Le CNRS et le CEA relèvent le défi de l’hydrogène décarboné

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La France a décidé de renforcer sa filière hydrogène par un vaste plan national, comprenant un Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) dédié à l’hydrogène décarboné, co-piloté par le CNRS et le CEA. Abdelilah Slaoui, responsable scientifique pour le CNRS de ce PEPR de 80 millions d’euros, nous explique les enjeux de l’hydrogène décarboné et présente les sept projets ciblés qui viennent d’être dévoilés.

Qu’est-ce que l’hydrogène décarboné et pourquoi en a-t-on besoin ?
Abdelilah Slaoui1  : Selon l’agence internationale de l’énergie (IEA), 75 millions de tonnes d’hydrogène sont produites dans le monde chaque année. Il est essentiellement utilisé pour le raffinage du pétrole et la synthèse de l’ammoniac, ingrédient nécessaire à de nombreux engrais azotés et dans l’industrie alimentaire. La demande est en forte croissance pour répondre à des besoins industriels de plus en plus importants, mais également pour fertiliser les terres. Or, 98 % de cet hydrogène utilisé est produit à partir de sources fossiles, comme le gaz naturel et le charbon, provoquant l’émission annuelle et mondiale de presque un milliard de tonnes de CO2, une quantité qui correspond à approximativement trois fois le total des émissions annuelles françaises. C’est pourquoi nous nous intéressons à l’hydrogène décarboné, issu de l’électrolyse de l’eau où l’on brise des molécules de H2O sous champs électriques. Pour être « hydrogène décarboné », la source électrique pour l’électrolyse doit être elle-même à faible empreinte de carbone, et ainsi provenir de sources d’énergies renouvelables ou du nucléaire.

Comment la France souhaite-t-elle se positionner sur ces questions ?
A. S. : D’abord pensé pour 7,2 milliards d’euros, le plan Hydrogène français est officiellement doté de 9,1 milliards, dont 80 millions pour soutenir la recherche et l’innovation. Tous les pays ambitionnent de développer leur filière hydrogène, et la France s’est attribuée pour y parvenir un budget équivalent à celui de puissances comme l’Allemagne ou le Japon, mais avec des stratégies différentes sur la production locale ou décentralisée suivie d’importation. Le plan Hydrogène français et ses neuf milliards d’euros marqueront en tout cas un tournant. Nous ne passerons pas d’un seul coup au tout hydrogène, il faudra soutenir les efforts pour qu’il prenne une part de plus en plus grande dans notre mix énergétique. Et avec un budget plus important consacré à la recherche publique, nous pourrions aller encore plus loin et pérenniser nos projets.
 

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Station service H2 à Nantes. Cette station de ravitaillement en hydrogène est ouverte aux particuliers utilisant des voitures à hydrogène mais également aux utilitaires et aux bus. © Jean-Claude MOSCHETTI / IMN / CNRS Photothèque

Quel est le rôle du CNRS dans le Programme et équipement prioritaires de recherche (PEPR) dédié à l’hydrogène décarboné ?
A. S. : L’État choisit les pilotes des PEPR en fonction de l’expertise dans les organismes bien sûr, mais également des ressources humaines disponibles dans ses laboratoires. Il n’est pas étonnant, dans ce cas, que le choix soit celui du binôme CNRS et CEA. Le CNRS compte plus d’une quarantaine d’unités de recherche ayant des activités dans le domaine de l’hydrogène. Ce sont, pour la très grande majorité, des unités mixtes avec des universités, des écoles ou d’autres organismes comme le CEA-Liten ou les Mines (Mines ParisTech, Mines Saint-Étienne). Cela représente plus de 450 ETPT2 , dont la moitié sont des personnels permanents, travaillant sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène.

