PAUSE : accueil d’urgence pour les scientifiques ukrainiens

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Face à la guerre en Ukraine, l’État ouvre un appel spécial d’aide en urgence aux chercheurs et chercheuses en danger, dans le cadre du programme PAUSE. Retour sur la participation du CNRS à ce programme et au Fonds Solidarité Ukraine.

« Sauvons une vie, sauvons des idées ! » Avec ce slogan, le Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil (PAUSE), créé1  en janvier 2017 et piloté par le Collège de France, a pour mission de favoriser l’accueil en France en urgence de scientifiques et artistes2  venus de pays où la situation politique met leurs travaux et leurs familles en danger.

Avec pour but d’assurer la continuité de leurs travaux et de défendre leur liberté d’enseigner, ces chercheurs et chercheuses sont alors accueillis par un réseau de plus de 100 institutions publiques ou privées d’intérêt général du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme le CNRS, l’Inserm, Inria, une université ou encore une école d’ingénieurs. Ils sont également accompagnés dans leurs démarches d'insertion aussi bien professionnelles (développement de leur réseau, formations, etc.) que personnelles, l’accueil se faisant sur des périodes longues et en mettant également à l’abri les familles.

Un programme efficace aux critères scientifiques forts

Pour inciter les institutions à s’engager, le programme PAUSE offre un co-financement de ces actions, à hauteur de 60 %. Pour cela, il bénéficie de partenariats publics (notamment des ministères concernés) comme privés, d’un soutien qui pourrait être renouvelé de l’Union européenne à travers le Fonds Asile, Migration, Intégration, mais aussi de la générosité publique, un fonds de souscription ayant été ouvert à la Fondation de France. PAUSE peut ainsi financer 100 projets par an, ainsi que des formations par exemple en langues.

« Au lancement de PAUSE, le CNRS a été le seul établissement d’accueil présent au comité de direction à fournir un apport financier, en plus du Collège de France et bien sûr des ministères. Depuis, il finance chaque année un poste pour notre équipe, ce qui nous est très précieux », détaille Laura Lohéac, directrice exécutive du programme, saluant le « véritable effort de la part des établissements » que représente l’accueil d’un scientifique.

« Ce programme résonne avec les valeurs fondamentales du CNRS, de liberté de la recherche et de recherche internationale. Il était donc logique d’en être un des fondateurs », estime Antoine Petit, président-directeur général du CNRS. « Mais nous gardons toujours en tête notre exigence d’excellence scientifique : le comité de direction est très scrupuleux sur la qualité des travaux des candidats », continue-t-il. L’action de solidarité « indispensable à court terme » ne doit ainsi pas « prendre le pas sur le rôle du CNRS ».

Les critères scientifiques ont en effet une place importante dans les candidatures, afin de placer les scientifiques dans un laboratoire qui leur permettra de continuer au mieux leurs travaux. Les dossiers sont d’ailleurs portés par les établissements d’accueil et non par les candidats.

Depuis sa création et à raison de trois appels à candidatures annuels, le programme PAUSE a pu aider près de 300 chercheurs et chercheuses étrangers en danger, à part à peu près égale, dont 25 bénéficient de contrats doctoraux de 3 ans entièrement financés par PAUSE. Si la Syrie et la Turquie constituent les deux plus importants viviers (et ont représenté 90 % des sélectionnés pendant les deux premières années du programme), les lauréats sont issus de plus d’une trentaine de pays sur tous les continents : Irak, Russie, Afghanistan, Pakistan, Burundi, Vénézuela, Yémen, etc. Plus de la moitié sont spécialisés en sciences humaines. Sur les 138 personnes aujourd’hui sorties du programme, les deux tiers ont trouvé un contrat temporaire (post-doc, CDD, ATER, financement sur projet), parfois en dehors du milieu académique, ou ont entamé une formation. Certains sont recrutés en tant que maître de conférence ou chargé de recherche. D’autre part, environ 5 % ont effectué une mobilité à l’étranger et la même proportion est rentrée dans son pays d’origine.

