souvent suite à plusieurs années de prestations scientifiques, de co-encadrements de thèses, de contrats de collaborations de recherche, etc. Le temps est donc un allié. Il permet à chaque partenaire de s’acculturer à l’autre et à ses besoins. La réussite des LabComs se construit donc autour de personnes qui se connaissent, qui ont appris à s’estimer et ont bâti une relation de confiance.

Un laboratoire commun est construit sur une thématique, qui répond à la fois à des enjeux scientifiques ambitieux et clairs, mais aussi à des enjeux industriels de long terme. Le choix de cette thématique est donc crucial pour les deux parties, ce qui nécessite de bien comprendre les compétences existantes et les motivations de chacun. Les projets sont ensuite co-construits au sein du LabCom et s’inscrivent naturellement dans cette thématique scientifique d’intérêt conjoint. Une fois en place, le mode de fonctionnement du laboratoire commun, garanti par une gouvernance, une stratégie et des moyens partagés, renforce cette proximité entre monde académique et monde industriel. L’ensemble permet de conduire une recherche de grande qualité, ce qui est tant apprécié qu’attendu de la part de nos partenaires industriels. Albert Fert en est un très bon exemple puisqu’il a remporté le prix Nobel de physique en 2007 pour sa contribution à la spintronique1 , alors qu’il travaillait dans un laboratoire commun entre le CNRS et Thales.

Au-delà de cette reconnaissance, exceptionnelle s’il en est, l’intérêt des LabComs est bien entendu de faciliter le transfert des résultats de recherche vers l’industrie. La proximité entre le monde académique et le monde industriel joue, ici, un rôle de catalyseur. Les résultats de recherche, qui répondent à ces orientations déterminées en amont et conjointement avec nos partenaires industriels, vont ensuite apporter une valeur ajoutée directe au cycle de développement des produits des entreprises. Certains en rupture, et d’autres plus incrémentaux. Ces résultats de recherche vont venir se fondre à un ensemble d’innovations provenant de l’entreprise. C’est aussi cela la recherche partenariale : apporter une brique à l’édifice pour aboutir à des produits hybrides nés d’expertises aussi bien académiques qu’industrielles.

Quelles sont les ambitions du CNRS quant à l’avenir des laboratoires communs ?

J.-L. M. : Notre ambition globale est d’abord de répondre aux besoins scientifiques exprimés par nos partenaires industriels. Si la forme du laboratoire commun est une réponse adaptée à ces besoins, ce que l’on pense, alors notre objectif est double.

Il s’agit, en premier lieu, de pérenniser nos partenariats actuels. De ce point de vue, le renouvellement des laboratoires communs qui arrivent à terme est un très bon indicateur de satisfaction des entreprises. Il n’est pas exclusif car un LabCom doit aussi pouvoir s’arrêter, notamment lorsque la thématique poursuivie a été suffisamment explorée. Nous sommes particulièrement heureux de constater que certains laboratoires communs existent depuis plus de 20 ans.

Au-delà, notre objectif de moyen terme est de doubler le nombre de laboratoires communs en activité, d’abord en approfondissant les liens avec nos partenaires actuels, mais aussi en développant des relations toujours croissantes avec de nouveaux partenaires industriels. C’est la mission qui est confiée à la Direction des relations avec les entreprises, qui à partir d’une stratégie fondée sur l’approche des filières industrielles, explore de nouvelles opportunités de partenariat avec les entreprises.

  • 1La spintronique est une technologie qui utilise les propriétés quantiques du spin de l’électron, avec des applications notamment dans le stockage de l’information.