« Le paysage industriel de l’hydrogène est en perpétuelle mutation et le CNRS est très actif pour l’accompagner »

CNRS

Alors que la France a fait le pari de l’hydrogène vert pour décarboner son industrie, la filière Energie du CNRS est structurée et à la manœuvre pour relever les défis de demain. Retour sur les enjeux de l’hydrogène vert avec Catherine Grandhomme, responsable du département Filières stratégiques du CNRS et responsable des relations du CNRS avec la Filière Energie.

Quels sont les enjeux de l’hydrogène aujourd’hui ?

Catherine Grandhomme1  : Aujourd’hui l’hydrogène est un vecteur énergétique stratégique et représente une solution forte vers la transition énergétique, basée sur la production d’énergie décarbonée. L’objectif est de sortir du marché historique de l’hydrogène gris - produit à partir d’énergies fossiles – pour aller vers de l’hydrogène décarboné, dit vert, qui ne représente aujourd’hui que 5 % de la production globale. La France s’est fixée comme objectif d’atteindre 50 % en 2030, ce qui implique de multiplier cette production par 15. C’est un véritable défi qui inclut d’assurer un prix compétitif de l’hydrogène vert actuellement à 10-12€/kg pour un hydrogène gris à 1,5-2€/kg.

Car l’outil industriel reste encore à construire sur toute la chaine de valeur, c’est-à-dire la production, le stockage, les procédés de conversion (utilisant les piles à combustible), les différents usages. La stratégie nationale sur l’hydrogène, lancée dans le cadre du plan d’investissement France 2030, s’oriente sur deux volets : l’utiliser pour décarboner l’industrie, ainsi que pour la mobilité lourde, comme les trains et les camions. Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, introduite par la loi de Transition énergétique pour la croissance verte2 , l’objectif est d’installer 6,5 gigawatts d’électrolyseur3  pour permettre la production de cet hydrogène décarboné. Les briques technologiques constituant ces systèmes à hydrogène sont à des stades de maturité différents. Par exemple, sur l’axe production, on a d’un côté l’électrolyse basse température déjà opérationnel dans l’industrie, et d’un autre côté une production par gazéification plus exploratoire.

Qu’offre le CNRS pour les entreprises de cette filière ?

C. G. : Le CNRS s’est préparé pour s’engager pleinement dans ce défi en créant une filière Energie au CNRS (voir encadré), en structurant les grands axes de recherche au sein de la Fédération Hydrogène et en s’investissant pleinement dans le plan d’investissement France 2030 – notamment au travers du Programme et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) Hydrogène décarboné.

Le déploiement massif de cette filière va en partie reposer sur les compétences des personnels de recherche et sur les équipements de pointe dans les laboratoires. Nous avons recensé 125 laboratoires ayant une cotutelle CNRS, 540 chercheurs mobilisés pour répondre aux défis industriels d’aujourd’hui et préparer le futur - comme l’utilisation de nouveaux matériaux ou un pilotage de données de plus en plus nombreuses par l’IA. La particularité du CNRS est de couvrir des programmes de recherche sur toutes les disciplines. Certains s’inscrivent dans une démarche « techno-push » pour rendre le système à hydrogène plus performant, plus durable et moins coûteux, et d’autres sont dans une démarche holistique intégrant les aspects socio-économiques et écologiques.

Historiquement, on constate une concentration des forces du CNRS sur l’expertise en piles à combustibles (en termes de brevet et de publication), mais on voit l’émergence de recherches prometteuses dans le domaine du stockage et de nouveaux procédés de production d’hydrogène.

Aussi le CNRS contribue pleinement à la dynamique de cette filière par des innovations, que ce soit par les brevets (voir encadré sur le brevets) ou par la création de start-ups.  Aujourd’hui, neuf start-up issues des recherches conduites dans des laboratoires dont le CNRS assure la tutelle ont été créées dans le domaine de l’hydrogène. Citons par exemple la plus ancienne d’entre elles, Mahytec, fabriquant des réservoirs de stockage d’hydrogène, qui dès sa création en 2008 a été lauréate du Concours National de création d’entreprise innovante, puis en 2014 lauréate du Concours Innovation 2030 et a été repérée et intégrée en 2021 dans une grande entreprise.

Par ailleurs cette nouvelle production d’énergie va générer un certain nombre d’emplois. France Hydrogène4  prévoit entre 50 et 150 000 emplois directs et indirects créés. Il sera essentiel d’accompagner à ces postes des débutants ou des personnes en reconversion avec une formation adaptée. Le CNRS y contribuera avec le lancement en 2023 par CNRS Formation Entreprise d’une formation de trois jours sur le panorama des technologies de l’hydrogène, dispensée par des membres de la Fédération de recherche Hydrogène du CNRS, pour des décideurs ou chefs de projet non-scientifiques.

En pratique, quels sont les outils disponibles pour renforcer les liens entre le CNRS et les industriels ?

C. G. : Tout d’abord il faut rappeler que les outils de financement pour accompagner le déploiement industriel de la filière sont nombreux et multi-niveaux. L’État investit 9 milliards d’euros pour financer des programmes de R&D via le Programme et Équipement Prioritaire de Recherche (PEPR) d’accélération Hydrogène décarboné, mais aussi des démonstrateurs sur de nouvelles briques technologiques, et des « giga factory5  » pour la production d’hydrogène décarboné.

