Liviu Nicu est nommé directeur du Bureau du CNRS en Amérique du Sud

CNRS

Ancien directeur du LAAS, Liviu Nicu a pris la direction du Bureau du CNRS en Amérique du Sud en septembre. Retour sur ses ambitions et l’importance de ce continent pour la recherche française.

Quelles sont les échanges et coopérations principales du CNRS en Amérique du Sud ?

Liviu Nicu1  : Elles sont en évolution. Actuellement, il existe une distribution peu uniforme des échanges scientifiques puisque trois pays – le Brésil, le Chili et l’Argentine – concentrent 90 % de nos coopérations en Amérique du Sud. Cette distribution s’explique notamment par les moyens investis dans la recherche par ces pays, mais également par les liens que des flux historiques de chercheuses et chercheurs ont créé au fil du temps et qui ont fait vivre les collaborations.

Le CNRS dispose actuellement de 5 International Research Laboratories (IRL2 ) en Amérique du Sud, respectivement au Chili (3), Brésil (1), Argentine (1) et Uruguay (1). Nous avons plusieurs International Research Projects (IRP)3  dont près d’une trentaine au Brésil, en Argentine et au Chili. Et enfin une dizaine d’International Research Network (IRN)4  qui impliquent un ou plusieurs pays d’Amérique du Sud.

Trois de nos IRL se concentrent sur la thématique des mathématiques - qui dispose d’une communauté très dynamique et reconnue en Amérique du Sud. Les sciences humaines et sociales sont très présentes au sein de nos coopérations, notamment au Brésil, avec des thématiques variées qui vont de l’anthropologie contemporaine en Amazonie jusqu’aux humanités numériques. Nous avons également des liens forts en astronomie au Chili grâce à la présence de nombreux sites astronomiques au sol majeurs – tels que les radiotélescopes ALMA, le Very Large Telescope (VLT), le Large Synoptic Survey Telescope (LSST), le Cherenkov Telescope Array (CTA) ou l’Extremely Large Telescope (ELT) – sites avec lesquels l’IRL LFCA (Laboratoire Franco-Argentin pour l’Astronomie) fait le lien. Un autre exemple de thématiques de coopération en Amérique du Sud : la biodiversité qui est bien étudiée au travers d’IRP avec par exemple VELITROP ou CEBACOL sur les côtes océaniques ou encore en Amazonie.

Quelles sont vos ambitions en tant que nouveau directeur du Bureau du CNRS en Amérique du Sud ?

L. N. : J’ai trois objectifs. Le premier consiste à consolider l’existant des outils du CNRS. Un certain nombre d’IRP ont aujourd’hui la maturité et la dimension pour passer au stade d’IRL. Je souhaite mettre en place des éléments de communication vers les collègues qui n’osent pas franchir le pas, en les encourageant à travailler ces scenarios avec leurs instituts de tutelle.

Le deuxième est de représenter le CNRS en Amérique du Sud – une mission stratégique qui implique un véritable exercice de pédagogie afin d’expliquer l’évolution du CNRS - avec par exemple, la stratégie de partenariat public/privé qui a pris un véritable envol ces dernières années et qui pourrait être un véritable atout dans cette région. Plus largement, nous souhaitons construire un récit qui séduise au travers d’un plan d’actions démontrant clairement nos ambitions et qui sera publié au 1er trimestre 2023.

Enfin, mon troisième objectif est de prospecter, en impliquant et en m’appuyant directement sur les instituts et les chercheuses et chercheurs du CNRS pour la création de nouveaux partenariats. Il existe notamment au Brésil une agglomération d’actions (IRP et IRL) qui pourraient donner naissance à un International Research Center (IRC5 ), qui viendrait se rajouter aux autres IRC du CNRS à l’étranger6 .

La France se positionne, selon les régions, à la 4e et 5e place en termes de collaborations scientifiques internationales en Amérique du Sud derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. C’est une bonne position, mais cette 5e place traduit l’effort de promotion qu’il reste à réaliser pour maintenir le désir de France et l’amplifier.

