OPEN : le nouveau programme de financement et d’accompagnement du CNRS pour valoriser les logiciels libres

Innovation

La recherche académique produit de nombreux logiciels dont la diffusion pourrait bénéficier très largement hors des murs de la recherche académique. Logiciels libres ? Open source ? De nombreuses stratégies de valorisation sont possibles mais sortent des schémas habituels de valorisation. En 2023, le CNRS a lancé un premier appel à manifestation d’intérêt dans le cadre de son nouveau programme de valorisation des logiciels libres, baptisé « OPEN », opéré par CNRS Innovation.

La valorisation de la recherche et le développement d’innovations issues des laboratoires répondent traditionnellement à une logique de satisfaction d’objectifs économiques viables. Face aux grands défis sociétaux, et notamment ceux présentés dans le contrat d’objectif et de performance du CNRS, la prise en compte de la portée sociétale des innovations devient une préoccupation grandissante et un enjeu majeur. L’idée du logiciel libre s’inscrit entièrement à la croisée de ces objectifs.

« L’industrie et la société ont aujourd’hui des attentes très fortes vis-à-vis de la recherche publique, en particulier dans le domaine du logiciel libre. Des technologies numériques bouleversent massivement les pratiques et le secteur privé investit désormais dans les logiciels libres. Le dernier exemple significatif est celui de la start-up française Mistral AI qui propose une solution open-source concurrente à ChatGPT et qui vient de lever 385 millions d’euros. Ancré dans cette dynamique, le CNRS se dote d’un programme d’accompagnement dédié à la valorisation de cette typologie particulière de logiciel : OPEN. » explique Mehdi Gmar, directeur général de CNRS Innovation.

Des logiciels développés au sein des plus de 1 100 laboratoires ayant le CNRS pour tutelle, il y en a beaucoup. Cependant, les chercheurs souhaitant valoriser leurs résultats se heurtent à divers écueils.

« Le logiciel libre des années 80 était porté par des idéaux et de vrais visionnaires car 40 ans plus tard le logiciel libre est partout, des applications de nos téléphones aux outils récents d'intelligence artificielle génératives dont les impacts économiques sont très importants. La façon de faire du logiciel a évolué, nous devons donc également faire évoluer la façon de valoriser les logiciels issus de la recherche. C’est ce que nous faisons à travers le programme OPEN afin d’être en meilleure adéquation avec les grands enjeux de notre société et au plus près des besoins des entreprises. », note Sébastien Lebbe, responsable de la valorisation des logiciels et du programme OPEN à CNRS innovation.

L’accompagnement dont pourront bénéficier les chercheurs permettra de construire les meilleures façons de générer des revenus ou d’avoir un impact sociétal ou environnemental.

Ouvrir les données tout en générant de la valeur

Le CNRS a lancé, en juin 2023, le premier appel à manifestation d’intérêt du programme OPEN. Comme son nom l’indique, il vise à valoriser les logiciels libres – ou open source, les deux termes renvoyant à des concepts très proches – développés au sein de laboratoires sous la tutelle du CNRS.

« Depuis de nombreuses années, le CNRS s’engage dans une démarche de science ouverte, afin de rendre accessibles au plus grand nombre les données de la recherche, et notre programme s’y inscrit entièrement », souligne Sébastien Lebbe. « Le mouvement open source en constitue, en quelque sorte, l’équivalent dans le monde du logiciel, en permettant à tous les utilisateurs d’utiliser le logiciel, d’accéder au code source, de le modifier et de le diffuser, modifications incluses. »

Ces philosophies s’étendent ainsi bien au-delà de l’univers de la recherche académique et ont vu leur influence croître au fil du temps, en véhiculant des valeurs d’ouverture et de transparence, qui rejoignent celles portées par le CNRS.

Néanmoins, l’open source s’accompagne d’enjeux spécifiques en lien avec son potentiel de valorisation économique et sans exclure d’autres impacts hors champs marchand. En effet, comment générer des revenus à partir d’un logiciel libre, dont le code source est accessible à tous ? Il s’agit là d’un des défis du programme OPEN, et plus largement de l’ensemble des acteurs de la valorisation, comme le confirme Caroline Bresch, directrice des partenariats et des affaires juridiques de la SATT Conectus :

« Le logiciel libre est un outil de plus en plus utilisé par les chercheurs, la question de sa valorisation apparaît donc essentielle. Mais pour une SATT, ce modèle s’écarte des schémas classiques de transfert de technologie, reposant souvent sur des actifs propriétaires, c’est-à-dire qui appartiennent entièrement aux établissements et aux inventeurs. C’est pourquoi nous travaillons de concert avec CNRS Innovation, afin d’identifier les meilleures approches. »

Déterminer ensemble les meilleurs modes de valorisation

Concrètement, le programme prend la forme d’un appel à manifestation d’intérêt  : les chercheurs souhaitant valoriser leur logiciel libre sont invités à soumettre une courte présentation de projet décrivant notamment l’outil développé, ses utilisateurs, le potentiel de développement…

« Nous leur demandons également s’ils ont des pistes de valorisation », ajoute le responsable du programme OPEN. « Certains ont en effet déjà entamé une telle démarche. En revanche, d’autres n’ont pas vraiment d’idées, mais c’est précisément notre rôle de les aider, au cas par cas, à explorer les diverses possibilités. »

Car il existe plusieurs façons de valoriser un logiciel libre : « Il est premièrement possible de mettre en place des consortiums d’utilisateurs, contribuant au développement de l’outil », mentionne Caroline Bresch. « Et l’accès à cette communauté peut être soumis à une adhésion, avec différentes formules selon le statut et les droits accordés. Par ailleurs, le logiciel peut être employé dans le cadre d’une activité de prestation de service, pour un besoin tiers. Ou encore, dans le cas d’une licence open source permissive, nous pouvons envisager l’ajout d’une brique propriétaire supplémentaire, qui serait, elle, transférable par contrat de licence. » D’autres pistes peuvent également être explorées, comme des collaborations avec des entreprises partenaires sur des sujets spécifiques ou la création d’une start-up.

