Le navire L’Astrolabe amène le ravitaillement nécessaire à la station Concordia en Antarctique.© Vincent FAVIER/LGGE/CNRS Photothèque

Les infrastructures de recherche : fer de lance du CNRS

Recherche

Le CNRS est impliqué dans 91 des 108 infrastructures listées dans la nouvelle feuille de route nationale des infrastructures de recherche publiée début mars, dont l’ensemble des IR*.

« Le CNRS est l’organisme de recherche le plus impliqué dans les infrastructures de recherche », assure Eric Humler, président du Comité des très grands équipements scientifiques et grandes infrastructures du CNRS. Astrophysique, sciences humaines et sociales, énergie ou information scientifique, monosite, distribuée voire numérique… La science de pointe se construit aujourd’hui sur des infrastructures diverses qui rassemblent des équipements scientifiques, des ressources (collections, archives et données scientifiques) et des services essentiels pour soutenir la recherche. « Instruments à la pointe de la modernité » qui représentent des « défis technologiques » et doivent « bénéficier à l’ensemble de la communauté scientifique internationale », ces infrastructures de recherche relèvent d’une stratégie gouvernementale traduite dans une feuille de route nationale du Ministère de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation (Mesri), revue tous les quatre ans.

Statistiques

Dans la nouvelle édition publiée le 8 mars 2022, 108 infrastructures ont été identifiés avec un changement de classification, des organisations scientifiques internationales (OSI) aux infrastructures de recherche (IR) sous la responsabilité des opérateurs de recherche comme le CNRS, en passant par les IR* qui remplacent les anciennes « très grandes infrastructures de recherche » (TGIR) et relèvent d’une politique nationale (notamment budgétaire), bien que leur responsabilité scientifique reste acquise aux opérateurs de recherche. S’ajoutent des « projets », en cours de construction ou déjà productifs, reconnus dans le paysage de la recherche française mais devant encore progresser en maturité.

Cette feuille de route analyse le paysage des infrastructures et leurs impacts économiques, sociétaux et culturels, avec un focus particulier sur la science ouverte et le partage des données, logiciels et publications de la recherche (voir encadré). Elle permet d’établir la stratégie, notamment budgétaire, de l’État en la matière avec un « choix sélectif et hiérarchisé ». Pour une infrastructure, y être inscrite représente ainsi « un label de qualité et une reconnaissance de son importance stratégique pour la France ».

Carte d’identité d’une infrastructure de recherche moyenne

(valeurs médianes)

11 années d'existence
65 équivalents temps plein (ETP/an)
9 M€/an Coût complet
5 partenaires internationaux
150 To/an Production annuelle de données
8 GWh/an Consommation énergétique

En tant que porteur, co-porteur ou tutelle/partenaire, le CNRS est impliqué dans 91 de ces 108 structures, dont 86 sont en fonctionnement. Toutes les IR* de la feuille de route sont co-partagées par le CNRS et ses partenaires. L’organisme porte 6 IR* sur 23  et est en particulier unique porteur de toutes les IR* en sciences humaines et sociales. Le CNRS est aussi partie prenante de l’ensemble des 10 domaines scientifiques identifiés1 .