Quelles sont les spécificités de la recherche en Amérique du Sud ?

L. N. : Il faut déjà souligner que les scientifiques d’Amérique du Sud sont présents sur toutes les disciplines, et cela de façon brillante. Une des spécificités serait le pragmatisme de l’investissement dans la recherche. En effet, les organismes/états investissent sur des domaines pour lesquels ils ont une expertise et pour lequel le retour sur investissement vers la société civile sera immédiat et palpable. J’ai par exemple accompagné une délégation de l’Institut Interdisciplinaire d’Intelligence Artificielle (3IA7 ) lors d’une série de visites de centres IA à Sao Paolo et Campinas (Brésil) dont les thématiques de recherche portent, entre autres, sur l’Amazon bleu (espace maritime brésilien concentrant 90 % des échanges commerciaux et 80 % de la biodiversité) et dont l’idée est de créer un chatbot8  en langue portugaise pour rendre accessible à la population brésilienne l’information sur l'Amazon bleu. Autre exemple, le Chili et l’Argentine – qui sont des gros extracteurs miniers et qui possèdent de grande réserve de lithium – sont spécialistes des questions de recherche sur l’extraction minière et ses impacts sur l’environnement.

Enfin, l’Amérique du Sud - notamment le Brésil avec sa plateforme Cielo - a été pionnière sur les questions de science ouverte. De nombreux outils ont été créés dans la région desquels nous pourrions nous inspirer pour faire évoluer nos propres outils et créer, par exemple, des journaux permettant de s’affranchir des éditeurs payants actuels. Nous étions d’ailleurs partenaire d’un colloque international qui a eu lieu à la fin septembre à l’Université de São Paulo réunissant la France, le Brésil, le Chili et l’Argentine sur cette thématique, et auquel Sylvie Rousset, directrice des données ouvertes et de la recherche du CNRS a participé. La troisième édition de ce colloque devrait être organisée en France l’année prochaine. Elle sera une nouvelle occasion pour aller encore plus loin dans la politique de science ouverte du CNRS en collaboration avec ses partenaires sud-américains.

  • 1Après un doctorat de l’Université Paul Sabatier de Toulouse obtenu en 2000 dans le domaine de la mécanique des microdispositifs silicium, Liviu NICU a travaillé dans l’industrie, chez Thales Avionics à Valence en tant qu’ingénieur recherche et développement au sein du département micro-capteurs où il était chargé du développement du premier micro gyroscope silicium dédié à la navigation civile et militaire. En 2003, il a intégré le CNRS en tant que chargé de recherche au sein du LAAS CNRS Toulouse où il a successivement occupé les fonctions de responsable de l’équipe Nanobiosystemes (2009 à 2012), de directeur du département MicroNanoBioTechnologies (2012 à 2016) et de directeur du LAAS CNRS (2016 à 2022). Au sein du CNRS, il a été successivement membre élu du Comité National de la Recherche Scientifique (2008 - 2012) et chargé de mission BioMicrosystèmes au sein de l’INSIS (2013 - 2015).
  • 2Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 3Ces projets de recherche collaborative, entre un ou plusieurs laboratoires du CNRS et des laboratoires d’un ou deux pays étrangers, consolident des collaborations déjà établies.
  • 4Ces outils structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche.
  • 5Un IRC est un nouveau dispositif institutionnel qui vise à instaurer un dialogue stratégique ambitieux entre le CNRS et son partenaire académique pour définir leurs intérêts communs et les collaborations leur permettant d’y répondre ensemble, sous la forme de laboratoires de recherche internationaux (IRL ), de projets de recherche (IRP), de réseaux thématiques (IRN), ou d’autres dispositifs existants ou à développer.
  • 6Il existe un actuellement 3 IRC au CNRS respectivement en collaboration avec l’Université d’Arizona, Imperial College London et l’Université de Tokyo.
  • 7CNRS/Université Côté d’Azur/INRIA.
  • 8Programme informatique qui simule et traite une conversation humaine.