Transition bas carbone : un plan ambitieux pour le CNRS

CNRS

Suite à un premier bilan des émissions de gaz à effet de serre, un plan de transition bas carbone a été présenté à la direction du CNRS. Les premières actions doivent commencer dès novembre et concernent quatre premières thématiques : achats, numérique, mobilité et énergie.

Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés d’ici 2100, il faut atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les Accords de Paris ont ainsi fixé l’objectif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici 20301 . « La recherche a son rôle à jouer, en proposant des solutions mais également en adoptant des pratiques compatibles avec cet objectif », assure Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. Après avoir analysé les résultats de son premier bilan des émissions de gaz à effet de serre mené sur les données de 2019 (voir encadré), le CNRS s’engage donc dans un plan de transition bas carbone « ambitieux et nécessaire » : « Ce plan s’inscrit surtout dans la stratégie du CNRS qui vise à diminuer l’impact de la recherche française sur l’environnement, tout en conservant son excellence ».

Une trajectoire bas-carbone pour le CNRS

Fruit d’une « collaboration multi acteurs » impliquant un groupe de travail transverse, le comité développement durable, les directions fonctionnelles, « tout en s’inspirant des initiatives de laboratoires ou des délégations régionales », ce plan donne un cadre national, à décliner en fonction des spécificités des contextes locaux ou des domaines de recherche. Il est appelé à évoluer en fonction des résultats mesurés, selon des indicateurs à définir, et d’éventuelles nouvelles obligations légales.

Dans un premier temps, quatre premières thématiques ont été identifiées, avec pour première étape un focus sur l’impact carbone de l’organisme : les achats, le numérique, la mobilité et l’énergie. Pour chacune, sont proposées de nombreuses pistes avec des investissements, des délais de mise en œuvre et d’impact variables.

Acheter mieux et moins

Au sein du CNRS, les achats sont le premier poste d’émissions GES sur l’année 2019, en prenant en compte le matériel scientifique et informatique en cours d’immobilisation. Ils représentent 73 % des émissions. Des actions sont déjà mises en place pour agir sur cette thématique. C’est le cas du marché Matinfo, dont les exigences environnementales comptent désormais pour 15 % de la note attribuée aux candidats et qui ont permis d’imposer par exemple une durée de garantie de base du matériel à 5 ans ainsi que des écolabels. Une nouvelle bourse nationale au matériel a été ouverte le 28 octobre pour faciliter la cession ou le don d’équipement entre unités. Au sein des laboratoires,  des initiatives en faveur de la mutualisation et du regroupement des achats (pour réduire les livraisons) sont également mises en place. Deux leviers d’action demeurent : acheter mieux – c’est-à-dire intégrer les dimensions environnementales et sociales dans toutes les étapes du processus d'achat – et acheter moins, notamment en développant l’économie circulaire. Cela passera nécessairement par une sensibilisation des acheteurs et des fournisseurs, en particulier au niveau de l’équipement et des services informatiques, de la restauration collective mais aussi de l’instrumentation scientifique.

Allonger la durée de vie du matériel, favoriser les logiciels peu consommateurs d’énergie, faciliter le réemploi et l’utilisation de matières recyclées, promouvoir des datacenters et des réseaux moins énergivores font partie des actions à engager pour limiter l’impact environnemental du numérique, notamment issues du guide de bonnes pratiques numériques responsables pour les organisations auquel a largement contribué le Groupement de Service Ecoinfo2 .

Avions et voitures dans le viseur

Concernant la mobilité, sont visés à la fois les déplacements domicile-travail et les déplacements professionnels (ou missions). Ils représentent respectivement 6 % (dont 90 % lié à la voiture, avec une forte variabilité selon les régions) et 13 % des émissions GES de l’organisme. Pour faire face aux premiers, des actions en faveur du covoiturage, des mobilités douces et du télétravail – par exemple, mise en place des bornes de recharge pour les voitures électriques ou vélos en libre service – sont mises en œuvre et devraient être renforcées. Pour les seconds, dont les émissions sont dominées par l’usage de l’avion pour des déplacements internationaux, plusieurs pistes sont avancées avec le même objectif : localiser les événements (formation, cérémonies, etc.) dans des sites accessibles en train et en transport en commun, privilégier les réunions en visioconférence dès que possible, etc. Prendre l’avion n’est déjà plus possible depuis février 2020 si un train permet d’effectuer le même trajet en moins de trois heures, mesure étendue aux trajets supérieurs à quatre heures depuis octobre 2022. Sur cette question, il s’agit de déterminer avec chaque unité des objectifs de réduction prenant en compte notamment les activités de recherche et le développement des carrières. Un outil d’auto-évaluation des déplacements devra être proposé pour faciliter la prise de décision individuelle et collective.

