Les modèles animaux : « un enjeu important pour le CNRS »

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Entre formation des enseignants et premier bilan de la charte de transparence nationale signée en 2021, le vétérinaire Ivan Balansard fait le point sur le recours aux modèles animaux en recherche. Il est à la fois chargé de mission Éthique et modèles animaux au CNRS et président de l’association Gircor, qui œuvre à mieux faire comprendre au grand public la recherche animale et ses alternatives.

Une conférence sur l’éthique et les modèles animaux clôturera l’Année de la biologie d’ici la fin de l’année. Pourquoi terminer sur cette thématique ?

Ivan Balansard1  : L’Année de la biologie s’adresse aux enseignantes et enseignants des sciences de la vie, du collège au BTS, en collaboration avec le Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, avec des ressources et des formations sur de nombreux sujets (voir encadré). L’objectif de ce webinaire-ci est de les sensibiliser à la question des modèles animaux, dans une démarche pédagogique. L’utilisation des animaux dans la recherche biologique et médicale interpelle souvent les élèves, et c’est naturel. Il s’agit donc de former leurs enseignantes et enseignants pour qu’ils puissent répondre à toutes ces questions avec un message clair : le recours aux animaux en recherche est extrêmement réglementé et guidé par une réflexion éthique permanente. Il ne peut y avoir de recherche de qualité sans respect du bien-être animal.

  • 1Ivan Balansard est docteur en médecine vétérinaire et en pharmacie. Ingénieur de recherche au CNRS, il est chargé de mission à l’INSB au bureau Éthique et Modèles Animaux. Il préside le Gircor depuis 2015 et est membre statutaire de la Commission nationale de protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.

L'Année de la biologie

Durant l’année scolaire 2021-2022, l’Année de la biologie visait à rapprocher scientifiques et enseignants de Sciences de la vie et de la Terre, du collège au BTS, et a contribué à valoriser les grandes avancées et les enjeux de la recherche en biologie auprès des jeunes générations. Dans ce cadre, 27 événements ont été organisés et 53 ressources mises à disposition (conférences, livres, expositions, reportages, portraits, podcasts, etc.). L’Institut des sciences biologiques du CNRS a ainsi élaboré 34 formations en France et Outre-mer : 62 laboratoires ont participé, accueillant environ 1500 enseignantes et enseignants dans l’ensemble des académies. La majorité de ces derniers envisagent une application auprès de leurs élèves du contenu découvert pendant leur journée de formation.

En savoir plus sur l’Année de la biologie : https://anneedelabiologie.cnrs.fr/

Pourquoi les scientifiques utilisent-ils des animaux dans leurs recherches ?

I. B. : Contrairement à ce que l’on pense, la majorité des animaux utilisés en recherche ne l’est pas pour tester des médicaments (humains ou vétérinaires), mais pour comprendre les mécanismes du vivant (éthologie, physiologie, zoologie, écologie…) dans le cadre de la recherche fondamentale (40 %) et pour étudier et traiter les maladies humaines et animales dans le cadre de la recherche appliquée aux pathologies (25 %). La pandémie de Covid-19 a d’ailleurs mis un coup de projecteur sur l’intérêt crucial de différents modèles animaux (hamsters, furets, singes…) qui ont permis de comprendre les facteurs de virulence des différentes souches du virus et développer dans un temps record vaccins et traitements.

Les études toxicologiques et règlementaires pour les médicaments humains et vétérinaires concernent, elles, environ 30 % des animaux utilisés en recherche. On les associe en langage familier aux « tests sur les animaux ». Le code de Nuremberg, premier code de bioéthique international, impose le recours aux animaux avant tout essai clinique d’un médicament chez l’Homme. Même si depuis une dizaine d’années, des avancées remarquables ont été réalisées avec en particulier l’émergence des organoïdes et des organes sur puce, ces modèles alternatifs restent très simplifiés et ne peuvent pas remplacer la complexité d’un organisme entier. C’est la raison pour laquelle, on les qualifie volontiers de modèles complémentaires. Ils permettent néanmoins, et d’ores et déjà, de réduire le nombre d’animaux dans certaines études précliniques et projets de recherche. Ces approches représentent une voie très prometteuse pour l’avenir et font l’objet de nombreuses recherches, notamment au CNRS.

