Les fluides supercritiques au service de l’économie circulaire

Innovation

Portés à certaines températures et pressions, les fluides deviennent supercritiques et changent de propriétés. Des solvants aussi simples et abondants que l’eau et le CO2 parviennent alors à décomposer des matériaux complexes en vue de les recycler. Ces technologies de pointe sont notamment déployées à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux et dans la start-up IDELAM.

Du succès des matériaux composites découle la question de leur recyclage. Leurs composants, souvent de nature différente, sont en effet difficiles à séparer sans passer par des traitements chimiques polluants et lents. Les fluides supercritiques, avec l’utilisation de l’eau, s’affirment depuis quelques années comme des alternatives de choix.

Au-delà de certaines valeurs de températures et de pressions, appelées points critiques, les fluides deviennent supercritiques, partagent les propriétés d’un gaz et d’un liquide et changent de comportement. L’eau, qui dissout les sels, mais pas l’huile, fait exactement l’inverse une fois amenée dans des conditions supercritiques. Porté à 31 degrés et 73,8 bars, le CO2 est le fluide supercritique le plus utilisé.

« En jouant sur les conditions pour passer de manière continue de l’état liquide à l’état gazeux, nous développons une chimie riche avec les fluides supercritiques », précise Cyril Aymonier. Directeur de recherche CNRS et directeur de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP), il travaille sur la réactivité chimique dans les milieux fluides supercritiques pour la synthèse, la mise en forme et le recyclage de matériaux.

« L’eau à 400 degrés et 250 bars extrait ainsi la résine des matériaux composites, laissant les fibres de carbone complètement nettoyées tout en conservant une grande partie de leurs propriétés mécaniques », poursuit Cyril Aymonier.

Cyril Aymonier a par exemple mené des travaux sur la synthèse de minéraux, tels que le talc, particulièrement purs. Il en obtient en une vingtaine de secondes dans de l’eau supercritique, alors que la nature met des millions d’années à le fabriquer. Ces recherches ont été élargies à des applications industrielles dans la conception de ciments verts.

« Alors que les ressources diminuent, la réutilisation et le recyclage sont nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques, affirme Cyril Aymonier. C’est pourquoi mes activités vont d’études très fondamentales au transfert de technologie avec des partenaires industriels. » Plusieurs travaux menés à l’ICMCB ont ainsi servi de socle à la fondation de la start-up IDELAM, spécialisée dans le recyclage et le traitement des déchets.

« Avec IDELAM, nous développons des procédés industriels de recyclage de matériaux qui ne sont actuellement pas considérés comme recyclables, explique Thomas Voisin, chef de projet chez IDELAM et ancien doctorant de Cyril Aymonier. Je pense notamment aux matériaux composites, multicouches ou multimatières que l’on retrouve dans les plastiques, le packaging, le monde de la mode ou encore dans les panneaux solaires et les pales des éoliennes. »

IDELAM ne propose pour l’instant pas de solution commerciale, mais installe le démonstrateur industriel de ses technologies. Des discussions sont en cours avec ses partenaires pour mettre en place des lignes de traitement de déchets spécifiques. Avec des composés aussi abondants que l’eau et le CO2, les fluides supercritiques offrent une alternative à des produits chimiques plus coûteux et éventuellement toxiques. Ils agissent plus rapidement et posent moins de difficultés pour les changements d’échelle.

« Les déchets sont introduits dans une sorte de cocotte-minute, où ils sont traités en une dizaine de minutes, décrit Thomas Voisin. Nous travaillons en ce moment sur les chaussures, mais il y a aussi d’énormes besoins dans le packaging. Les produits recyclés sont voués à être réincorporés dans le marché. »

« Les technologies liées aux fluides supercritiques s’inscrivent dans la démarche de l’économie circulaire et du développement durable, abonde Cyril Aymonier. Elles permettent d’augmenter, à chaque cycle, la part de matériaux recyclés dans un objet. » Une fois extraits, les matériaux sont caractérisés afin de vérifier à quels usages ils peuvent être réutilisés. Il est également important de quantifier l’impact environnemental de chaque cycle de vie des produits.

Les fluides supercritiques offrent ainsi une solution de recyclage et de récupération de matériaux à même d’intéresser de nombreuses industries. IDELAM et les chercheurs de l’ICMCB sont à l’écoute et en quête de nouveaux partenariats.