La structuration de cette importante communauté de l’hydrogène au CNRS est faite à travers d’une part la Fédération de Recherche Hydrogène du CNRS et d’autre part le groupement de recherche « GDR-Solar Fuels ». Plus concrètement, plusieurs équipes reconnues internationalement interviennent sur la production d’hydrogène économe en CO2, sa purification et son stockage gazeux ou solide, sur les différents constituants des cœurs de cellules et les systèmes impliqués dans les piles à combustible, basse et haute température, et dans l’électrolyse de l’eau. Parce que la durabilité d’un système pile à combustible ou d’un électrolyseur risque d’être faible, les sollicitations étant inévitablement agressives, le « recyclage » et « l’éco-conception » sont aussi adressés afin de diminuer l’impact environnemental lié à la fabrication et au démantèlement du système.

D’autres équipes se focalisent sur la production par photocatalyse, photo-électrocatalyse et photosynthèse, et l’hydrogène naturel. Enfin, grâce à son caractère interdisciplinaire, le CNRS dispose d’équipes adressant les aspects socio-technico-économiques de l’énergie, dont l’hydrogène est devenu un acteur majeur ces dernières années. Le CNRS possède également un portefeuille d’une cinquantaine de brevets sur la filière hydrogène et plusieurs start-ups sont issues de nos rangs : MAHYTEC, H2SYS, H2Pulse
 

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Une collaboration entre le CNRS et H2X-Ecosystems consiste à mettre au point des électrodes imprimées en 3D (structure, matériaux) en vue de l’électrolyse industrielle alcaline (Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR). © Jean-Claude MOSCHETTI / ISCR / CNRS Photothèque

Quels sont les grands axes du PEPR ?
A. S. : La stratégie nationale sur l’hydrogène s’oriente sur deux volets : l’utiliser pour décarboner l’industrie, ainsi que pour la mobilité lourde, comme les trains et les camions. Le bras R&D de cette stratégie, qui est le PEPR, doit accompagner ces orientations et préparer la future génération. Les grandes recherches actuelles effectuées dans les équipes du CNRS sur l’hydrogène sont en accord avec les projets développés dans le PEPR-H2. Il s’agit notamment du développement de dispositifs de production efficace de l’hydrogène par électrolyse (haute température, basse température) ou photo(électro)catalyse mais aussi des ruptures technologiques pour la pile PEM de 3e génération pour la mobilité, et pour des moyens de stockage innovants (solides mais aussi liquides organiques) et la compréhension des phénomènes de dégradation et de durabilité. Concernant ce dernier point, des équipes du CNRS ont été lauréats de l’Equipex+ DurabilitHY sur l’hydrogène, dont les activités sont fortement intégrées dans ce PEPR.

Comment est organisé votre soutien à la recherche sur l’hydrogène décarboné ?
A. S. : La structuration du PEPR comprend, entre autres, sept projets ciblés (voir encadré), menés par des équipes expertes sur ces sujets qui se partagent un budget de 42 millions d’euros, et un programme Équipement d’excellence (Équipex). On trouve par exemple CELCER-EHT et PROTEC sur le thème de développements de cellules céramiques pour les électrolyseurs fonctionnant à hautes températures. Concernant le stockage de l’hydrogène, on peut citer les projets SOLHYD et HYPERSTOCK qui se concentrent sur le stockage sous forme solide et gazeuse, respectivement. Par ailleurs, le programme Équipex DurabilitHY est dédié à tester les systèmes de piles à combustible dans des conditions d’applications réelles (température, vibration, etc.), et à vérifier leur durabilité grâce à un vieillissement accéléré.

Enfin, notons que l’hydrogène ne pourra se déployer qu’en maîtrisant des aspects sociétaux, environnementaux, économiques et réglementaires, que nous avons intégrés dans le programme. Pour y parvenir, nous avons lancé un appel à manifestation, afin que les équipes de recherche déclarent leur intérêt dans ces domaines pour que nous puissions constituer et financer des consortia sur ces thèmes avec les meilleurs scientifiques.

