« Promouvoir les sciences en français est un travail de tous les jours »

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L’organisation canadienne de promotion des sciences en français Acfas célèbre ses 100 ans. L’occasion pour Sophie Montreuil, sa directrice générale, de revenir sur les missions et activités de l’association, avec laquelle le CNRS échange régulièrement.

L’Acfas fête son 100e anniversaire. Quel bilan faites-vous de toutes ces années de promotion des sciences ?
Sophie Montreuil : Qu’un organisme comme le nôtre, à but non lucratif, célèbre ses 100 ans est chose rare au Canada ! L’Acfas met en avant l’importance de faire de la recherche en français, en soutenant les actions qui visent son rayonnement et les scientifiques, étudiants et étudiantes qui la mènent. Nous servons ainsi les chercheurs et chercheuses francophones et nous les accompagnons en encourageant et nourrissant le dialogue entre sciences et société. Ce sont ces missions qui ont présidé à la création de l’Acfas, le 15 juin 1923, et qui sont toujours notre raison d’être aujourd’hui. Elles restent pertinentes. Cela ne signifie pas qu’il n’y a eu aucun acquis en 100 ans, mais que protéger et promouvoir les sciences en français est encore un travail de tous les jours, notamment dans le contexte particulier du Canada.

Si l’on fait un bilan de nos activités, on peut remarquer la continuité et la longévité de nos actions : le Congrès de l’Acfas a eu lieu chaque année depuis 1933 – sauf, malheureusement, pendant la crise du Covid-19, en 2020 –, les prix Acfas sont remis sans discontinuer depuis 1944, etc. Nous avons aussi créé plusieurs nouvelles activités ces dix dernières années, qui sont venues renforcer ce travail de longue date, comme les concours Ma thèse en 180 secondes (MT180) ou La preuve par l’image. Grâce à ces événements phares, notre association a acquis une notoriété et une crédibilité fortes.

Participants souriants sur une scène avec le logo MT180
Le 6 octobre 2022, dans le cadre de son 100e anniversaire, l'Acfas a reçu la finale internationale de Ma thèse en 180 secondes, en partenariat avec l'Université de Montréal. © Acfas

 

Le Centenaire de l’Acfas

Les festivités ont été lancées le 9 mai dernier, avec la cérémonie d’ouverture du 89e Congrès accueilli par l’Université de Laval. Elles durent 14 mois, jusqu’au 15 juin 2023, date officielle du centenaire. L’Acfas mène l’ensemble de sa programmation régulière, enrichie d’événements et d’actions spécifiques. Une partie de cette programmation aura lieu dans les six antennes régionales, qui mettent en valeur l’expertise des scientifiques francophones locaux. Par exemple, la finale internationale de MT180 a déjà eu lieu le 6 octobre à Montréal, avec une assistance record. Des expositions thématiques ont été créées autour du concours La preuve par l’image qui, en 13 ans, a constitué une banque de plus de 260 images issues de recherches dans tous les domaines. La fabuleuse histoire des sciences au Québec est une série de 10 capsules lancée le 14 septembre, en partenariat avec Savoir média : chaque épisode met à l’honneur un champ disciplinaire, un par décennie. « Nous sommes très fiers de cette belle production, que nous voyons comme un leg du Centième à notre communauté. », note Sophie Montreuil.

L’événement phare du Centenaire sera le 90e Congrès de l’Acfas, organisé en collaboration avec l’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal, sur place et en ligne, du 8 au 12 mai 2023. Le programme préliminaire devrait être disponible le 8 décembre prochain : « les scientifiques ont répondu présents au-delà de nos espérances », assure la directrice générale. Enfin, un ouvrage illustré collectif, à destination du grand public, sera publié en mai prochain et mettra en valeur 50 figures scientifiques du Canada francophone de 1923 à aujourd’hui : 22 chercheuses et 28 chercheurs, de toutes disciplines et issus de l’ensemble du territoire.