Enfin, le CNRS intègre dans son schéma pluriannuel immobilier 2022-2025 un axe important de d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, incluant notamment un appel à projet interne. Dans le cadre du plan France Relance, trente opérations de rénovations énergétiques ont été retenues et concernent la rénovation de l'enveloppe des bâtiments, la jouvence des systèmes de chauffage ou de traitement de l'air, ou encore l'installation de systèmes de production d'électricité photovoltaïque.

  • 1Par rapport à 1990.
  • 2Le groupement de service EcoInfo réunit une soixantaine de scientifiques des secteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur en France autour d’un objectif commun : agir pour réduire les impacts négatifs environnementaux et sociétaux des technologies de l’information et de la communication.

Le CNRS et l’IRD relèvent le défi de l’innovation éco-responsable

Actions du défi

La sensibilisation des agents aux enjeux du développement durable constitue un des axes forts du plan d'action du CNRS en la matière. Lauréats de l’appel à défi « innovation écoresponsable » lancé par le Commissariat général au développement durable et la Direction interministérielle de la transformation publique, le CNRS et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) vont mettre en place des outils de sensibilisation et de mobilisation des agents. « L’objectif de ce projet commun est de proposer des outils "clés en main" pour les laboratoires en s’appuyant sur des dispositifs d’intelligence collective », explique Blandine de Geyer, référente nationale développement durable au CNRS, en charge de ce projet pour le CNRS. Ces outils ont pour objectif d’ouvrir des espaces de dialogue au sein des unités pour identifier des solutions adaptées de réduction de leur empreinte environnementale, tout en s’inscrivant dans le cadre de la démarche nationale du CNRS. Pour constituer un vivier d’animateurs de ces ateliers collaboratifs, des sessions découvertes sont prévues. Et pour impulser la démarche au plus haut niveau, une fresque du climat a été organisée le 8 novembre pour les cadres supérieurs de l’établissement.

Une réflexion large

Des axes transverses complètent ces thématiques, notamment sur la sensibilisation et la formation des agents. Un projet du CNRS et de l’IRD figure d’ailleurs parmi les 10 lauréats de l’appel à défi « innovation écoresponsable » lancé par le gouvernement et va permettre d’engager des actions en ce sens (voir encadré). Reconnaître et valoriser l’investissement des laboratoires déjà engagés est également clé pour engager le CNRS vers une trajectoire bas carbone.

Plus largement, les questions environnementales sont au cœur de la réflexion de l’organisme sur ses pratiques : est-il même possible de poursuivre simultanément un objectif de sobriété et une recherche au meilleur niveau mondial ? Le Comité d’éthique du CNRS a été saisi de la question.

Le plan de transition bas carbone sera piloté par le Comité3  « développement durable », en lien avec le réseau de référents mis en place au sein des directions fonctionnelles, délégations régionales, instituts et laboratoires, autour de la référente nationale Blandine De Geyer. Ces référents doivent accompagner la démarche de transition bas carbone au plus près des unités. « Les initiatives locales sont nombreuses, pertinentes et importantes, rappelle Alain Schuhl. Concevoir un cadre national était aussi une demande des agents. »

Et ce cadre national pourrait aussi avoir un impact fort au-delà du CNRS, les laboratoires comptant de nombreux étudiants et personnels rattachés aux partenaires de l’organisme. « Nous comptons sur un effet de synergie, le CNRS pouvant jouer un rôle moteur au sein du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. La sphère d’influence du CNRS doit être mise au service des enjeux de développement durable », conclut Alain Schuhl.