Dans tous les cas, l’utilisation des animaux, qui doit être strictement nécessaire, est guidée par une réflexion éthique permanente et encadrée par une réglementation rigoureuse exigeant un niveau élevé de protection des animaux et de leur bien-être, et prenant en compte la règle des 3R (voir encadré). Elle doit se faire en toute transparence.

Les 3R, clés de voûte de la recherche animale

S’agissant du recours aux animaux à des fins de recherche, une réglementation stricte, exigeant un niveau élevé de protection des animaux, a été mise en place au niveau européen dès 1986 et renforcée par la directive 2010/63, transposée en France en février 2013. Elle s’appuie sur la règle des 3R : remplacer, réduire, raffiner.

  • Remplacer : aucune procédure impliquant des animaux ne peut être menée s’il existe une méthode substitutive répondant au même objectif scientifique
  • Réduire : les protocoles expérimentaux doivent être optimisés pour n’utiliser que le nombre d’animaux strictement nécessaire et le partage des données doit être facilité
  • Raffiner : il s’agit d’améliorer autant que possible les conditions d’utilisation, afin de minimiser les contraintes, le stress et la douleur, notamment avec des protocoles d’anesthésie, des approches d’exploration non invasives et des conditions d’hébergement respectant les besoins et attentes des animaux

La réglementation protège les animaux vertébrés, comme les poissons, oiseaux et mammifères. Le recours aux primates est restreint et l’utilisation de grands singes (comme les chimpanzés) est interdite en Europe. Les données montrent une diminution de plus de 20 % de l’utilisation d’animaux en Europe entre 2008 et 2017.

En savoir plus : https://www.cnrs.fr/fr/modeles-animaux-une-recherche-ethique

Le CNRS a d’ailleurs signé l’an dernier une charte de transparence sur le recours aux animaux à des fins scientifiques et réglementaires. Que dit cette charte ?

I. B. : Pour mettre fin à de nombreuses idées reçues et éviter les polémiques infondées, la communauté scientifique est aujourd’hui consciente qu’il est important de mieux informer le grand public sur ce sujet complexe et mal connu. Proposée par le Gircor, que je préside, en février 2021, sous l’impulsion du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation et à l'instar d'autres pays européens, la charte de transparence porte quatre engagements en ce sens.

L’objectif est d’informer, y compris sur les éventuelles défaillances repérées. Nous observons un mouvement collectif, encouragé par le CNRS qui a été l’un des premiers signataires : la charte compte aujourd’hui 38 signataires qui sont représentatifs de l’ensemble du monde français de la recherche animale – établissements et instituts de recherche, universités, entreprises du médicament humain et vétérinaire, etc. En elle-même, elle n’engage pas les signataires dans la limitation et l’encadrement de l’usage d’animaux en recherche. Mais il ne peut y avoir de transparence sans exemplarité des pratiques.

Le Gircor a rendu public le bilan de la première année de la charte fin juin. Que faut-il en retenir ?

I. B. : Contribuer à un rapport annuel pour faire un état des lieux de la transparence en France est le quatrième engagement de la charte de transparence. Avec ce premier rapport, la dynamique est engagée et nous espérons que la charte gagnera en visibilité et convaincra encore plus de signataires.

Il est important de noter que ces signataires forment un groupe très hétérogène en taille, en niveau d’activités de recherche impliquant des animaux, en type d’organisations, etc. L’interprétation des résultats chiffrés, qui peuvent difficilement être pondérés, est donc délicate. Mais ce qui en ressort est que les directions des établissements et les équipes elles-mêmes sont totalement engagées dans la démarche. L’enquête montre que leur objectif est double : permettre au grand public de comprendre l’intérêt de l’utilisation des animaux et améliorer l’image de la recherche. Pour cela, le choix des mots ou des images pour communiquer paraît un exercice particulièrement délicat aux personnels, avec la crainte de mauvaises interprétations ou de détournements. Les signataires notent aussi que mettre en place les processus pour être totalement transparents prend du temps et mettent en évidence des pistes d’amélioration possible, par exemple pour mieux répondre aux sollicitations des médias ou mieux communiquer en interne. Ce premier rapport témoigne donc d'une évolution des pratiques qui répond aux attentes légitimes de la société.