Parmi les nouvelles infrastructures qui apparaissent sur la feuille de route nationale 2022, dans le domaine de l’astronomie et de l’astrophysique, PARADISE est une plateforme pour les activités de recherche appliquée et de développement en instrumentation au sol et embarquée. AGATA (Advanced GAmma Tracking Array) est un instrument de nouvelle génération, capable d’observer des événements rares avec une grande précision dans le domaine de la physique nucléaire et des hautes énergies. Le Laboratoire Souterrain de Modane (LSM) est une plateforme nationale de recherche dédiée aux projets de recherche fondamentale et aux développements instrumentaux requérant un environnement radioactif exceptionnellement bas. On trouve aussi un réseau fibré métrologique à vocation européenne (REFIMEVE) dont les champs scientifiques bénéficiaires sont très variés : physique fondamentale, technologies quantiques, photonique, géodésie et climat, environnement, astronomie et VLBI, accélérateurs... Les sciences du numériques et mathématiques sont enrichies de deux nouvelles IR : CONTINUUM et ROBOTEX 2.0. Le réseau géochimique et expérimental français (RéGEF) et l’infrastructure nationale des aéronefs instrumentés pour la recherche (IN AIR) viennent renforcer les actions du domaine « Sciences du système Terre et de l’environnement ». Dans le domaine « Biologie et santé », EBRAINS-FR est le nœud français de l’infrastructure de recherche européenne EBRAINS, inscrite sur la feuille de route du Forum européen des infrastructures de recherche (ESFRI) depuis début juillet 2021. Enfin, AnaEE-France et Infranalytics résultent de la fusion d’anciennes infrastructures dans les domaines de l’environnement et des sciences de la matière et de l’ingénierie.

  • 1Le CNRS est impliqué dans toutes les infrastructures des domaines « Astronomie et astrophysique », « Physique nucléaire et des hautes énergies », « SHS », « Sciences du numérique et mathématiques », « Services numériques (calcul et réseau) » et « Information scientifique », dans 12 des 13 infrastructures du domaine « Sciences de la matière et ingénierie » et 19 des 22 infrastructures du domaine « Sciences du système Terre et de l’environnement ». Les autres thématiques sont : « Biologie et santé » et « Énergie ».

La science ouverte au cœur des infrastructures de recherche

Élaborée entre novembre 2020 à mars 2022, cette cinquième édition de la Feuille de route française des IR met l’accent pour la première fois sur la science ouverte, clé notamment pour assurer la transparence et la reproduction des résultats scientifiques, dans le cadre du Plan national dédié. La science ouverte et la maîtrise du cycle de vie des données qu’elle produit et utilise, qui se veulent FAIR2 , font ainsi partie des critères utilisés dans cette nouvelle feuille de route pour définir une IR.

La feuille de route analyse aussi l’état du paysage des IR en la matière : ouverture des codes, logiciels, publications et données forment, dans cet ordre, un gradient commun à toutes les disciplines, avec des degrés de maturité différents selon les domaines. Avec par exemple le Centre de données astronomiques de Strasbourg, copiloté par le CNRS et l’Université de Strasbourg, ou le projet ESCAPE, l’astronomie et la physique des particules sont ainsi pionnières pour le développement de l’accès libre, tant pour leurs publications que leurs données d’observations et de simulations, pourtant volumineuses et complexes. Leur politique est jugée « en voie de systématisation ». La biologie-santé et les SHS ont plutôt des politiques « en voie de généralisation », avec une offre de service souvent très étendue mais des données à caractère personnel fort, et les mathématiques ou l’énergie des politiques globalement « en émergence » avec une prise en compte sérieuse des enjeux. Les infrastructures d’information scientifique, comme HAL, OpenEdition ou Software Heritage, sont particulièrement concernées.

Trois leviers d’accélération des pratiques de science ouverte sont aussi identifiés : formaliser les stratégies de science ouverte pour faciliter les dialogues et collaborations, mieux identifier la contribution des infrastructures à la connaissance scientifique à l’aide d’un identifiant unique pour les publications, codes et données qu’elles diffusent, faciliter la réutilisation et l’intégration des données dans des jeux plus larges en unifiant les descriptions des données et en créant de meilleures interfaces entre les IR et les disciplines.

  • 2La politique de données FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable) assure que les données soient faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables.