PAUSE est donc aussi une manière de soutenir à long terme les échanges scientifiques entre la France et les pays dont sont issus les intellectuels accueillis. « Des scientifiques irakiens qui sont repartis ou participent à la reconstruction de leur pays depuis la France ont par exemple mis en place des partenariats avec l’organisme qui les a accueillis », illustre Laura Lohéac. « Au bénéfice de tous », le programme collabore aussi avec des actions internationales, dont le réseau Scholars at Risk, le programme allemand Philipp Schwartz Initiative, et le consortium européen Inspireurope3  qu’il a contribué à lancer en 2019 avec neufs autres organisations partenaires.

La session d’avril de l’appel régulier vient de se terminer, avec plus de 120 candidatures, un nombre encore « jamais atteint ». En font partie plus de 80 personnes affectées directement ou indirectement par la guerre en Ukraine.

Un appel d’urgence pour les scientifiques en Ukraine

Face à ce conflit, le programme PAUSE ouvre pour la première fois un appel spécial d’aide en urgence grâce à un fonds octroyé par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Ce Fonds de solidarité dédié aux chercheuses et chercheurs ukrainiens en danger « réagit à l’urgence humanitaire ». Il propose un accueil pour 3 mois dans les mêmes conditions que l’appel régulier mais sans critère d’excellence scientifique. « L’idée est de créer un sas transitoire, afin de voir comment la situation en Ukraine évolue et de permettre de préparer éventuellement une candidature à un prochain appel plus classique dans de bonnes conditions. », précise Laura Lohéac.

L’appel a déjà reçu plus de 200 candidatures éligibles, majoritairement de chercheuses, les hommes mobilisés ou mobilisables ne pouvant légalement quitter le pays. PAUSE pourra accueillir 150 scientifiques avec leur famille. « Ce Fonds spécial offrira des conditions de vie correcte à plus de 1000 personnes. C’est une belle action mais nous aimerions pouvoir aider davantage », reconnaît la directrice exécutive. « Nous avons besoin de financements plus pérennes et d’apports conséquents pour cet appel exceptionnel », milite-t-elle.

Comme pour l’appel classique, les candidatures sont déposées par les organismes d’accueil, l’existence d’un lien préexistant avec le lauréat étant conseillé. « Nous notons une relation importante entre les établissements français et les scientifiques ukrainiens », témoigne Laura Lohéac qui remercie de la forte mobilisation. Des laboratoires se sont même manifestés pour accueillir des candidats isolés. « Malheureusement, le nombre de candidatures portées par des établissements dépasse déjà nos ressources et nous leur donnons la priorité », explique Laura Lohéac.

Les scientifiques non ukrainiens en danger en raison du contexte de la guerre en Ukraine, en particulier les dissidents russes et biélorusses, sont également éligibles aux appels à candidatures du programme PAUSE général. Comme cela avait été le cas après l’arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan en 2021, une procédure accélérée pourra être envisagée. « Le CNRS a respecté les consignes gouvernementales et suspendu toutes nouvelles formes de collaborations scientifiques avec la Russie. Toutefois les projets de recherche déjà engagés doivent pouvoir se poursuivre et nous y veillerons avec tous nos partenaires académiques. », conclut Antoine Petit.

  • 1Suite à la signature d'une convention entre le Mesri, le Collège de France et la Chancellerie des universités de Paris, et avec l’appui du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et du Ministère de l'Intérieur. Le Ministère de la Culture a également participé au financement du programme les deux premières années.
  • 2Les artistes sont accueillis en résidence pour un an renouvelable dans des établissements de culture ou des écoles d’art. Une vingtaine d’artistes ont été accueillis depuis le début de ce volet du programme en 2020.
  • 3Un projet européen Inspireurope+ a été déposé pour démarrer en 2023.