Quand le CNRS relève les défis scientifiques de l’IA
Du 6 au 11 février 2025, la France accueille l'AI Action Summit, avec pour objectif d'encourager le développement d'une IA de confiance au service de l'intérêt général. Tour d’horizon sur les ambitions de ce sommet et la participation du CNRS avec Jalal Fadili, directeur du Centre IA pour la Science et Science pour l’IA du CNRS et membre du comité scientifique de la conférence AI, Science and Society organisée dans le cadre du sommet.
Vous participez au sommet AI Action Summit de l’Élysée, qui se déroule du 6 au 11 février à Paris. Quels types de discussions ou de collaborations espérez-vous voir émerger des interactions entre scientifiques, industriels et décideurs présents ?
Jalal Fadili1 : A partir du 6 février 2025, Paris attirera les regards du monde entier en accueillant de nombreux évènements (voir encadré) visant à renforcer l’action internationale en faveur d’une IA au service du bien commun. Je participerai à la conférence AI, Science and Society du 6 et 7 février à l'Institut polytechnique de Paris en tant que membre du comité scientifique et animateur de la session « The mathematics of machine learning », ainsi qu’au Sommet international au Grand Palais le 10 février. Si les journées scientifiques sont destinées en grande partie à un public de chercheurs et chercheuses et visent à mettre en exergue les transformations engendrées par l’IA sur la science et sur nos sociétés, le Sommet du 10 février sera un forum destiné à réunir et favoriser les regards croisés entre des acteurs mondiaux importants de l’IA dont des acteurs gouvernementaux, des entreprises, des scientifiques, des acteurs de la société civile, etc. Il s’articulera autour de conférences, tables rondes et présentations.
- 1Jalal Fadili est professeur à l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Caen (ENSICAEN) et exerce ses activités de recherche au Groupe de recherche en Informatique, Image, et Instrumentation de Caen (GREYC - CNRS/ENSICAEN/Université Caen Normandie). Il est directeur du Centre AISSAI (IA pour les sciences, sciences pour l’IA) destiné à favoriser le croisement des disciplines autour de l’IA. Ses activités de recherche concernent le traitement données, les problèmes inverses, l’optimisation et l’apprentissage statistique, et leurs applications en imagerie astronomique.
AI Action Summit
C’est au total une semaine entière qui sera consacrée à l’Intelligence artificielle durant l’AI Action Summit à Paris, avec, pour débuter, deux journées à l'Institut polytechnique de Paris. Il y aura ensuite un week-end consacré à des événements culturels ouverts au grand public, puis une grande journée (10 février) au Grand Palais qui rassemblera un millier de participants de la société civile, ONG, scientifiques, et enfin le sommet des chefs d'État et de gouvernement qui se tiendra le mardi 11 février.
La conférence AI, Science and Society à l'Institut polytechnique de Paris, et co-organisée par le CNRS, rassemblera les meilleurs chercheurs et chercheuses du monde (Berkeley, MIT, Stanford, Google DeepMind…) en présence de Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence Artificielle et du Numérique et Philippe Baptiste, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Pourquoi était-il important d’organiser ces journées en amont du sommet ?
J. F. : Tout d’abord, j’aimerais souligner le travail collectif du comité scientifique, dont je fais partie au titre du CNRS, ainsi que de l’équipe d’organisation locale à l'Institut polytechnique de Paris, qui ont rendu possible, en un temps record, l’organisation d’un événement d’une telle envergure avec un programme prestigieux.
Il est indéniable que l’IA est en train d’engendrer plusieurs transformations sur la science et sur nos sociétés. Il était donc essentiel d’organiser un tel événement pour jouer notre rôle de scientifiques, apporter une expertise indispensable et interdisciplinaire pour préparer le terrain aux discussions de haut niveau qu’auront les dirigeants au fil de la semaine suivante à Paris. La société a besoin de science et de l’apport de connaissances des scientifiques pour relever les grands défis d’aujourd’hui et de demain. C’est vrai dans tous les domaines déterminants aujourd’hui et pour l’avenir ; l’IA en fait partie, bien sûr.
Quels seront les thèmes abordés au cours des discussions ?
J. F. Cette conférence interdisciplinaire sera l’occasion d’échanges pour comprendre et explorer la façon dont l’IA peut contribuer aux autres sciences sur un large spectre scientifique. En favorisant le dialogue entre les expertes et experts en IA, en sciences naturelles et en sciences sociales, nous avons l’ambition que cette conférence catalyse l’apport de toutes les disciplines pour approfondir notre compréhension de l'état de l’art actuel en IA et façonner une IA alignée sur les valeurs et les priorités de l’humanité. Des chercheuses et chercheurs d'institutions publiques et privées de renommée mondiale sont invités à partager leurs idées, présenter leurs recherches et leurs innovations de pointe et relever les défis urgents à l'interface de l'IA et de ses applications dans divers domaines tels que la biologie, la santé, la physique, les mathématiques, l'économie, la confiance, la soutenabilité, ou encore l'éthique. Ensemble, nous pouvons créer une IA qui soit à la fois innovante et responsable.