Vous avez évoqué les objectifs de l’Acfas. Avec quels moyens y travaillez-vous ?
S. M. : L'Acfas est une organisation à but non lucratif canadienne qui emploie 20 personnes… une petite équipe qui mène brillamment de nombreuses actions ! Nous sommes un joueur modeste dans l’écosystème de la recherche au Canada, surtout si l’on nous compare à nos partenaires – toutes les universités du Québec, les conseils subventionnaires du Québec et du Canada, etc. Mais nous proposons une offre unique d’activités et de services. Peu d’organismes nous sont comparables sur la scène canadienne : comme le CNRS, nous couvrons l’ensemble des disciplines scientifiques sur tout le territoire canadien. Nous sommes entourés d’une centaine de partenaires – dont le CNRS ! – des organisations clés dans le milieu de la recherche que ce soit au Canada, tant au Québec qu’en contexte francophone minoritaire, ou sur la scène internationale. Bien sûr, nous travaillons également en collaboration avec les organismes de promotion de la culture scientifique du pays, qui sont pour nous des alliés importants. Et, si nos bureaux sont à Montréal, presque toutes les provinces canadiennes comptent l’une de nos antennes régionales. Le milieu de la recherche anglophone n’a pas d’équivalent pour le mettre en valeur, même si le besoin se fait sans doute moins sentir.

Personnes dans un amphi, la salle est comble, une femme au premier rang tient un micro
Le 23e Forum international Sciences Société s’est tenu début novembre 2022 sur le thème « Comment se fabrique la recherche ? ». Au micro, la coprésidente française de l’événement, Lucie Leboulleux de l’Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble. Derrière elle, le coprésident québécois, François-Joseph Lapointe de l’Université de Montréal. © Hombeline Dumas

Pourquoi promouvoir les sciences en français au Canada ?
S. M. : Notre pays possède en effet deux langues officielles, le français et l’anglais. Or, une étude menée pendant deux ans avec des scientifiques, dont l’important rapport a été publié en juin 2021, a montré un net déclin, très préoccupant, de la recherche en français au Canada. Un déclin qui n’est souvent pas le fait d’un désengagement des individus, mais plutôt du système de recherche qui est plus favorable à la langue anglaise : les scientifiques qui veulent faire de la recherche et de l’enseignement en français n’ont pas accès, en dehors du Québec, aux mêmes conditions de travail et aux mêmes opportunités de subventions que leurs collègues anglophones. Pour nous, ce fait est inadmissible. Nous travaillons donc activement à sensibiliser les gouvernements fédéral et provinciaux à cet enjeu. Notre action trouve de l’écho : nous avons ainsi une bonne collaboration avec le gouvernement québécois, qui nous a octroyé des montants supplémentaires ces dernières années pour nouer des partenariats avec de nouveaux ministères, pour étendre nos actions et tenter de ralentir le déclin. Nous ne sommes bien sûr pas dans une relation de confrontation avec la recherche universitaire en anglais, ou d’ailleurs dans toute autre langue, mais nous cherchons l’équité et l’égalité dans les opportunités, en raison du statut bilingue du pays.

L’Acfas et le CNRS travaillent ensemble sur plusieurs projets de médiation scientifique. Qu’apportent ces collaborations aux partenaires ?
S. M. : Nos deux institutions sont en relation depuis au moins l'an 2000, avec une entente formelle depuis 2015. Notre Forum international Sciences Société a ainsi été créé au Québec en 2000 à l’initiative du Consulat général de France à Québec, en collaboration avec le CNRS et avec la participation de plusieurs institutions québécoises. Il se basait sur le concept des Rencontres CNRS Jeunes Sciences & Citoyens. Chaque année, 275 étudiants de niveau collégial1  de toute la province du Québec viennent rencontrer des chercheurs et chercheuses inspirés et inspirants, de toutes les disciplines. C’est parfois leur premier contact avec ce qu’est le travail des scientifiques au-delà des savoirs trouvés dans les livres scolaires. L’Acfas, qui était parmi les premiers partenaires, gère l’événement depuis 2002 et fête donc, cette année, son 23e Forum. Le Consulat étant toujours notre partenaire, un tiers des 18 scientifiques invités annuellement viennent de France et en particulier du CNRS, et l’un d’eux est invité à coprésider. Cette année, il s’agissait de la spécialiste en instrumentation pour l’exoplanétologie Lucie Leboulleux, chargée de recherche CNRS à l’Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble3 .

