Le labcom HC-IUMI2 amorce une nouvelle ère d’explorations nanométriques

Innovation

Le laboratoire commun HC-IUMI2, entre le CNRS et Hitachi High-Tech Corporation, explore les potentiels d’un instrument unique, un microscope de très grande précision aussi bien dans l’espace que dans le temps. Cette nouvelle collaboration ouvre des perspectives à l’étude de propriétés des nanomatériaux.

L’échelle nanométrique est un monde invisible à l'œil nu, où les propriétés de matériaux peuvent être radicalement différentes de celles à une échelle plus grande. En ce sens, la microscopie électronique en transmission (MET) apporte des informations cruciales sur la structure et le comportement des matériaux. Problème : sa résolution temporelle est limitée.

Pour y remédier, des chercheurs du Centre d'élaboration de matériaux et d'études structurales (CEMES-CNRS) ont développé, ces dernières années, un microscope électronique en transmission ultrarapide. Ce dernier est basé sur une source d'électrons impulsionnelle dans laquelle un laser femtoseconde[1] déclenche l’émission de paquets d’électrons ultracourts. L’instrument permet d’étudier sur des durées très brèves des phénomènes tels que la dynamique des champs électriques et magnétiques ou des contraintes au sein de nanomatériaux. Cet instrument de pointe est au cœur du laboratoire commun HC-IUMI2[2], entre le CNRS et l’industriel japonais Hitachi High-Tech Corporation, concepteur et fabricant de MET pour l’industrie et la recherche mondiales.

Petit historique collaboratif

Nous sommes en 2009, le CEMES se rapproche de l’entreprise japonaise afin d’acquérir un nouveau microscope de pointe. Chacun découvre les expertises de l’autre et le nouvel instrument - optimisé pour faire de l’holographie électronique et de la microscopie électronique in situ - est livré en 2012. « En parallèle, avec Florent Houdellier, nous avions récupéré un ancien microscope d’Hitachi des années 1990 que nous avons modifié pendant sept ans pour l’équiper d’une source d’électrons ultrarapide », explique Arnaud Arbouet, directeur du laboratoire commun. En 2017, les chercheurs parviennent à émettre des impulsions électroniques ultra-courtes. Riches de ce succès, ils présentent leurs résultats à l’industriel qui souhaite intégrer cette fonctionnalité à ses microscopes dernier cri.

Pour ce faire, un premier accord de laboratoire commun est signé en 2018. Hitachi High-Tech Corporation met alors à disposition du CEMES un instrument de pointe d’une valeur de plusieurs millions d’euros. « Nous n’aurions pas pu obtenir un tel instrument sans le laboratoire commun. Ce dernier nous a également offert un accès privilégié à l’ensemble des ingénieurs en chef et concepteurs de la machine et à des informations critiques auxquelles un client n’aurait pas eu accès », précise Arnaud Arbouet.

Un format couronné de succès

« La caractéristique remarquable du laboratoire commun est qu'il a une perspective de commercialisation dès le début et qu'il peut être exploité avec souplesse. Dans le premier accord, la recherche a été temporairement suspendue en raison de la crise du coronavirus, mais elle a été facilement prolongée d'un an. En outre, les avancées peuvent être confirmées chaque année par le comité de pilotage ce qui permet de clarifier les problèmes et de prendre des mesures à temps si nécessaire », témoigne Yoshifumi Taniguchi, ingénieur chez Hitachi High-Tech Corporation et co-directeur du laboratoire commun.

En juin 2023, l’objectif initial est atteint ! Les chercheurs académiques obtiennent ainsi les premiers électrons sur le nouvel instrument. Ce bel accomplissement scientifique est aussi synonyme de nouvelles opportunités pour le partenaire industriel. « Nous avons complété le matériel en modifiant notre TEM afin de concrétiser les développements apportés. Je pense que nous pouvons réduire considérablement le coût et le temps nécessaire à la commercialisation », précise Yoshifumi Taniguchi. Un nouveau laboratoire commun est signé jusqu’en 2028 dans le but d’explorer le potentiel de l’instrument à la pointe de son domaine.

Crédit : Sophie Meuret (CEMES)

Un nouveau labcom pour explorer les possibles

« Dans la culture japonaise, la confiance s’acquiert avec le temps. Aujourd’hui, nous avons clairement dépassé ce premier contact formel, ce qui nous permet de nous projeter dans une nouvelle phase de collaboration », témoigne Arnaud Arbouet. L’heure est désormais à la conquête de nouvelles connaissances pour les deux partenaires. L’industriel espère notamment que cette deuxième phase l’aidera à identifier de nouvelles applications. « Les quatre nouveaux thèmes abordés sont des recherches de pointe dans différents domaines. Je n'ai pas encore discuté directement avec les clients, mais je pense qu'ils seront intéressés par les résultats », précise Yoshifumi Taniguchi.

Quatre doctorants ont été recrutés pour explorer les nouvelles thématiques, à commencer par l’étude de la dynamique des porteurs dans les semi-conducteurs. « L’équipe, sous l’impulsion de Sophie Meuret, mène des expériences de cathodoluminescence[3] résolue en temps, une technique qui nous apporte des informations sur les propriétés optiques des nanostructures semi-conductrices et leur lien avec la structure ou la composition de ces dernières », explique Arnaud Arbouet. Ces travaux intéressent notamment la caractérisation des structures utilisées en opto-électronique ou les émetteurs de photons uniques indispensables à l’essor des technologies quantiques.

D’autres recherches, coordonnées par le chercheur Hugo Lourenço-Martins, portent sur la caractérisation de structures nano-photoniques. « Nous rêvons de faire interagir le faisceau d'électrons avec la lumière pour générer des paquets d’électrons qui seront de durée attoseconde[4] et non plus femtoseconde », décrit Arnaud Arbouet. Cela permettra, non seulement, d’améliorer les capacités de l’instrument, mais aussi d’étendre les possibilités de la microscopie électronique actuelle.

Les capacités du nouvel instrument pourraient à leur tour intéresser d’autres partenaires du CEMES. « Les composants électroniques des processeurs de nos smartphones et ordinateurs évoluent à grande vitesse, nous pouvons imaginer à moyen terme, que ces acteurs souhaiteront intégrer la dimension temporelle à la caractérisation de leurs composants », ajoute Arnaud Arbouet. Enfin, un dernier axe étudie les champs électriques et magnétiques dans le temps. Ces connaissances pourront, à leur tour, profiter au développement de dispositifs piézoélectriques ou de stockage magnétique.

Un instrument à valoriser

Les chercheurs de CEMES ont conscience du grand potentiel de cet instrument pour la recherche française et européenne. Bien qu’il ne soit aujourd’hui utilisé qu’au sein de son laboratoire, Arnaud Arbouet souhaite l’intégrer à l’avenir dans un réseau de plateformes. L’idée : permettre à d’autres scientifiques d’exploiter ses capacités sur de nouvelles problématiques fondamentales et appliquées. Au chercheur de conclure : « Je suis sûr que ces futures questions apporteront à leur tour des nouveaux développements et donc de nouveaux partenariats passionnants pour nous ».

 

[1] Equivalent à 10-15 secondes

[2] Hitachi-CNRS Infrastructure for Ultrafast MIcroscopy

[3] Ce phénomène d’émission de lumière se produit par interaction entre un électron énergétique et un matériau semi-conducteur.

[4] Equivalent à 10-18 secondes