L’ampleur des enjeux scientifiques et technologiques couverts, ainsi que les coûts de construction et d’exploitation de ces infrastructures, requièrent des moyens humains et financiers importants. L’ensemble des infrastructures auxquelles le CNRS participe représentent environ 10 000 ETP et un budget de 1.4 Md€, auxquels il faut ajouter 2 000 ETP et 1.1 Md€ pour le CERN – organisation européenne pour la recherche nucléaire co-portée par le CNRS et le CEA. « Si, à première vue, ces chiffres semblent importants, le coût complet moyen par ETP est en fait comparable à celui de nos laboratoires de recherche, c’est-à-dire de l’ordre de 140-200 k€/an », assure le président du Comité, qui détaille le rôle de l’organisme : faire un lien étroit entre les projets scientifiques des dix instituts du CNRS d’une part et les partenaires français – autres organismes de recherche et Ministère – et internationaux d’autre part, notamment avec l’Allemagne et le Royaume-Uni qui investissent beaucoup dans ces infrastructures.

Dans la précédente feuille de route, les infrastructures dans lesquelles le CNRS était impliqué rassemblaient ainsi 64 pays partenaires, en Europe et ailleurs, et la politique se poursuit. Avec un budget important et ses 3000 spécialistes en physique, le CERN fait figure d’exemple emblématique de « méga-infrastructure », selon Eric Humler, construite et exploitée par des collaborations internationales depuis 1954 et à l’origine de découvertes spectaculaires (comme le boson de Higgs).

Plusieurs infrastructures présentes dans la feuille de route nationale sont également en lien avec celle de l’ESFRI, publiée en décembre 2021, parmi 41 infrastructures de recherche labellisées « landmark »  et 22 dans la catégorie « project ». La France est donc l’un des États les plus visibles dans la politique européenne de la recherche. « Aujourd’hui encore plus qu’hier, les questions scientifiques auxquelles nous essayons de répondre nécessitent le travail de la communauté mondiale », conclut Eric Humler.

Coût énergétique et guerre en Ukraine : la double peine pour les infrastructures de recherche

La consommation énergétique des infrastructures de recherche est de l’ordre de 2,6 TWh/an, soit environ 250 M€/an pour les 108 infrastructures de recherche de la feuille de route. Des coûts non négligeables, même s’ils sont très variables d’une infrastructure à l’autre. Les synchrotrons (ESRF, SOLEIL), les accélérateurs de particules (CERN), les lasers de haute puissance (XFEL), la génération de champs magnétique intense (LNCMI), le calcul intensif (GENCI), les plateformes de nanofabrication (RENATECH) ou les navires de la Flotte océanographique française (FOF) représentent ainsi 70 % de la consommation énergétique globale des infrastructures. L’augmentation des cours de l’électricité pourraient atteindre 40 à 60 % en 2022, malgré la baisse du prix de la taxation énergétique. « Le défi dans les mois qui viennent est d’identifier les bonnes pratiques permettant d’amortir les effets de la crise énergétique actuelle sur le fonctionnement de ces infrastructures en attendant un retour à la normale. », explique Eric Humler.

Depuis le 24 février 2022, l’invasion de l’Ukraine et les mesures de « suspension » de toute nouvelle collaboration avec la Russie impactent les coopérations scientifiques, notamment dans le domaine de la physique. Dans ces disciplines, les relations avec la Russie sont en effet historiques. Le laser à électrons libres à rayons X nouvelle génération XFEL est ainsi financé à 27 % par le partenaire russe. Le synchrotron européen ESRF (10 % du budget provient de la Russie) et l’Institut Max von Laue – Paul Langevin (ILL) réfléchissent aux moyens de pallier cette situation. L’absence ou le retard des contributions en matériel et instruments que devaient fournir les équipes russes va aussi fortement impacter la mise à jour du CERN en une version « haute luminosité » prévue d’ici 2027, la construction du projet européen FAIR (Facility for Antiproton and Ion Research) qui doit s’achever en 2025 en Allemagne ou la fourniture d’isotopes indispensables pour le GANIL.

« Aujourd’hui, les infrastructures de recherche doivent faire face à une situation exceptionnelle, jamais vécue depuis la création du CERN en 1954. Le double impact des conditions géo-politiques actuelles et de l’augmentation des coûts énergétiques et des matières premières risque d’affaiblir une dizaine de nos infrastructures si la crise perdure », regrette Eric Humler.