Cette dernière option devrait toutefois rester minoritaire. « Aujourd’hui, très peu de candidats envisagent cette piste, rarement privilégiée dans le monde de l’open source académique », note Sébastien Lebbe. « Notre objectif est de maximiser l'impact des logiciels développés par les candidats. Nous ne privilégions a priori aucune piste. Si l'opportunité de création d'une start-up apparait à l’avenir nous l'envisagerons, et pourquoi pas la faire porter par un CEO extérieur au projet ». Un des autres objectifs du programme consiste d’ailleurs à mieux comprendre les préférences des chercheurs et à identifier les solutions de valorisation les plus pertinentes.

Une première promotion du programme OPEN

Le premier appel lancé a généré plus de 50 candidatures, émanant de toute la France. « Nous ne nous attendions pas à recevoir autant de candidatures dès le lancement. Cela prouve l’importance du sujet au sein de la communauté de recherche.», se réjouit le responsable du programme OPEN. Après une première étape d’analyse, ce sont déjà 16 projets qui ont été présentés fin 2023 en comités de sélection. Ces comités rassemblent l’équipe du programme OPEN, des représentants des directions scientifiques du CNRS et aussi une dizaine d’experts externes parmi lesquels figurent des représentants d’entreprises, d’organismes, de SATT et de fondations, notamment Airbus, Linagora, le Cabinet Vidon (conseil en PI), le PUI de Lille, l’Institut Curie, INRIA, INRAE, la SATT Lutech, ou encore la Fondation Eclipse.  

Six projets ont ainsi été sélectionnés pour cette première « promotion » et bénéficieront d’un financement et d’un accompagnement ainsi que des services d’un développeur logiciel pendant 6 à 18 mois :

ICHEM – Criblage moléculaire

Didier Rognan, Laboratoire d'Innovation Thérapeutique (CNRS/Université de Strasbourg).

IChem est une suite logicielle écrite en langage C++ (50 000 lignes de code) de 11 modules permettant la détection, l'analyse et la comparaison de structures tridimensionnelles de complexes protéine-ligand à des fins de criblage virtuel de molécules bioactives.

Ichem permettra d'accélérer la découverte de nouveaux candidats médicaments à travers la constitution d'un consortium d'acteurs industriels et de chercheurs du domaine.

LabNBook – Support aux travaux pratiques

Claire Wajeman (LabNBook), Laboratoire d'Informatique de Grenoble (CNRS/Université de Grenoble Alpes).

LabNbook est une plateforme numérique de support aux travaux pratiques de sciences expérimentales, au lycée ou dans le supérieur. C’est un cahier de laboratoire en ligne, collaboratif, dans lequel les étudiants apprennent à consigner et traiter des résultats expérimentaux et à écrire des comptes-rendus ou des rapports scientifiques.

Il est actuellement utilisé par des milliers d'étudiants et des centaines d'enseignants, l'objectif est d'accroitre son utilisation sur le plan national.

PyMoDAQ - Orchestration de dispositifs expérimentaux

Sébastien Weber, Centre d'élaboration de matériaux et d'études structurales (CNRS).

PyMoDAQ, « Modular Data Acquisition with Python » est un logiciel libre pour l’orchestration de dispositifs expérimentaux et l’acquisition automatique de données en fonction de paramètres expérimentaux multiples. Conçu pour être utilisé sans qu'il soit nécessaire de programmer, il possède une interface graphique générique pour le contrôle des instruments avec des extensions spécifiques qui lui assurent une grande modularité.

L'objectif sera de nouer des partenariats avec des fabricants d'instruments de mesure et/ou leurs utilisateurs.

aGrUM - Modélisation et analyse de modèles graphiques probabilistes

Pierre-Henri Wuillemin, LIP6 (CNRS/Sorbonne Université).

aGrUM est une bibliothèque C++/Python de modélisation, de calculs et d'apprentissages dans les modèles graphiques probabilistes.

Les fonctionnalités de haut niveau permettent de l’intégrer directement dans des applications qui auraient besoin de modèles probabilistes complexes.

TexMacsCloud - Création de documents mathématiques

Joris Van Der Hoeven, Laboratoire d'Informatique de l'Ecole Polytechnique (CNRS/École polytechnique).

TeXmacs est une suite bureautique éditeur pour des documents structurés avec des formules mathématiques. Le logiciel permet de composer des documents d’une qualité typographique professionnelle tout en fournissant une interface « tel écran tel écrit » facile à utiliser.

Sa communauté d'utilisateurs compte plus de 10 000 membres.

Intuitif et facile à utiliser, l'objectif sera d'étendre son utilisation dans l'éducation nationale auprès des élèves dans les écoles, collèges et lycées.

RTK - Imagerie tomographique

Simon Rit, Centre de Recherche En Acquisition et Traitement de l'Image pour la Santé (CNRS/INSA Lyon/INSERM/Université Claude Bernard).

RTK, pour Reconstruction Tool Kit, est une boite à outil logiciel. Une reconstruction rapide, parallélisée sur CPU ou sur GPU, d’images tomographiques 3D ou 4D (spatio-temporelles ou spectrales), avec des algorithmes analytiques ou itératifs.

L'objectif est de poursuivre la structuration des partenariats initiés avec plusieurs acteurs industriels et de l'ouvrir à d'autres.