Accès ouvert : les pratiques des scientifiques analysées

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Comment se caractérise la production scientifique du CNRS ? Revues et éditeurs clés, place de l’accès ouvert, spécificités des disciplines… Le CNRS publie une analyse des pratiques de publications au sein de l’organisme et propose quelques pistes pour faciliter le libre accès aux résultats de recherche.

Publier en accès ouvert mais pas à n’importe quel prix. Voici le message à retenir d’une étude réalisée par la Direction des données ouvertes de la recherche (DDOR) du CNRS, qui vient d’être publiée. Elle fournit un état des lieux du monde de l’édition scientifique et du rapport des éditeurs à l’accès ouvert. En particulier, elle s’intéresse aux pratiques de publication des scientifiques et aux coûts associés, dans le périmètre des laboratoires dont le CNRS est une tutelle, et descend même au niveau des revues elles-mêmes, au-delà des éditeurs.

Statistiques

« Nous avons souhaité situer notre analyse au plus proche des chercheurs et chercheuses, afin de comparer leurs pratiques réelles aux objectifs du CNRS et d’aiguiller au mieux les communautés scientifiques vers une politique d’accès ouvert, en fonction des spécificités et des caractéristiques de chacune. », résume Sylvie Rousset, directrice de la DDOR, rappelant que le CNRS vise 100 % des publications issues de ses laboratoires en accès ouvert.

Une forte concentration d’éditeurs

S'appuyant sur la production scientifique du CNRS en 2017 (vue en 2019), l’étude rassemble 2 350 articles de sciences humaines et sociales (SHS) et près de 48 000 publications pour 407 éditeurs dans les autres disciplines1 . Ses conclusions sont claires : le marché de l’édition scientifique est aujourd'hui dominé par quelques multinationales qui proposent un grand nombre de revues dans toutes les disciplines, avec un accès ouvert inégal. Ainsi, hors SHS, 17 éditeurs couvrent 80 % des publications scientifiques des laboratoires du CNRS. Surtout, trois grands éditeurs (Elsevier, Springer Nature et Wiley) en concentrent la moitié. En SHS, les multinationales de l’édition scientifique sont aussi en tête du classement, mais leur domination est moins écrasante, la moitié des articles étant partagée par 51 éditeurs et le nombre total d’éditeurs et de revues étant plus important.

  • 1Le recensement de la production scientifique du CNRS a été réalisé à partir des bases de données RIBAC pour les sciences humaines et sociales, et Web of Science (WoS) pour le reste des disciplines.

L’accès ouvert progresse au CNRS

L’accès ouvert des publications des laboratoires rattachés au CNRS progresse chaque année pour atteindre 77 % en 2020, soit 29 points de plus qu’en 2017. Pour restreindre le périmètre étudié aux publications émanant des scientifiques du CNRS, la DDOR mène actuellement une étude issue du compte rendu annuel d’activité des chercheurs et chercheuses (CRAC). À terme, il sera envisageable de comparer le taux d’ouverture des publications des laboratoires dont le CNRS est une tutelle avec celui des chercheurs et chercheuses de l’organisme.

« Pour donner plus de place aux éditeurs qui souhaitent développer d’autres modèles de communication scientifique, l’évaluation individuelle des scientifiques doit s’éloigner des indicateurs bibliométriques qui favorisent ces colosses de l’édition », affirme Sylvie Rousset. Un travail déjà en cours, aussi bien à l'échelle de l’organisme qu’à l’échelle européenne : l’Association européenne des universités, Science Europe2  et la Commission européenne ont ainsi préparé un accord pour réformer le système d’évaluation de la recherche. Publié le 20 juillet 2022, il doit servir de base à la création d’une coalition d’organisations engagées dans la mise en œuvre des réformes nécessaires, au premier rang desquelles le CNRS qui a participé à sa rédaction. Au CNRS, le compte rendu annuel d’activité des chercheurs et chercheuses (CRAC) ne peut d’ailleurs, depuis 2019, mentionner que des publications déposées au préalable dans l’archive ouverte HAL.

Différents modèles d’accès ouvert

Cette politique en faveur des archives ouvertes a de l’effet : l’étude précise que, sur les 77 % de publications du CNRS en accès ouvert, près de neuf sur dix le sont via de telles archives. Un taux dépendant fortement de la discipline, la physique des particules et l’astronomie étant plus habituées à ce partage de données et publications par exemple. En revanche, l’Institut de biologie s’illustre comme l’institut du CNRS qui a le plus grand taux d’accès ouvert éditeur.

Le paysage actuel des publications propose en effet différentes voies pour rendre les publications accessibles. L’étude de la DDOR s’est ainsi efforcée de descendre au niveau des revues pour une analyse plus détaillée de ce paysage, dans lequel trois systèmes majoritaires coexistent. Ainsi, l’intégralité du contenu des revues dites « fermées » est accessible uniquement via un abonnement, comme l’emblématique Science – bien que plusieurs de ces revues aient publié exceptionnellement certains articles en accès ouvert lors de la crise sanitaire du Covid-19.