Un centre français de référence sur les 3R

Doté de missions et de moyens d’actions conséquents, le France Centre 3R (FC3R) a été inauguré en novembre 2021. Groupement d’intérêt scientifique rassemblant l’Inserm, le CNRS, INRAE, Inria, le CEA, l’Institut Pasteur de Paris, France Université et l’association Udice, il a pour ambition d'être reconnu en France et en Europe comme référence et point de contact pour toutes les questions relatives aux 3R, dans la recherche publique comme privée. Il entend par exemple développer la formation aux 3R, assister au design de projets, et lancer des appels à projets, notamment pour développer et valider des méthodes de recherche permettant de mieux respecter le principe des 3R.

Au-delà de la charte, le CNRS s’est engagé dans plusieurs actions concernant la bioéthique et les modèles animaux. Pouvez-vous donner quelques exemples ?

I. B. : Même s’il reste encore une marge de progression, le CNRS est parmi les organismes les plus avancés en matière de transparence, et ce même avant d’avoir signé la charte du Gircor. Dès 2015, une visite virtuelle d’une animalerie hébergeant des primates a été rendue disponible. Sur le nouveau site de l’organisme, lancé en 2019, l’accès à la page pédagogique sur les modèles animaux se fait en moins de trois clics, avec un compte du nombre d’animaux utilisés dans les laboratoires. Le film didactique « Les animaux pour faire avancer la recherche » date de la même année.

Les animaux pour faire avancer la recherche | La recherche, c’est fondamental

Audiodescription

Le réseau de référents « Éthique et modèles animaux » a aussi été mis en place en 2016 dans chacune des 18 délégations régionales du CNRS et dans certains laboratoires concernés, en plus du Bureau dédié qui existe, comme pour tous les organismes de recherche, depuis 1992. Ces référents et référentes sont les ambassadeurs de la charte de transparence et peuvent accompagner les scientifiques et les laboratoires dans leurs travaux et dans leurs communications sur ces recherches. Le recours aux animaux étant indispensable, il doit aussi être assumé dans le débat public : le réseau peut aider les scientifiques qui veulent s’exprimer à répondre aux sollicitations en évitant que leurs propos soient mal interprétés. Avec mon double rôle au sein du CNRS et au sein du Gircor, j’aborde aussi la question de la transparence dans toutes mes interventions dans les médias.

Le CNRS a aussi été précurseur sur un point clé : le modèle (humain ou animal) utilisé est systématiquement indiqué dans ses communications sur des résultats de recherche – un critère aujourd’hui inclus dans la charte de transparence. Enfin, plus récemment, le CNRS est membre fondateur du FC3R, un centre national de référence pour toutes les questions relatives au principe des 3R (voir encadré).

Mais participer au premier rapport du Gircor nous a permis d’identifier des éléments à améliorer. Par exemple, les personnels administratifs de laboratoires utilisant des animaux à des fins de recherche pourraient être mieux inclus dans les actions de transparence, en plus des scientifiques, car ils subissent aussi les idées reçues et veulent pouvoir répondre aux questions. Une charte interne aurait aussi du sens pour s’assurer que tous les membres du CNRS, au-delà des principaux concernés par les recherches avec des animaux, ont connaissance des règles. D’autre part, nous souhaiterions ouvrir plus largement nos laboratoires et animaleries aux visites institutionnelles d’élus de proximité : le décalage est encore important entre l’idée que les décideurs peuvent se faire du recours aux animaux et la réalité où le soin, le respect et la bienveillance sont de mise.