Quels sont les verrous auxquels les travaux sur l’hydrogène décarboné sont confrontés ?
A. S. : Chacun des projets étudiés dans ce PEPR, sous forme de projets ciblés, appels à projets ou appels à manifestation d’intérêt, fait face à ses propres verrous, mais certaines problématiques leur sont communes. Par exemple, développer de nouveaux matériaux et composés à base d’éléments non critiques, élaborer des procédés écologiquement et économiquement viables, construire des systèmes durables et compatibles avec les applications visées et spécifiques à la filière hydrogène.

  • 1Directeur de recherche au CNRS au Laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie (ICUBE, CNRS/Université de Strasbourg), Abdelilah Slaoui est directeur adjoint scientifique de l’Institut des sciences de l'ingénierie et des systèmes (INSIS) et responsable de la cellule Énergie du CNRS depuis 2017.
  • 2Equivalent Temps Plein annuel Travaillé.

Sept projets de recherche ciblés par le PEPR hydrogène

Dans le domaine de la production d’hydrogène

  • CELCER-EHT se penchera sur la nature des matériaux et les procédés de mise en œuvre des cellules céramiques au cœur des réactions électrochimiques générant l’hydrogène, pour augmenter leurs performances, ralentir leur vieillissement en restant à coûts maîtrisés. Des cellules de taille industrielles (200 cm²) seront fabriquées et testées.
     
  • PROTEC s’intéresse aux cellules céramiques fonctionnant à plus basse température (500-600 °C) et reposant sur un mécanisme d’échange différent de celui des cellules étudiées dans CELCER-EHT, permettant de soulager les problèmes liés à la très haute température. Cette technologie de cellules étant à une échelle TRL basse, les démonstrateurs prévus en fin de projet seront d’une taille « quasi industrielle » (de l’ordre de la dizaine de cm²), qui permet d’extrapoler les propriétés obtenues à celles de la future cellule de taille industrielle.

Dans le domaine du stockage et du transport

  • SOLHYD s’intéresse au stockage stationnaire dans des milieux solides, qui présente des avantages majeurs en termes de compacité et de sécurité, en s’appuyant sur des outils numériques et le « machine learning » pour identifier les compositions les plus prometteuses.
     
  • HYPERSTOCK est dédié au stockage et transport de l’hydrogène par voie gazeuse et hautes pressions. Il vise à référencer des matériaux métalliques et non métalliques en environnement sévère hydrogène. La connaissance des propriétés de ces matériaux permettra de limiter l’empreinte carbone des réservoirs hyperbares.

Dans le domaine de la conversion

  • PEMFC95 ambitionne de développer des piles à combustible à membrane échangeuse de protons (PEMFC) capable de fonctionner à une température stabilisée de 95 °C contre 80 °C aujourd’hui. L’élévation de température permettra d’alimenter la PEMFC en hydrogène moins pur sans baisse de performances. Un gain de puissance et une diminution de coût sont également attendus.
     
  • DURASYS-PAC se concentre sur l’amélioration de la durabilité des piles à combustible (PAC) basse température, en identifiant les conditions de fonctionnement dégradantes pour la cellule et le stack (tolérance aux défauts, aux cyclages et au démarrage à froid) et en proposant des stratégies pour les éviter. Des protocoles fiables de vieillissement accéléré seront développés à l’échelle du stack et du système.
     
  • FLEXISOC vise à explorer la flexibilité des cellules céramiques des piles à combustible haute température vis-à-vis du combustible utilisé, comme des mélanges gazeux, voire des liquides. Les investigations se déclineront à l’échelle des matériaux, des cellules, des stacks, jusqu’aux systèmes.

 

Le PEPR comprend également l’équipement d’excellence DurabilitHY

L’EquipEX+ DurabilitHy vise à doter la recherche académique de moyens d’essais très performants pour l’étude de la durabilité des technologies hydrogène-énergie, avec un focus sur les piles à combustible et les électrolyseurs de forte puissance de type PEM (Proton Exchange Membrane) en conditions opératoires représentatives des applications visées : stationnaire (dont microréseaux intelligents), embarqué terrestre (véhicules légers, lourds, trains…) et aéronautique.