Comme ces revues fermées, les revues hybrides sont accessibles sous abonnement. Mais, moyennant le paiement de frais de publication par l’auteur ou son institution (APC3 ), elles proposent aussi la possibilité de publier en accès ouvert. Par exemple, la revue Nature et ses dérivées thématiques ont récemment rejoint ce système « auteur payeur ». Enfin, à l’autre bout du spectre, se trouvent les revues en accès ouvert intégral (full open access), gratuites pour les lecteurs et avec ou sans APC. Le modèle « diamant », subventionné par les acteurs de la recherche, est ainsi sans frais ni pour les auteurs ni pour les lecteurs. Dans cette catégorie, les épi-revues s’appuient entièrement sur les dépôts en archives ouvertes.

Un accès ouvert à but très lucratif

« Le développement du système “auteur payeur” avec des frais de publication est inquiétant », s’alarme la directrice de la DDOR. De plus en plus d’éditeurs se tournent en effet vers ce système pour répondre à la demande croissante d’accès ouvert, proposant ainsi davantage de revues hybrides. Des éditeurs récents en ont aussi fait leur modèle économique de départ, comme Plos, MDPI ou Frontiers Media. Un bouleversement du paysage de l’édition scientifique qui se traduit par des coûts supplémentaires imposés aux auteurs et à leurs institutions, de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros par article selon la revue.

  • 2Créé en 2011, Science Europe est une association rassemblant les principales organisations de recherche et de financement de la recherche. Elle compte 38 membres issus de 29 pays européens.
  • 3Pour article processing charges.

À savoir

L’accès ouvert ne remet pas en cause ni la protection des données personnelles, ni la protection de la propriété intellectuelle, ni toute autre protection nécessaire. En particulier, le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGDP) s’impose et régit toute ouverture de données de recherche, comme la réglementation relative aux essais cliniques. Le droit d’auteur, le secret industriel ou la protection du patrimoine scientifique et technologique s’appliquent. Un éditeur ne peut pas valablement demander de cessions de droits sur des données de recherche à l’occasion de la publication des articles. Il s’agit d’être « ouvert autant que possible, fermé autant que nécessaire ».

En l’espace de dix ans, trois méga-revues en accès ouvert se sont hissées en tête du classement des revues utilisées par les scientifiques du CNRS : Scientific Reports (éditeur Springer Nature), PLoS One (PLoS) et Nature Communications (Springer Nature), respectivement première, troisième et septième revues les plus utilisées. Au total, presque deux millions d'euros ont été payés pour les APC par l’organisme en 2017. Sylvie Rousset l’assure : « Ce modèle économique ne sera pas soutenable pour le CNRS s’il devient dominant chez les éditeurs : à terme, on dépenserait bien plus que les 12 millions d’euros actuels alloués aux abonnements. »

Les solutions préconisées par le CNRS

L’organisme souhaite donc contrer ce système des APC. Il encourage donc ses chercheurs et ses chercheuses à se tourner vers les modèles de publication gratuits à la fois pour les auteurs et les lecteurs, le modèle « diamant ».

D’autre part, le dépôt dans des archives ouvertes, gratuit, est protégé par la loi française pour une République numérique. Et ce, même si l'auteur choisit de publier en accès fermé : il faudra alors déposer le manuscrit auteur accepté (MAA), moyennant un éventuel délai d’embargo plafonné à un an en SHS et six mois dans les autres disciplines.

La « cOAlition S », consortium européen d'agences et d'organisations de financement de la recherche qui vise à accélérer la transition vers un accès libre et immédiat aux résultats de la recherche scientifique, a aussi mis en place une « stratégie de non cession des droits » : depuis le 1er janvier 2021, les scientifiques soutenus par les institutions membres doivent déposer leur MAA avec une licence libre CC-BY4  sur une archive ouverte, dès la parution de l’article scientifique. En mars 2022, la même coalition a aussi publié, avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), Science Europe et l’infrastructure de recherche OPERAS, le plan d’action d’accès ouvert « diamant » annoncé lors des Journées européennes de la science ouverte (OSEC).

« En plus de l'auto-archivage qui développe l’accès ouvert à peu de frais, un autre levier de notre politique de science ouverte consiste à développer des plateformes à but non-lucratif, avec un modèle économique plus vertueux que l’accès ouvert payant », complète Sylvie Rousset, citant la plateforme OpenEdition, les épi-revues d’Épisciences ou encore le système de recommandations de preprints Peer Community In. Le Centre Mersenne5  mutualise aussi plusieurs tâches éditoriales, afin de permettre à une quinzaine de revues de mathématiques de qualité d’offrir du contenu en open access. De quoi diversifier les voies de publications en accès ouvert pour aider les scientifiques à mieux diffuser leurs recherches.

  • 4La licence Creative Commons Attribution, ou CC-BY, accorde le droit de diffuser et de réutiliser l’œuvre, à condition de mentionner les auteurs de l'œuvre initiale.
  • 5CNRS/Université Grenoble Alpes.