LE CNRS co-pilote avec le CEA ce PEPR6  doté d’un budget de 80 millions d’euros et pour lequel des axes prioritaires sont soutenus7 . Les industriels sont incités à venir dialoguer avec les coordinateurs de ce PEPR pour orienter la recherche dans la bonne direction, en particulier en définissant les bons indicateurs de performance que doivent cibler les chercheurs (par exemple indicateurs sur la durabilité de la pile à combustible, etc…). Il est important d’instaurer un dialogue permanent entre les industriels et la recherche pour que les technologies sortant des recherches soient ancrées dans les réalités industrielles.

L’organisme est très présent dans le paysage industriel de l’hydrogène vert qui est en perpétuelle mutation, avec des partenariats de recherche signés avec de nombreuses entreprises, qu’elles soient des acteurs historiques sur ce marché – comme Air Liquide -  ou bien de nouveaux acteurs. Plus de 70 contrats de recherche sont signés par an entre une équipe de recherche de tutelle CNRS et une entreprise sur la thématique. C’est un constat positif qui démontre de l’implication du CNRS dans l’accompagnement des entreprises de cette filière.

En effet, le CNRS est le bon interlocuteur pour accompagner ces transformations des petites et grandes entreprises, par le biais de collaborations de recherche variées qui peuvent aller de la thèse CIFRE jusqu’à des laboratoires communs. Le CNRS est en mesure de travailler aussi bien avec les entreprises du secteur énergétique pour adresser un champ très large de recherches pluridisciplinaires, qu’avec des plus petites entreprises focalisées sur la décarbonation de leur outil industriel – citons le cas de Bulane, fabricant de brûleur à gaz, que le CNRS accompagne depuis une dizaine d’années, dans le cadre d’un laboratoire commun, dans la compréhension de la flamme à hydrogène dont les caractéristiques en terme de comportement physique sont très différentes d’une flamme du gaz naturel classiquement utilisé.

A chaque première rencontre avec un industriel, nous prenons le temps de comprendre ses défis technologiques et de le transcrire en question de recherche scientifique puis nous le mettons en relation avec les équipes du CNRS travaillant sur ses domaines de recherche. A toutes les entreprises nous proposons de travailler conjointement sur des feuilles de routes R&D.

Découvrir en détails la Filière Hydrogène Décarbonée

  • 1Ingénieure Thermique-Énergétique (Polytech Nantes), Catherine Grandhomme a travaillé durant 20 ans dans ‘industrie nucléaire. Depuis 2020, elle a rejoint le CNRS au sein de la Direction des relations avec les entreprises (DRE) sur le déploiement de la stratégie filière.
  • 2La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) publiée au Journal Officiel du 18 août 2015, ainsi que les plans d’action qui l’accompagnent visent à permettre à la France de contribuer plus efficacement à la lutte contre le dérèglement climatique et à la préservation de l’environnement, ainsi que de renforcer son indépendance énergétique tout en offrant à ses entreprises et ses citoyens l’accès à l’énergie à un coût compétitif.
  • 3Système permettant de séparer l’eau en hydrogène et en oxygène.
  • 4Association fédérant les acteurs de la filière française de l’hydrogène.
  • 5Usines permettant de construire des équipements, des batteries ou d'autres systèmes, sur de très grands volumes.
  • 6 Il est coordonné côté CNRS par Abdelilah Slaoui.
  • 7Il s’agit notamment du développement de dispositifs de production efficace de l’hydrogène par électrolyse (haute température, basse température) ou photo(électro)catalyse mais aussi des ruptures technologiques pour la pile PEM de 3e génération pour la mobilité, et pour des moyens de stockage innovants (solides mais aussi liquides organiques) et la compréhension des phénomènes de dégradation et de durabilité.

Hydrogène : l’UE et la France bien placées dans la course à l’innovation

Une étude de l’Agence internationale de l’énergie et de l’Office européen des brevets indique que les pays membres de l’Union européenne ont déposé 28 % des brevets relatifs à l’hydrogène au cours de la décennie 2011-2020, devant le Japon (24 %) et les Etats-Unis (20 %). La France se situe au sixième rang mondial avec 6 % des brevets déposés, et au deuxième rang européen, derrière l’Allemagne et devant les Pays-Bas. L’Hexagone bénéficie notamment de la force de sa recherche fondamentale puisque le CEA, l'IFPEN et le CNRS occupent les trois premières places du classement mondial des organismes de recherche selon le nombre de brevets déposés dans l'hydrogène. Le pays est également tiré par Air Liquide et plusieurs start-up. Les Etats-Unis sont en retrait alors qu’ils dominaient les investissements dans l’hydrogène lors de la décennie précédente.

Le CNRS approche les filières industrielles

Dans le cadre de son contrat d’objectifs et de performance 2019-2023, le CNRS a mis en place une stratégie d’approche des filières industrielles françaises, notamment en se rapprochant des Comités stratégiques de filière installés par le Conseil national de l’industrie. Depuis 2019, neuf filières stratégiques1  ont été ciblées pour ainsi développer les collaborations entre le CNRS et les entreprises avec des équipes dédiées. Leur mission : croiser les connaissances et outils disponibles au sein des laboratoires avec les enjeux qui existent sur toute la chaîne de valeur de chaque filière, afin d’établir, avec les acteurs concernés, des feuilles de route communes de recherche qui serviront de base pour identifier, proposer et conduire des projets et développer des relations bilatérales ou multilatérales avec les entreprises d'un secteur.

  • 1Filière Aéronautique ; Filière Automobile, Filière Chimie des matériaux ; Filière Cybersécurité ; Filière Eau ; Filière Électronique ; Filière Energie ; Filière Parfumerie ; Filière Santé.