  • 3Le Comité « développement durable » du CNRS est une structure transverse composée de représentants des directions fonctionnelles, des délégations régionales, des instituts, de la Cellule « développement durable » du CNRS et de la référente nationale. Il est présidé par Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS.

Un bilan pour identifier les leviers d’action

Dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, les établissements publics comme le CNRS ont l’obligation de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre (BGES) tous les trois ans. « Au sein du CNRS, ce BGES a été conçu comme un projet transverse et multi-acteurs, une véritable démarche de l’établissement. Nous sommes donc allés au-delà des obligations légales pour estimer l’ensemble des leviers possibles pour diminuer nos émissions », raconte Alice Agblekey, chargée d’études bilan carbone au sein de la Mission d’aide au pilotage et relations avec les instituts et les délégations régionales du CNRS (MPR). Ce travail s’est appuyé sur la méthodologie recommandée par l’Ademe. La collaboration avec le groupement de recherche Labos 1point5noteLabo1point5 , qui fournit des outils et un travail de recherche sur les calculs de facteurs d’émissions, a été cruciale. Résultat : une photographie à un instant t des émissions GES issues des activités de l’organisation, comme les déplacements domicile-travail des agents, les missions effectuées par les scientifiques dans le cadre de leurs activités de recherche (se rendre sur le terrain, participer à des colloques, etc.), et les achats nécessaires aux recherches et à la vie des laboratoires (dont la restauration).

Statistiques

Avec près de 2000 éléments pris en compte, ces achats représentent 73 % des émissions GES du CNRS. Pour ce premier BGES, mené à partir des données de 2019, le CNRS a pris le parti de prioriser des périmètres de données qu’il maîtrise soit en tant qu’hébergeur, employeur ou payeur. Seuls sont donc comptés les bâtiments gérés par le CNRS – qui héberge près de 20 000 personnes dont 8000 permanents CNRS –, leurs émissions étant largement dominées par la consommation de gaz et d’électricité. Estimés via une enquête nationale menée fin 2021, les déplacements domicile-travail de l’ensemble des agents CNRS représentent 5 millions de km par semaine, soit 125 fois le tour de la Terre, l’utilisation de voitures étant responsable de 87 % des émissions GES. Sans surprise, les voyages en avion dominent les émissions des missions, les 300 millions de kilomètres parcourus ainsi représentant 91 % des émissions, contre 0,5 % pour les 60 millions de km parcourus en train.

Tout compris, en moyenne, les émissions des activités du CNRS s’élèvent à près de 14 tonnes équivalent carbone par an par agent, l’objectif des accords de Paris pour une neutralité carbone étant de 2 tonnes par personne. « Une des difficultés rencontrées lors de la réalisation de ce BGES a été de localiser et d’évaluer la qualité des données. Les calculs d’émissions sont également caractérisés par leur incertitude, liée par exemple aux facteurs d’émissions choisis ou encore à l’extrapolation potentielle de la donnée initiale. Le BGES est avant tout un outil permettant de mesurer les ordres de grandeurs et d’évaluer les résultats entre deux exercices.  Notre démarche sera optimisée pour le prochain bilan sur l’année 2022, en affinant le périmètre et en corrigeant les angles morts que nous avons identifiés », assure Alice Agblekey.

  • noteLabo1point5Pour ce qui concerne l'outil GES1point5 et le formulaire domicile-travail, travail coordonné par Jérôme Mariette et Odile Blanchard, Olivier Berné et Tamara Ben-Ari : J. Mariette et al, An open-source tool to assess the carbon footprint of research, 2022 Environ. Res.: Infrastruct. Sustain. https://iopscience.iop.org/article/10.1088/2634-4505/ac84a4/meta Pour ce qui concerne le travail sur les facteurs d'émission (FEs) des achats, travail coordonné André Estevez-Torres et Olivier Aumont : Olivier Aumont, Christophe Brun, Franck Davoine, Marianne De Paepe, André Estevez-Torres, Laurent Jeanneau, Protocole de l’évaluation de l’empreinte carbone des achats de biens et services, janvier 2022