Vous êtes directeur du centre IA pour la Science et Science pour l’IA du CNRS (AISSAI) qui vise à structurer et organiser les actions transverses et interdisciplinaires aux interfaces avec l’IA. Quel est votre regard sur le positionnement du CNRS en IA ?
J. F. : Le CNRS est aux avant-postes de cette discipline, en participant ou en co-pilotant plusieurs programmes nationaux (dont le PEPR IA et le programme Choose France AI Rising Talents1 ). Le CNRS opère le supercalculateur Jean Zay dédié à l’IA, parmi les plus puissants en Europe. Au sein du CNRS, les méthodes de l’IA se déploient aujourd’hui rapidement dans le contexte des grandes infrastructures de recherche et des plateformes expérimentales nationales et internationales. Cela couvre un large spectre allant de la physique à la biologie, aux matériaux ou encore l’écologie ou le climat, etc. Conscient que la dimension intrinsèquement pluridisciplinaire de l’organisme le désignait pour jouer un rôle moteur pour croiser l’IA avec toutes les disciplines, le CNRS a créé le centre AISSAI en 2021. Ce centre met en œuvre un éventail de politiques et d’actions scientifiques pour permettre au CNRS de jouer un rôle de premier plan face aux défis scientifiques interdisciplinaires de demain où l’IA jouera un rôle majeur. Ces échanges interdisciplinaires sont indispensables, comme l’illustrent spectaculairement les prix Nobel 2024 de physique et de chimie2 .
Le CNRS avait intégré dans son précèdent contrat d’objectifs avec l’État l’axe IA comme faisant partie de ses six défis. Il figure également dans le nouveau Contrat d’objectifs, de moyens et de performance du CNRS (COMP 2024-2028) avec le défi « IA générative pour les sciences ».
J. F. : Oui, l’IA apparaissait déjà dans l’expression de notre stratégie dès 2019 à la fois comme défi scientifique et comme défi sociétal. L’IA est en effet à nouveau présente dans le COMP 2024-2028 du CNRS avec le défi « IA générative pour les sciences ». Une nouvelle étape a été franchie avec l’IA générative, et plus généralement les modèles de fondation, capable de créer du contenu multimodal (texte, image, vidéo, modèle 3D, séquence, etc.) à partir d’un ensemble d’exemples. Ce paradigme peut aider à l’idéation, c’est-à-dire à la génération de nouvelles idées ou hypothèses scientifiques. Plutôt que de se contenter de traiter les données existantes, l'IA générative permet aux chercheurs et chercheuses d’envisager de nouvelles approches, d’explorer des scénarios inédits et d’accélérer la créativité scientifique, que ce soit pour explorer de nouveaux matériaux, de nouvelles structures ou composants (molécules, médicaments, etc.), de nouveaux modèles (physique, mathématique, etc.) ou pour créer des scénarios dans les sciences humaines. De nombreux défis subsistent lorsque ces modèles sont appliqués à d’autres disciplines.C'est pourquoi une session de la conférence scientifique de l'AI Action Summit sera dédiée à l'IA générative en sciences, soulignant l'importance de cette thématique pour l'avenir de la recherche.
- 1Le programme "Choose France CNRS AI Rising Talents" a débuté en 2020, il offre une opportunité unique aux jeunes chercheurs et chercheuses en France et à l’étranger talentueux de lancer et de diriger un projet de recherche en intelligence artificielle (IA) au sein d un laboratoire du CNRS, et ce pour une durée de 4 ans.
- 2Les prix Nobel 2024 de physique et de chimie sont étroitement liés par l intelligence artificielle (IA). En physique, John J. Hopfield et Geoffrey E. Hinton ont été récompensés pour leurs travaux pionniers sur les réseaux de neurones artificiels, jetant les bases de l apprentissage automatique. En chimie, Demis Hassabis, John Jumper et David Baker ont été distingués pour l utilisation de l IA, notamment avec le programme AlphaFold, qui prédit la structure tridimensionnelle des protéines, révolutionnant ainsi la biologie moléculaire. Ainsi, les premiers ont développé des outils fondamentaux de l IA, tandis que les seconds les ont appliqués pour résoudre des problèmes complexes en chimie.