De la science qui se joue au Festival d’Avignon

CNRS

Du 9 au 16 juillet, binôme fait monter la science sur les planches du Festival d’Avignon.

Tel un miroir déformé, le chercheur devient un objet d’étude pour les artistes. Le projet binôme, créé en 2010 par la compagnie « les sens des mots » donne carte blanche à un auteur pour interpréter les recherches d’un scientifique. Pour cette 11e édition, binôme mettra en scène cinq représentations du 9 au 16 juillet couvrant des thématiques allant des sciences du climat aux sciences de traitement du son. Valérie Masson-Delmotte1 , climatologue, Patrick Gaudicheau, technicien supérieur en chef chargé d'essais sur la centrifugeuse géotechnique (Université Gustave Eiffel), ou encore Estelle Ferrarese, professeure de philosophie morale et politique et directrice de l’Institut du Genre2  se sont prêtés au jeu cette année.

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Représentation du binôme "Mathias ou l'itinéraire d'un enfant paumé‪" © les sens des mots

Cinquante minutes chrono

À l’origine de ce projet, il y a Thibault Rossigneux, metteur en scène, comédien, auteur et directeur artistique de la compagnie. « À l’époque, je réfléchissais à faire des programmes ‘arts et sciences’ avec l’envie d’un concept partant de l’écriture, le tout dans un format court et percutant », explique ce dernier. Il imagine alors un concept où chacun se mettrait en danger. Le chercheur et l’auteur.

Car binôme, c’est en premier lieu une rencontre chronométrée de cinquante minutes durant lesquelles le chercheur va présenter son sujet d’étude à un auteur qu’il rencontre pour la première fois. « Cela peut être des grands moments de solitude pour certains auteurs qui sont face à des sujets très pointus », s’amuse Thibault Rossigneux. Et la chercheuse en biomécanique des fluides au laboratoire Biomécanique et Bioingénierie3  Anne-Virginie Salsac, qui a donné lieu à un binôme en 2016, s’en souvient bien : « Je ressentais la peur de l’auteure, Catherine Zambon. Elle estimait appartenir au monde des arts et des lettres, et n’avoir aucune aptitude pour la science. » Pour autant, la chercheuse quitte la rencontre avec le sentiment qu’une forme d’intimité est née entre les deux femmes. Par la suite, les auteurs ont un mois et demi pour écrire un texte de 30 minutes à trois voix sur le sujet. « Il faut que les auteurs se servent de cette matière, mais s’en échappent également, raconte le créateur de binôme. L’objectif n’est pas d’écrire un texte de vulgarisation. » Depuis sa création en 2009, la compagnie « les sens des mots » a donné vie à 47 binômes, et ce sont cinq chercheurs CNRS qui ont participé à l’expérience depuis ses débuts. « Les retours de nos chercheurs après leur participation à binôme sont plus qu’enthousiastes. Et ces œuvres artistiques participent au lien Science Société pour lequel le CNRS est largement engagé. Il nous faut participer à la transmission et à la vulgarisation scientifique. Et le monde artistique apporte ce regard particulier », témoigne Fabrice Imperiali, directeur adjoint de la Direction de la Communication du CNRS.

« Cette mise en fiction bouleverse les chercheurs »

Lorsque le chercheur en vient finalement à découvrir le texte, c’est lors d’un moment filmé par Thibault Rossigneux. « La découverte du texte est un moment très émouvant. La mise en fiction d’eux-mêmes ou de leur objet de recherche bouleverse les chercheurs », souligne-t-il. Et en effet, les chercheurs sont souvent étonnés par l’intimité que les auteurs ont réussi à déceler entre les lignes lors de l’échange initial. « L’œuvre de Catherine Zambon est très introspective. Elle se met à ma place et apporte ce regard extérieur. Elle a su déceler cette idée de renoncement, de sacrifice par rapport à la science qui me caractérise », estime Anne-Virginie Salsac. Et si le chercheur se voit dans ce miroir, l’auteur a toute sa présence également. « J’ai pu admirer ce qu’elle avait pu faire de mon récit. Le texte éclairait la science et amenait le lecteur à la comprendre, le tout intégré à une histoire qui était son histoire. Toute cette période de sa vie avait tourné autour de la mécanique des fluides », poursuit la chercheuse.

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Représentation du binôme "Atlantides" © les sens des mots

La science sur les planches

À Avignon, le public découvrira les textes des cinq auteurs mis en scène, mais également les images de la première rencontre ainsi que du chercheur lorsqu’il découvre le texte. « Il y a un gros complexe chez les chercheurs. La peur de ne pas être compris par la société et de se sentir isolé, rapporte Thibault Rossigneux. Avec binôme, ils voient qu’ils peuvent générer de l’intérêt et qu’ils peuvent être compris. » Et en effet, binôme apporte beaucoup aux chercheurs. « Lors d’une représentation, la science est vue par le prisme de l’art et donne un point de vue tout en originalité sur la recherche, mais également sur le chercheur lui-même », souligne Fabrice Imperiali.

  • 1Directrice de recherches CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (CNRS/Université Versailles Saint Quentin/CEA).
  • 2CNRS/CASDEN
  • 3CNRS/Université Technologique de Compiègne.

Rencontres Recherche et Création

Également présentes au Festival d’Avignon pour leur 8e édition, les Rencontres Recherche et Création, portées par l’ANR1  et le Festival d’Avignon, en partenariat avec le CNRS, se tiendront les 8 et 9 juillet. Ces Rencontres s’attachent à mettre en résonance la pensée des œuvres des artistes avec les travaux de recherche les plus récents. « Depuis 2005, l’ANR finance de nombreux projets de recherche en sciences humaines et sociales sur l’origine de l’Homme et des cultures, les cultures du monde, les différentes formes artistiques – littérature, arts de la scène, musique, etc. –, l’écosystème de la création ou encore dans le domaine des neurosciences – sur les émotions ou la perception par exemple. Ces travaux mettent en évidence le caractère fondamental des questions soulevées par le processus de création et la réception des œuvres », explique Catherine Courtet, responsable scientifique au département sciences humaines et sociales de l’ANR. C’est en collaboration avec Olivier Py, directeur, et Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon depuis 2014, que l’idée des Rencontres est née et que celles-ci ont trouvé leur place dans les Ateliers de la pensée. « C’est un moment de connaissances partagé entre le public, les artistes et les chercheuses et les chercheurs, qui à la fois valorise la rigueur de la démarche scientifique et qui rend encore plus intense l’expérience artistique. » Inspirées par le thème du festival « se souvenir de l’avenir », cette 8e édition explore « La mémoire du futur ». Au programme notamment, Francis Eustache2 , directeur d’étude à l’EPHE en neuroscience, présentera ses travaux autour de la mémoire en écho avec « la confusion poétique des temps mélangés » dans lesquels vivent les personnages de La Cerisaie d’Anton Tchekhov, mise en scène par Tiago Rodrigues. Violaine Sebillotte Cuchet, professeure d’histoire ancienne à l’Université́ Paris 1 Panthéon Sorbonne, évoquera l’histoire des Amazones, femmes guerrières de la mythologie grecque, en dialogue avec la metteuse en scène Laëtitia Guédon qui présente la pièce Penthésilé.e.s – cette reine des Amazones qui est un des rares personnages de la Guerre de Troie. Un forum sur la thématique « Travailler dans le spectacle ! Engagement, reconnaissance, emploi, métiers, condition de travail, santé », le 10 juillet, réunira des professionnels et des chercheurs.

  • 1Agence Nationale de la Recherche.
  • 2Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes-Études.