Affiche du Forum 2002, avec un ancien logo du CNRS
Programme du Forum international Sciences Société 2002, expliquant l’origine de l’événement développé par le CNRS. © Acfas

Un autre grand projet que nous partageons est Ma thèse en 180 secondes (MT180), qui a lieu au Québec pour la première fois en 2012, inspiré du concours australien “Three minute thesis”. Dès l’année suivante, nous nous sommes associés avec la France, via le CNRS et France Université2 , et avec deux autres pays, la Belgique et le Maroc, pour valider le potentiel d’une version internationale francophone du concours. L’Agence Universitaire de la Francophonie a rejoint ce groupe en 2015, puis la Suisse en 2016. La huitième finale internationale a eu lieu en octobre dernier à Montréal, pour la deuxième fois depuis sa création, dans le cadre de notre centenaire. Nous y avons accueilli des doctorants et doctorantes issus de 20 pays.

La preuve par l’image (LPPI) est un autre exemple. Créé en 2010 par l’Acfas, ce concours d’images scientifiques a été adapté en France par le CNRS avec une première édition en novembre 2018, CNRS Le Journal diffusant le diaporama des lauréats québécois dès 2016. Ces échanges apportent beaucoup et sont tout à l’honneur des directrices générales qui m’ont précédée. Je compte bien poursuivre ce mouvement. L’intérêt de nos actions dépasse en effet le cadre de notre association. Nous travaillons pour une cause : faire connaître et apprécier les travaux des chercheuses et des chercheurs francophones, qui se mènent à l’échelle de la planète. Si cette cause est embrassée par des partenaires au Canada, en Europe ou ailleurs, et si nos idées se diffusent et sont reprises, nous sommes ravis. C’est une stratégie de développement naturelle qui se met en place par parenté de missions. À plusieurs, on sert mieux la cause et on accentue nos rayonnements respectifs. Travailler de concert nous donne donc un gain de visibilité, notamment auprès des politiques qui tendent mieux l’oreille en apprenant nos liens avec des organismes en France. Car nous faisons ainsi rayonner l’expertise du Québec et du Canada, de la même manière que le CNRS contribue au rayonnement de la France.

Deux personnes devant des photos affichées sur un mur
Exposition de lancement de l’édition 2014 de la Preuve par l’image, dans le cadre du 82e Congrès de l’Acfas à l’Université Concordia du 12 à 16 mai 2014. © Acfas

Quels sont vos projets pour les années à venir ?
S. M. : Ils sont nombreux ! Face à la réalité pancanadienne, nous venons tout juste de créer un Service d’aide à la recherche en français pour les scientifiques qui travaillent en situation minoritaire au Canada. Tout à fait inédit au Canada, ce service faisait partie des recommandations faites dans notre rapport de juin 2021. Sa mise en place est un important développement pour l’Acfas.

Nous voulons aussi assurer la consolidation et la croissance des actions les plus récentes de l’Acfas comme les concours MT180 et LPPI, notre plateforme RaccourSci ou notre Concours de vulgarisation de la recherche, qui fête en décembre sa 30e édition. Et nous nous tenons à l’affût des nouveaux besoins de la communauté des scientifiques et des étudiants, et des nouveaux supports notamment numériques, pour proposer une offre toujours actuelle tout en maintenant nos actions phares. Des actions sont en outre prévues pour améliorer la découvrabilité des contenus scientifiques en français et œuvrer au déploiement des sciences ouvertes.

  • 1Unique au Québec, ce niveau d'études supérieures suit les études secondaires et précède l'université.
  • 3CNRS/Université Grenoble Alpes.
  • 2À l’époque sous le nom de Conférence des présidents d’université (CPU).